EuroBRIC, quelles perspectives pour des alliances fiables?

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EuroBRIC, quelles perspectives pour des alliances fiables?

Sans faire de l'anti-américanisme systématique, il faut bien reconnaître que les Etats-Unis continuent à se comporter comme du temps de la guerre froide, interdisant de fait à leurs “alliés” européens de disposer de l'autonomie qui leur serait nécessaire pour négocier en toute indépendance et égalité des perspectives de coopération stratégique avec les pays du BRIC.

Le concept d'alliance fiable, en diplomatie, relève un peu de la naïveté. Chaque pays ou groupe de pays, à travers son réseau d'influences et d'alliances, cherche à consolider ses possibilités de développement, que ce soit à court ou à long terme. Les alliances sont donc d'abord opportunistes. Certaines cependant se révèlent plus durables, ou fiables, que d'autres. Comment les distinguer de celles qui le sont moins? Une première réponse consiste à regarder les forces respectives des partenaires. On peut d'estimer que les alliances qui ne reposent pas sur un minimum d'égalité dans les situations initiales, susceptibles de justifier des convergences durables entre les partenaires, sont vouées à l'échec. Plus exactement, il s'agit de pièges dans lesquels des pays dominants cherchent à enfermer des alliés plus faibles.

L'histoire a vu dès la fin de la seconde guerre mondiale années s'imposer de telles alliances obligées, dirigées par un grand pays dominant . Ce fut le cas de l'alliance atlantique, dirigée par les Etats-Unis, à laquelle s'opposait le bloc des pays du Pacte de Varsovie, sous le contrôle de l'URSS. Dans les deux cas, les pays européens membres de ces alliances n'avaient guère de choix: leur rôle était de renforcer les moyens militaires, économiques et territoriaux dont avaient besoin respectivement l'Amérique et la Russie soviétique dans leur confrontation planétaire. Aujourd'hui, beaucoup d'alliances entre pays ex-colonisés et pays ex-colonisateurs relèvent de la même ambigüité. Elles jouent majoritairement au profit des pays du Nord.

Cependant depuis une vingtaine d'années, la confrontation brutale entre deux grands ensembles, à l'Ouest comme à l'Est de l'Europe, a laissé place à ce que l'on a nommé un monde multipolaire. La compétition entre les Etats-Unis et la Russie n'a pas diminuée, malgré l'affaiblissement relatif de cette dernière, mais de grands pays dits émergents, refusant en principe de s'inscrire dans cette compétition bipolaire, sont apparus: la Chine, l'Inde, et dans une certaine mesure le Brésil. Sans se rapprocher de façon institutionnelle et durable, ils tendent de plus en plus à se concerter, dans le cadre d'une union baptisée BRIC, ou BRICS si l'Afrique du Sud s'y inclut.

L'Europe pour sa part, tant au sein de l'Union européenne au plan politique que dans le cadre d'une Union monétaire plus réduite autour de l'euro, s'est affirmée comme un acteur à prendre en considération. Il s'agit cependant encore malheureusement, selon l'expression appliquée il y a quelques années à l'Allemagne, d'un “géant économique” et d'un “nain politique”, dans la mesure ou les pays européens dans leur ensemble refusent de facto de se comporter en grande puissance indépendante. Ils n'ont pas voulu, notamment, s'affranchir de la tutelle des Etats-Unis et des intérêts financiers transatlantiques dont ceux-ci sont les représentants.

Quelques théoriciens politiques européens avaient cependant pensé que des convergences stratégiques, sinon des alliances en bonne et due forme, pouvaient rapprocher certains Etats européens, sinon encore l'Union européenne dans sa totalité, avec certains membres du BRIC. Par le terme général de convergences stratégiques, ou coopérations stratégiques, on désigne des domaines dans lesquels des accords sectoriels peuvent avantageusement être décidés entre partenaires, compte tenu de la nécessité d'affronter en commun, avec des solutions partagées, les grands enjeux auxquels les pays intéressés sont confrontés. C'est notamment entre l'Europe et la Russie, compte tenu de leur proximité géographique et culturelle, que de telles solutions avaient paru souhaitables. On avait envisagé les questions énergétiques, celles liées à la lutte contre le réchauffement climatique et pour la biodiversité, voire l'exploration spatiale. Rien n'empêchait évidemment que la Chine, puis l'Inde, se joignent à l'étude de ces solutions communes.

