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Article : Zeus, l'Olympe devient glissant

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Le système courageux mais pas téméraire fait le dos rond et colmate les brèches

Pascal B.

  20/07/2017

D'abord une petite précision patronymique pour mieux souligner la dimension aristocratique du personnage dont le véritable nom à l'état-civil est : Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon.

Ensuite nous pouvons voir dans le choeur unanime des commentateurs à saluer le général la conscience aiguë de la grosse bourde du jeu fils prodigue qu'il convient de rattraper avec humilité étant donné le caractère très sensible de la situation : la conjugaison d'une armée très populaire et de la figure emblématique d'un général très apprécié. La charge politique de ce cocktail renforcée par l'éclat d'une démission sans précédent depuis 1958 est prise très au sérieux par les gardiens du système placés ici en tuteur du fils prodigue. Il y a urgence à brosser le bon peuple dans le sens du poil et à ne surtout pas donner prise à l'idée d'une opposition frontale entre d'un côté un pôle mediatique systematiquement solidaire du pouvoir présidentiel et de l'autre un général chef d'une armée incarnant la défense de la nation France et jouissant d'une très bonne appréciation dans le peuple.

Enfin toujours pour caractériser cette "grande stratégie de l'honneur" et  la "tactique lucide de la parole donnée",  citons les mots de celle des "Lettres à un jeune engagé"  publiée sur le Facebook du CEMA dès le 14 juillet soit le lendemain du prurit d'autoritarisme du chef de l'Etat  :

Confiance
14 JUILLET 

Mon cher camarade,
« Confiance, confiance encore, confiance toujours ! ». C’est par ces mots que le général Delestraint conclut ses adieux à ses compagnons d’armes, au mois de juillet 1940, à Caylus. Alors même que la défaite est actée, son discours est une exhortation ferme à rejeter toute « mentalité de chien battu ou d’esclave ».
Quelques mois plus tard, conformant ses actes à ses paroles, il prend la tête de l’Armée secrète. Arrêté, torturé puis déporté, il meurt au camp de Dachau, le 19 avril 1945, moins de trois semaines avant la victoire, dont il a été l’un des artisans les plus actifs.
Ce qui m’a toujours frappé dans cette recommandation du général Delestraint, c’est d’abord ce qu’il ne dit pas. Il ne dit ni « en qui », ni « en quoi » avoir confiance. A ses yeux, le plus important est, avant tout, cet état d’esprit singulier – cet « optimisme de volonté » - qui choisit de voir la plus infime parcelle de lumière au cœur des ténèbres les plus noires.
La confiance, c’est le refus de la résignation. C’est le contraire du fatalisme, l’antithèse du défaitisme. Et, en même temps, il y a dans la confiance une forme d’abandon. Agir sans s’abandonner, c’est faire preuve d’orgueil. S’abandonner sans agir, c’est se laisser aller.
Choisissons, donc, d’agir comme si tout dépendait de nous, mais sachons reconnaître que tel n’est pas le cas. Autrement dit, si toute notre foi, tout notre engagement et notre détermination sont nécessaires, ils sont à jamais insuffisants pour envisager la victoire. La vraie confiance réconcilie confiance en soi et confiance en l’autre.
La confiance en soi, d’abord. Vertu essentielle qui se construit dès l’enfance. Vertu qui naît des obstacles surmontés. C’est le cas dans les stages d’aguerrissement, que certains d’entre vous ont vécus. Ils vous révèlent vos capacités réelles qui dépassent, de beaucoup, ce que vous auriez pu imaginer. La confiance en soi est un moteur. Elle libère les énergies et encourage à l’action. Les fausses excuses tombent. Tout ce dont je suis capable devient possible !
La confiance dans l’autre, ensuite. Celle par laquelle je reconnais que je ne peux pas tout ; que le salut passe autant par mon camarade, mon chef, mon subordonné que par moi-même. Par cette confiance, je m’assume dépendant. Cette reconnaissance est le ciment de nos armées. La confiance mutuelle fait notre unité, en même temps que notre assurance. C’est elle qui fait dire au capitaine de Borelli, considérant ses légionnaires : « Par où pourrions-nous bien ne pas pouvoir passer ? ».
La confiance dans le subordonné est, particulièrement, féconde. On a pris l’habitude de lui donner un nom savant : la subsidiarité ; mais ça ne change rien. Comme chef d’état-major des armées, je mesure chaque jour davantage à quel point je suis dépendant de l’action de chacune et de chacun d’entre vous. Seul, je ne peux rien. Ensemble, rien n’est impossible !
Je terminerai par une recommandation. Parce que la confiance expose, il faut de la lucidité. Méfiez-vous de la confiance aveugle ; qu’on vous l’accorde ou que vous l’accordiez. Elle est marquée du sceau de la facilité. Parce que tout le monde a ses insuffisances, personne ne mérite d’être aveuglément suivi. La confiance est une vertu vivante. Elle a besoin de gages. Elle doit être nourrie jour après jour, pour faire naître l’obéissance active, là où l’adhésion l’emporte sur la contrainte.
Une fois n'est pas coutume, je réserve le sujet de ma prochaine lettre.
Fraternellement,
Général d’armée Pierre de Villiers.

