Une évolution israélienne sur l’Iran?

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Un lecteur que nous remercions, J.P. Basquiat, nous signalait en commentaire d’un de nos textes Bloc-Notes, par une intervention en date du 2 novembre, un article de l’expert de l’université hébraïque de Jerusalem, Martin Van Creveld. L’article, sur l’Iran et le nucléaire, a été publié le 2 novembre dans Le Monde.

C’est un article curieusement construit. L’essentiel du texte nous montre qu’une attaque contre l’Iran peut se faire sans le moindre problème pour les attaquants (l’hypothèse général désignant évidemment les Américains ou/et les Israéliens comme attaquants), ce qui constituerait un encouragement à effectuer cette attaque. Mais la chute et la conclusion de l’article tendent au contraire à montrer : 1) qu’une attaque serait loin d’assurer que les capacités nucléaires de l’Iran seraient détruites, et 2) que, de toutes les façons, et comme le disait le général Abizaid (qui est cité par Van Creveld), “on peut vivre avec un Iran nucléaire”. (Notons, en passant, de la même façon que la chose est mentionnée, que Van Creveld ajoute, “en passant”, qu’«une longue liste d'experts» pense de même. Cela en dit long, quoique sans étonnement particulier, sur le décalage entre la pensée stratégique affichée et la pensée stratégique réelle sur cette question dans les milieux occidentaux.)

Voici la fin du texte, après que nous aient été affirmées la facilité de l’attaque et l’absence probable de riposte significative:

«Rien de tout cela ne signifie pour autant que les Etats-Unis et ou Israël doivent réagir et lancer une offensive. Il n'est pas certain que les installations nucléaires iraniennes, vastes, bien disséminées et bien cachées, puissent vraiment être éliminées, et contrairement aux attaques menées par Israël contre l'Irak en 1981 et contre la Syrie, il est cette fois impossible de compter sur le facteur surprise. Il n'est d'ailleurs pas certain que ces attaques, si tant est qu'elles soient faisables, soient d'une quelconque utilité.

»Depuis 1945, il ne s'est guère passé une année sans que ne se fassent entendre des voix, pour la plupart américaines, prédisant au monde les pires tourments si de nouveaux pays devaient se doter de l'arme nucléaire. Mais jusqu'ici, rien n'a donné raison à ces Cassandre. Bien au contraire : partout où l'arme nucléaire a fait son apparition, ses détenteurs ont cessé de se livrer des guerres à grande échelle. Notons que le général John P. Abizaid, ancien commandant en chef des forces américaines au Moyen-Orient, est venu s'ajouter à une longue liste d'experts qui, comme lui, estiment que le monde peut tout à fait vivre avec un Iran doté de l'arme nucléaire. Voilà un point de vue dont il faut tenir compte si l'on veut éviter que la pose anxiogène de Mahmoud Ahmadinejad ne pousse quiconque à commettre une bêtise.»

Van Creveld est un expert très réputé, notamment pour son originalité d’esprit, notamment pour ses travaux sur la “guerre de quatrième génération” (G4G). Il est souvent cité par William S. Lind et tend à être classé dans la même école de pensée stratégique. (Nous serions assez d’accord avec l'évaluation de Van Creveld de la capacité de riposte de l’Iran. Mais nous pensons que les conséquences déstabilisatrices d’une attaque viendraient de façon indirecte, d’une façon difficile sinon impossible à prévoir, c’est-à-dire d’une façon inattendue. Cette imprévisibilité est aussi un facteur essentiel de la G4G.)

Par ailleurs, Van Creveld est très bien informé des tendances et perspectives stratégiques en Israël. Son intervention est donc éventuellement significative d'un climat. Elle vient en même temps, à quelques jours près, qu’il ait été annoncé (par Haaretz, le 25 octobre) que la ministre israélienne des affaires étrangères Tzipi Livni pense depuis un certain temps qu’un Iran nucléaire “ne poserait pas une menace existentielle contre Israël”. D’autre part, ce même texte de Haaretz rappelle une affirmation dans le même sens, faite quelques jours plus tôt par un ancien chef du Mossad. Voici le passage du texte d’Haaretz à propos de ces deux affaires:

«Foreign Minister Tzipi Livni said a few months ago in a series of closed discussions that in her opinion that Iranian nuclear weapons do not pose an existential threat to Israel, Haaretz magazine reveals in an article on Livni to be published Friday.

»Livni also criticized the exaggerated use that Prime Minister Ehud Olmert is making of the issue of the Iranian bomb, claiming that he is attempting to rally the public around him by playing on its most basic fears. Last week, former Mossad chief Ephraim Halevy said similar things about Iran.»

Tout cela fait beaucoup pour Israël, dans un sens inattendu. Il faut aussi rappeler que des déclarations semi-officielles avaient déjà été faites il y a un an, par des sources gouvernementales, selon lesquelles la vraie crainte du gouvernement à propos d’un Iran nucléaire était moins la menace elle-même que les effets de cette menace sur les courants migratoires. La crainte est que de nombreux Israéliens quittent leurs pays à cause de la situation d'un Iran nucléaire et que l’immigration vers Israël soit freinée. (Dans ce cas, la politique dénoncée par Livni de jouer sur la terreur du public de la bombe iranienne fait s’interroger sur le bon sens du gouvernement Olmert. Ce type d’interrogation concernant l’un ou l’autre gouvernement occidental engagé dans “la guerre contre la terreur” n’est pas nouveau.)

Il semble possible d’avancer l’hypothèse qu’un courant nouveau apparaît en Israël, comme aux USA d’ailleurs, tendant à considérer de façon beaucoup plus relative la “menace iranienne”. L’évolution est intéressante, parce qu’elle est à peu près à l’inverse de celle qui a précédé le conflit irakien. Dans ce dernier cas, il y eut une montée régulière de tension vers le paroxysme précédant la guerre. Avec le cas iranien, il semblerait que le paroxysme ait précédé tout débat, toute évolution de la tension, et que l’évolution de la réflexion publiquement affichée aille plutôt vers une relativisation de la menace.


Mis en ligne le 4 novembre 2007 à 06H31