Presque-îles et dépendances

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Presque-îles et dépendances

Al Jazeera (la presqu’ïle) a précédé le Qatar car la survenue de ce pouvoir médiatique a donné sa consistance existentielle à la petite contrée qui serait restée une base militaire étasunienne, certes la plus importante de la région mais obscure et difficile à situer sur une carte.

Depuis quelques semaines, Al Jazeera a supprimé la rubrique spécifique consacrée à la Syrie tout en raréfiant les bulletins d’information ouvrant sur la question syrienne.

Le programme d’entraînement des groupes disparates d’opposants au gouvernement syrien se poursuit cependant au Qatar, dans un camp proche de la frontière de l’Arabie. Y sont encore formés des éléments de l’Armée Syrienne Libre, décrite comme modérée mais inefficace dans la tâche qui lui est assignée, le renversement de Bachir El Assad. Le jeune Émir Sheikh Tamim al Thani équipe et enrôle également le Front Islamique avec l’aval des Séoud, mal disposés envers les Frères Musulmans mais peu regardant quant aux exécutants des basses œuvres pourvu que tombe l’allié de Téhéran.

La Turquie s’apprête officiellement sur injonction étasunienne à accomplir de son côté un programme d’entraînement qui, au terme de trois ans, va livrer près de 15 000 hommes. Le Congrès a voté le financement de l’opération dans le but annoncé de combattre Daech.

Le ministre des Affaires Étrangères syrien Oualid Moallam a confirmé, lors d’une interview donnée en novembre, la tentative de rapprochement du Qatar avec son gouvernement.

De son côté, le porte-parole de la Coalition Nationale Syrienne basée à Istanboul a annoncé son refus de prendre part aux négociations proposées par la Russie pour mettre fin au conflit.

Khaled Khoja, élu à la tête de la CNS il y a quelques jours, est très proche des Frères Musulmans. Il est le quatrième dirigeant de cette organisation développée en dehors du territoire national et dépourvue d’assise populaire. L’un de ses prédécesseurs, Moaez Al Khatib a eu l’occasion de se repentir d’avoir contribué à la destruction de son pays.

Les Us(a) ont livré en 2014 pour 300 millions de dollars d’armement aux forces armées régulières irakiennes. Début 2015, ils vont fournir des chars Abrams, des Humvees, des MRAP et plein d’autres joujoux comme des M16.

L’organisation Conflict Armament Research, basée à Londres, vient de révéler que les «jihadistes» de Daech utilisent de l’armement fabriqué aux Us(a) dont l’essentiel aurait été fourni par les Séoud aux «modérés». Les takfiristes disposent en quantité confortable de M16 et de roquettes anti-char M79.

Toutes les conditions du maintien d’une guerre de basse intensité prolongée sont correctement réunies.

Sauf que les appendices lointains de l’Empire (ou du Système) s’égaient et folâtrent, attentifs à tirer profit de la situation «overstreched» de ses forces armées et son réseau de surveillance et d’opérations spéciales.

La Turquie se concentre sur ses voisins immédiats asiatiques, dans le contexte de récession économique mondiale. La presse se fait l’écho de la raréfaction des investissements étrangers en 2014, l’attribuant à tort à une mauvaise politique de l’AKP qui certes pratique le favoritisme envers sa clientèle. Partout, la croissance est nulle si l’on n’intègre pas aux PIB la part du commerce de drogues illicites et de la prostitution. Quand périodiquement est annoncée une baisse du chômage étasunien, c’est l’activité de service de la restauration qui est mesurée. Le refus de la pleine intégration de la Turquie par l’Union Européenne – si longtemps promise par les dirigeants comme un gage d’amélioration miraculeuse de leurs conditions de vie aux électeurs turcs – devient un atout.

Ce membre de l’OTAN devient une pièce maîtresse dans l’arsenal de Poutine contre l’encerclement russe. Les conduites de gaz pour les pays de l’UE transiteront par une Turquie dont la stabilité sera d’une nécessité vitale. Les petites révolutions colorées n’auront qu’à bien se tenir, elles seraient facilement manipulables car la petite bourgeoisie citadine est la première à souffrir d’une politique de croissance basée sur l’endettement.