Et en annexe l'ultime communiqué du général d’armée Pierre de Villiers du 19 juillet 2017.

J’assume les responsabilités de chef d’état-major des armées depuis trois ans et demi. Je suis pleinement conscient de l’honneur qui m’est fait, de la confiance qui m’a été accordée et des devoirs qui sont attachés à cette fonction. J’ai toujours veillé, depuis ma nomination, à maintenir un modèle d’armée qui garantisse la cohérence entre les menaces qui pèsent sur la France et sur l’Europe, les missions de nos armées qui ne cessent d’augmenter et les moyens capacitaires et budgétaires nécessaires pour les remplir. Dans le plus strict respect de la loyauté, qui n’a jamais cessé d’être le fondement de ma relation avec l’autorité politique et la représentation nationale, j’ai estimé qu’il était de mon devoir de leur faire part de mes réserves, à plusieurs reprises, à huis clos, en toute transparence et vérité. Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l’a acceptée. J’éprouve une vraie reconnaissance envers nos soldats, nos marins et nos aviateurs avec lesquels j’ai partagé ma vie, pendant quarante-trois
années, au service de la nation, en toute sincérité. Je sais pour les connaître qu’ils continueront à assurer la mission aux ordres de mon successeur avec autant de détermination et de fidélité. Je reste indéfectiblement attaché à mon pays et à ses armées. Ce qui m’importera, jusqu’à mon dernier souffle, c’est le succès des armes de la France. Général d’armée Pierre de Villiers

 

Aristocratie

jc

  21/07/2017

Platon classe les régimes politiques en:

    La première, l'aristocratie, qui est celle où les personnes les plus recommandables sous les rapports moraux commandent;
    La seconde, la timocratie, qui est celle où le pouvoir est entre les mains des ambitieux;
    La troisième, l'oligarchie, qui est celle où l'état n'a qu'un petit nombre de chefs;
    La quatrième, la démocratie, qui est celle où le peuple a toute autorité;
    La cinquième, la tyrannie, qui est la dernière et la pire.

On trouvera dans Wikipédia (La république, livre VIII) un résumé de la logique qui a amené Platon à faire cette classification (périodique?) des régimes politiques.

René Thom reprend cette analyse dans "Révolutions, catastrophes locales" (Apologie du logos) en mettant l'accent sur la stabilité structurelle des régimes: "Le problème qui va nous occuper est le suivant: existe-t-il en histoire des "champs morphogénétiques", des "chréodes"? [...] La partie la plus fragile de notre champ morphogénétique concerne évidemment la phase finale, le régime de restauration qui s'installe après la chute du dictateur. [...] L'explication de la stabilité du champ proposée ici repose premièrement sur une théorie de l'origine du pouvoir dans les sociétés humaines, et deuxièmement sur un modèle géométrique, inspiré de la théorie de l'élasticité."

L'aristocratie constitue la crème de la société, les aristocrates étant les "meilleurs" et sont à ce titre "naturellement" appelés à gouverner. Et pour Platon les "meilleurs" sont les philosophes.

A ma connaissance Thom parle très peu de sociologie:
1. il en formule ce qui est pour lui le problème central, l'aporie fondatrice, dans "Thèmes de Holton et apories fondatrices" (Apologie du logos), en des termes d'ailleurs analogues à l'aporie qui, selon lui, fonde la biologie;
2. l'article précité;
3. Trois pages (SSM, 2ème ed., pp.321 à 323) consacrées à la structure des sociétés;
4. La citation "fondamentale" suivante: "Les situations dynamiques régissant l'évolution des phénomènes naturels sont fondamentalement les mêmes que celles qui régissent l'évolution de l'homme et des sociétés" (Conclusion de SSM).
5. "Dans les sociétés la fonction crée l'organe, ça il n'y a aucun doute ... et je pense aussi que c'est le cas en biologie"  (Film de Godard sur Thom, 39'45'', https://www.youtube.com/watch?v=B1t_o_CMA_E )