Il aurait été alors possible de parler d'une convergence euro-asiatique, dans laquelle chacun des partenaires aurait apporté ses propres atouts. La géographie, sinon d'autres raisons, aurait justifié une telle convergence. En cas de succès, des alliances de plus en plus poussées auraient pu rapprocher les pays européens de certains des pays du BRIC. L'Europe aurait pu alors trouver en ceux-ci des alliés, sinon indéfectibles, du moins de plus en plus fiables, dans la lutte contre les difficultés communes.

Or l'expérience de ces dernières années semble avoir montré que de tels espoirs étaient vains. Aucun accord sérieux de coopération stratégique n'a pu être précisé entre les pays européens et les membres du BRIC. Certes des dialogues ponctuels existent, mais d'une façon générale, chacun continue à jouer son jeu sans accepter une mise en commun d'objectifs ou de moyens. C'est le cas dans les domaines cités plus haut, énergie, protection de l'environnement, spatial. La grande crise financière et monétaire, qui a secoué le monde entier à partir de 2008, et qui se poursuit, aurait pu être l'occasion de rapprochement entre les pays de l'Eurozone et ceux du BRIC, afin d'échapper ensemble aux fluctuations générées par la domination du dollar, mais rien de tel ne se précise encore.

Il n'est pas nécessaire de chercher loin la raison de ces échecs, condamnant les perspectives d'un éventuel euro-BRIC. Sans faire de l'anti-américanisme systématique, il faut bien reconnaître que Etats-Unis continuent à se comporter comme du temps de la guerre froide, interdisant de fait à leurs “alliés” européens de disposer de l'autonomie qui leur serait nécessaire pour négocier en toute indépendance et égalité des perspectives de coopération stratégique. C'est le cas notamment des relations euro-russes. Tout est fait par Washington pour continuer à présenter la Russie comme un adversaire inconciliable, tant au sein de l'Otan que dans les questions économiques...ceci même au moment ou de l'avis général, la Russie a entrepris une évolution vers une société conservatrice, fortement teintée de religion, certes nationaliste mais qui pourrait parfaitement s'entendre avec la civilisation européenne. Il est vrai que la Russie continue à entretenir des forces armées non négligeables, dotées de l'arme atomique suprême. Et cela l'Amérique, dans son délire de puissance, ne le supporte pas.

Si les Européens avaient conquis à l'occasion de la crise actuelle un minimum d'indépendance au regard des intérêts financiers mondialisé dont Wall Street est l'épicentre et dont Londres est le reflet, ils auraient refusé de se laisser dicter des choix politiques contredisant directement leur souveraineté. Mais il n'y a plus de De Gaulle parmi eux, même en France. Partout règne la soumission et le refus d'assumer en toute indépendance un rôle mondial, notamment dans les relations avec le BRIC.

De l'espionnage aux cyber-guerres

On a pu s'étonner de la persistance d'un tel esprit de démission. Mais la découverte toute récente de l'emprise de la National Security Agency sur les gouvernements européens, découlant de l'affaire dite NSA/Prism/Snowden, devrait ouvrir les yeux. Il est désormais clair, grâce à l'héroïsme du lanceur d'alerte Edward Snowden, que depuis des années la NSA, la CIA, le Pentagone et plus généralement l'Etat fédéral américain, connaissaient pratiquement tout des états d'âme européens à l'égard de l'alliance euro-américaine. Nos « alliés et amis » américains étaient donc parfaitement bien armés pour détecter qui en Europe pouvait rêver d'indépendance et d'éventuels rapprochements avec d'autres puissances globales. Les pressions et manœuvres directes ou indirectes pour décourager toute tentation européenne de négocier des accords fussent-ils limités avec les voisins de l'Est ont sans doute été permanentes et couronnées de succès.