Erdogan s’était présenté un moment comme le champion du «printemps arabe» alors même que l’alliance militaire avec l’entité sioniste n’a jamais été démentie hormis quelques exercices conjoints différés. Parmi les multiples raisons qui ont poussé la Turquie à devenir la base de l’opposition syrienne, la fidélité à une obédience ‘islamique’ fait partie du nombre. Des liens très forts ont été tissés avec le Qatar, autre pays ami d’Israël, dont le moindre des charmes est son revenu par tête d’habitant, classé deuxième au monde juste derrière le Luxembourg, et la réserve presque inépuisable de ses fonds souverains.

Le Qatar a été sommé de renoncer à soutenir ouvertement la Confrérie sous peine d’exclusion du cartel des pays du Golfe. L’émir de 34 ans a renoué avec l’Égypte de Sissi, laissant dès lors Erdogan sans profondeur diplomatique vers les pays arabes d’autant que la Tunisie est retournée à un régime marqué par le financement séoudien.

La crise syrienne est liée à la crise ukrainienne ‘ontologiquement’.

Elles sont toutes deux des mailles du filet dans lequel il a été tenté d’étouffer la Russie.

Le déplacement de l’artère gazière du Sud de l’Europe vers la Turquie est une des manières de le desserrer.

Les «modérés» de la CNS hébergée à Istanboul dont l’existence artificielle est non aboutie et sans essence propre vont-ils continuer à être consultés comme la solution alternative au gouvernement actuel syrien ? La rencontre récente de l’envoyé des Nations Unies et les ministres des Affaires Étrangères de l’UE mi-décembre laisse présager l’amorce d’une volte-face qui n’exige plus la sortie du jeu de Bashar Al Assad au nom d’un réalisme qui tient compte de la résistance de son armée et de l’adhésion d’une bonne partie de son peuple. C’est encore une fois la France qui a eu la position la plus intransigeante voulant à tout prix empêcher que des négociations ou des accords même très partiels sur le terrain ne lui bénéficient au point de passer pour les représentants des intérêts des Séoud et/ou d’Israël.

Cette même rigidité doctrinale avec les mêmes fondements gouverne l’attitude française envers le nucléaire iranien. Seyed Hossein Moussaoui, ancien diplomate iranien actuellement enseignant chercheur à Princeton se fait le porte-parole d’Obama en plaidant pour une résolution rapide de ce problème.

Une fois la Turquie relativement soustraite à l’OTAN, faire tomber l’Iran dans l’escarcelle étasunienne affaiblirait la position russe.

Al Jazeera prête plus d’attention et de temps d’antenne aux pays d’Afrique du Nord. Une chaîne télévisuelle israélienne vient justement d’identifier avant même leur arrestation les auteurs du massacre de Charlie Hebdo comme des Franco-Algériens. (?)

Vue de Pékin, l’Europe apparaît comme une presqu’île du continent asiatique. Alstom a perdu toute chance de participer à la construction du TGV qui fera joindre Brest à Shanghai en 48 heures, la France ne sait pas honorer ses contrats.

Au total non seulement la crise ukrainienne n’a pas distrait la Russie de ses obligations vis-à-vis d’une Syrie restée fidèle à ses engagements, mais par un effet réversif, elle va contribuer à renforcer l’actuel gouvernement à Damas.

Les empires s’effondrent sous le poids de leurs armées. Il en fut ainsi du Romain comme du califat des Abbassides. Le soldat chargé de maintenir le pouvoir sur un territoire étendu et jamais totalement maîtrisé disloque son unité et y taille une principauté à la mesure de son groupe. À Bagdad entre 940 et 1258, le pouvoir réel était entre les mains de chefs d’armées qui ont supprimé la fonction civile du vizir. La force idéologique qui avait présidé à l’émergence de cette dynastie califale s’était épuisée.

La farce de la Démocratie et de la Liberté dans leur version étasunienne ne convainc plus ni n’enchante. La légende savamment construite d’une invasion soviétique toujours imminente a en son temps eu quelque adhésion. Les lamentables compositions fabricant et présentant des groupes d’Islamistes fanatiques comme le danger sans pareil de la Civilisation sont de trop mauvaise facture. Malgré les effets de choc et d’effroi.

Les outils de la recomposition d’une humanité en cohérence avec elle-même, qui n’a pu être qu’en excluant la compétition à mort entre les individus et les groupes, existent partout et déjà.

Combien d’années encore avons-nous à assister à ce collapsus atroce ?

Badia Benjelloun

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