Mon imagination est très nettement inférieure à celle de René Thom et ma sensibilité très nettement inférieure à celle de Philippe Grasset. Mais, contrairement à eux, je n'ai aucun rang à tenir, et je considère les blogs sur lesquels je commente comme des divans psychanalytiques sur lesquels je m'allonge. [Thom: "La voie de crête entre les deux gouffres de l'imbécillité d'une part et le délire d'autre part n'est certes ni facile ni sans danger, mais c'est par elle que passe tout progrès futur de l'humanité."...]. Ceci rappelé:

Je verrais bien comme aristocrate-philosophe le métaphysicien dont parle Thom à propos de l'arbre de Porphyre, celui capable non seulement d'atteindre le "sommet" de l'arbre mais aussi de redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas.

"L'image de l'arbre de Porphyre me suggère une échappée en "Métaphysique extrême" que le lecteur me pardonnera peut-être. Il ressort de tous les exemples considérés dans ce livre qu'aux étages inférieurs, proches des individus, le graphe de Porphyre est susceptible -au moins partiellement- d'être déterminé par l'expérience. En revanche, lorsqu'on veut atteindre les étages supérieurs, on est conduit à la notion d' "hypergenre", dont on a vu qu'elle n'était guère susceptible d'une définition opératoire (hormis les considérations tirées de la régulation biologique). Plus haut on aboutit, au voisinage du sommet, à l'Être en soi. Le métaphysicien est précisément l'esprit capable de remonter cet arbre de Porphyre jusqu'au contact avec l'Être. De même que les cellules sexuées peuvent reconstituer le centre organisateur de l'espèce, le point germinal alpha (pour en redescendre ensuite les bifurcations somatiques au cours de l'ontogénèse), de même le métaphysicien doit en principe parvenir à ce point originel de l'ontologie, d'où il pourra redescendre par paliers jusqu'à nous, individus d'en bas. Son programme, fort immodeste, est de réitérer le geste du Créateur. Mais très fréquemment, épuisé par l'effort de son ascension dans ces régions arides de l'Être, le métaphysicien s'arrête à mi-hauteur à un centre organisateur partiel, à vocation fonctionnelle. Il produira alors une "idéologie", prégnance efficace, laquelle, en déployant cette fonction, va se multiplier dans les esprits. Dans notre métaphore biologique ce sera précisément cette prolifération incontrôlée qu'est le cancer."

Bien entendu, pour nous humains, atteindre le "sommet" est illusoire et notre condition humaine nous condamne, je le crains, à tenter de remplacer une idéologie par une autre, à guérir un cancer en en provoquant un autre, tel le sapeur Camenber.

Je considère la position (nécessairement) métaphysique de Thom comme minimale puisqu'il suffit de croire en la réalité des Idées platoniciennes qu'il développe en acceptant comme "vraie" l'analogie "Développement de l'embryon"/"Développement de Taylor". Il s'agit d'un Rubicon que beaucoup ne verront pas l'intérêt de franchir, que certains ne pourront pas franchir et que, peut-être, certains parmi les certains pourront mais ne voudront pas franchir pour la raison qui suit.


La citation favorite de Thom, récurrente dans toute son oeuvre, due à Héraclite, est: "Le Maître, dont l'oracle est à Delphes, ne dit ni ne cache; il signifie." Que Thom traduit: "La Nature nous envoie des signes qu'il nous appartient d'interpréter".
Je soupçonne que Thom, à travers son oeuvre, ne nous livre pas le fond de sa pensée, qu'il ne nous dit pas tout; il se contente en maints endroits de nous envoyer des signes, de nous indiquer des directions dans lesquelles le lecteur est invité à orienter ses propres réflexions.

Ainsi, dans la citation "Porphyre" ci-dessus le "alpha" du "le point germinal alpha" n'apporte rien à la compréhension du texte (et ne renvoie à aucun alpha précédent dans le paragraphe ou, plus, dans le chapitre). Et, dans ce contexte "alpha" renvoie pour moi à Teilhard de Chardin et au "Meilleur des mondes" d'Aldous Huxley.

Je sens confusément, tel Rantanplan, que c'est dans ces directions que Thom (pour moi évidemment "alpha" d'Huxley) nous invite à nous tourner.

L'espèce "abeilles" donne l'impression d'une espèce qui a terminé son évolution, d'une espèce mature et l'observation d'une ruche donne l'impression de l'ordre, de l'harmonie et de l'équilibre chers à PhG. Peut-être est-ce ce qui attend notre espèce, pour l'instant risiblement immature? Mais, si c'est le cas, peut-être certains y verront alors une atteinte intolérable à leur liberté?