A la lumière de ce que l'on soupçonne maintenant, dans la suite des révélations faites par Edward Snowden, l'on pourrait sans doute mieux comprendre les obstacles multiples qu'ont rencontré ceux qui en Europe, hommes politiques ou industriels, avaient envisagé des convergences avec les Russes et les Chinois. C'est ainsi notamment que pourraient s'expliquer les curieuses difficultés rencontrées par les intérêts économiques allemands tentés par un rapprochement avec les Russes dans le domaine de l'énergie ou de l'armement. Tout était fait dans le même temps, évidemment, pour présenter aux Russes les négociateurs européens comme peu fiables, sinon franchement hostiles, finançant en sous-mains de fumeuses révolutions orange. .

Pour décourager chez les Européens les tentations de convergences euro-BRICS, il faut évidemment présenter la Russie et la Chine, entre autres, comme recélant des nids d'espionnage politique et industriel. Certes, nul n'a jamais prétendu que ces puissances n'utilisent pas le renseignement pour acquérir des compétences aux dépens des Européens. Mais ceux-ci le font de leur côté. Cependant, si l'on comparait – tâche évidemment impossible – l'intensité de l'espionnage américain, de tous instants et dans tous les domaines, avec celle de l'espionnage russe ou chinois, l'on verrait facilement que les moyens déployés aux détriment des Européens sont sans proportions.

Comme si pourtant, la menace de l'espionnage venant des pays du BRIC ne suffisait pas pour rendre suspecte aux yeux des Européens la fréquentation des Russes et des Chinois, les stratèges américains évoquent désormais la cyberguerre, définie comme générant des atteintes via les réseaux numériques à l'intégrité des entreprises et des Etats. Les destructions massives pouvant en résulter sont aujourd'hui de plus en plus évoquées par la propagande américaine pour rendre suspectes toutes perspectives de coopération euro-BRICS.

Cette démarche agressive à l'encontre des pays du BRICS ne s'exerce pas seulement au détriment de la souveraineté européenne (ou de la souveraineté brésilienne dans le cas précis de ce pays et de ses voisins d'Amérique Latine). Elle commence à s'exercer maintenant au détriment de la paix mondiale, dans son sens le plus large. C'est ainsi que l'on peut lire dans la presse officielle américaine de plus en plus d'articles alarmistes dénonçant la Chine comme menant, voire en train de gagner, une cyberguerre contre les Etats-Unis. Les esprits les plus échauffés outre-atlantique en viennent à exiger de la part du Pentagone de véritables ripostes nucléaires, sans vouloir évoquer les risques immenses pouvant en découler (voir notre article). Il est clair que dans cette ambiance, toute personne recommandant en Europe l'amorce de processus de rapprochement euro-BRICS sera vite présentée comme coupable de haute trahison.

Nous ne disons pas ici que les Russes, Chinois et autres membres du BRICS soient des enfants de chœur. Nous disons seulement que si les Européens étaient capables de revendiquer un minimum d'autonomie dans les rapports internationaux, ils devraient ne laisser à aucune autre puissance tutélaire le soin de défendre leurs intérêts. S'ils voulaient vraiment se défendre, ils ne manqueraient pas de moyens en propre. Mais l'idée même d'une défense européenne autonome, hors Otan, a déserté les esprits.

Nous souhaitons évidemment, ayant soutenu le mouvement d'opinion justifiant la démarche euro/BRIC, que ce diagnostic pessimiste soit démenti. Mais pour le moment nous n'en voyons pas l'amorce, tout au moins à une échelle suffisante permettant à l'Europe de se constituer, selon la formule, en global leader.

Jean-Paul Baquiast

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