Forum

Article : Très-très Black Sunday

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Colère et Apocalypse

Didier Favre

  26/11/2017

Il ne reste rien de cet événement en dehors d'une très grande colère. Je ne vous ai jamais lu aussi énervé contre quelque chose. Je veux y réfléchir un peu.

Ce « Black Friday » est un symbole de l’américanisme dams ce qu’il a de plus vain et de plus vide. Malgré cela, il suscite en enthousiasme stupéfiant. Il est même vu comme une fête, une célébration. Dans mon esprit, il est une occasion de faire de « bonnes affaires ». Cette idée est incroyablement prégnante dans ma tête.

Je ne me sens pas seul dans cette situation. D’autres personnes, plutôt pauvres et inconscientes suivent le mouvement. Vous les appelez zombies. Je préfère penser au bétail, du bétail humain mais du bétail qui va à l’abattoir. Dans cet abattoir, c’est l’âme qui meurt même si cela est impossible.

Il me vient deux souvenirs de lecture. Bernay a introduit la manipulation inconsciente juste après la première guerre mondiale. Il a motivé les gens sur la base de nos pulsions inconscientes. Cela nous laisse radicalement sans défense face aux marchands car nous ne voyons même pas venir la manipulation. À la même époque, l’art pictural est devenu abstrait. Il y avait volonté de se libérer de la réalité. Je pense au « Carré blanc sur fond blanc » de Malevich qui commentait son oeuvre comme un triomphe de l’esprit sur la matière. Il fallait se libérer du réel pour que ne reste que les sensations vécues par l’individu se nommant artiste.

Il m’est impossible de croire que j’ai compris ici ce qui s’est passé à cette époque. Je ne peux pas croire avoir un esprit aussi vaste. Par contre, ces deux éléments (Bernay utilisant la théorie freudienne et les peintres se « libérant » du réel) me font situer l’abandon du réel pour les pulsions de l’individu isolé à cette date. Je situe à ce moment la création des zombies du « Black Friday ».

Les appareil électroniques sont également des cibles de votre colère. Vous leur attribuez une responsabilité dans la prolongation de ce désastre qui se surnomme « civilisation occidentale ». Je vous rejoins sur leurs effets. Récemment un des fondateurs d’un GAFA a admis savoir que cela aurait un effet addictif sur les enfants. Les patrons de ces boîtes interdisent à leurs enfants de toucher leurs programmes et les appareils qui vont avec. C’est un aveu de culpabilité et de conscience des dégâts qu’ils provoquent.

Pour la défense des zombies, je vous dis que ces personnes sont réduites à l’état de « pulsions à deux pattes ». Tout ce qui pourrait les sortir de cet état est combattu vigoureusement par des industries très puissantes dont la plus bénigne nous vend des savonnettes. Leur puissance se base sur une connaissance rigoureuse de nos inconscients. Leur échapper exigerait de nous de rendre notre inconscient conscient ou de le transformer d’une manière telle que les méthodes usuelles de manipulations perdent de leur efficacité. Cela n’est que la première partie de l’opération. La seconde serait de partager cette transformation pour que le maximum de gens s’échappe de cette prison dont nous sommes les barreaux.

Remarquez, je viens, un peu par accident, de définir ce qui pourrait être l’Apocalypse au sens originel du terme. Etre subitement capables de changer de niveau de conscience ou avoir des consciences si modifiées que nous cesserions de devoir nous soumettre à nos pulsions est une apocalypse.

Le Diable, avec les moyens cités plus haut, tente d’éviter cela. Je suis donc optimiste pour l’avenir mais pour l’instant, Il fait de son mieux pour tuer nos âmes.

Je me retrouve fort loin de votre colère. Elle ne peut pas concerner les zombies du Black Friday. Elle peut viser les « communicateurs » qui font le travail du Diable et ce dernier. Je vous pense fatigué de regarder ce désastre persister sans y voir de fin. Je vous pense fatigué de regarder cet assaut contre nos âmes. Je vous pense fatigué de toujours trouver pire quand vous pensez avoir trouvé le fond. Je vous pense espérer, en voyant le fin fond de ce trou noir, trouver la sortie de cette horreur. Vous y avez cru un instant et vous avez dû déchanter. Cela fait mal et vous a mis en colère.

Moi, je me suis retrouvé avec une définition de l’Apocalypse que je n’avais pas imaginé en commençant à rédiger cette réponse. Je vous en remercie.

Inventer ou découvrir?

jc

  27/11/2017


Je poste ici à cause du commentaire, qui me fait plaisir, de Didier Favre: je me sens moins seul.

Pour moi le clivage civilisationnel est là: "notre" contre-civilisation actuelle invente, la civilisation à venir découvrira.

Steiner: "[Maistre] fit valoir la congruence essentielle existant entre l’état du langage, d’un côté, la santé et les fortunes du corps politique de l’autre. En particulier, il découvrit une corrélation exacte entre la décomposition nationale ou individuelle et l’affaiblissement ou l’obscurcissement du langage : “En effet, toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage”… ».

La confusion, très courante dans notre contre-civilisation, entre découvrir et inventer est pour moi l'illustration quasi-parfaite de la citation de Steiner.

Gutenberg a inventé l'imprimerie, et Denis Papin la machine à vapeur, n'est-ce pas? Toute peine mérite salaire dans la vision bourgeoise du monde. Dès lors, Ducon ayant inventé la connerie, il est tout naturel que son invention soit protégée par un brevet: ça fait marcher le commerce. J'ai entendu dire qu'actuellement on commençait à breveter le vivant (Monsanto-Bayer, etc.)...

Thom a jadis fait un article "De l'innovation"paru dans l'EU. Voici la fin sa conclusion:
"Or toute innovation, dans la mesure où elle a un impact social, est par essence déstabilisatrice; en pareil cas, progrès équivaut à déséquilibre. Dans une société en croissance, un tel déséquilibre peut facilement être compensé par une innovation meilleure qui supplante l'ancienne. On voit donc que notre société, si elle avait la lucidité qu'exige sa propre situation, devrait décourager l'innovation. Au lieu d'offrir aux innovateurs une "rente" que justifierait le progrès apporté par la découverte, notre économie devrait tendre à décourager l'innovation ou, en tout cas, ne la tolérer que si elle peut à long terme être sans impact sur la société (disons, par exemple, comme une création artistique qui n'apporterait qu'une satisfaction esthétique éphémère -à l'inverse des innovations technologiques, qui, elles, accroissent durablement l'emprise de l'homme sur l'environnement). Peut-être une nouvelle forme de sensibilité apparaîtra-t-elle qui favorisera cette nouvelle direction. Sinon, si nous continuons à priser par-dessus tout l'efficacité technologique, les inévitables corrections à l'équilibre entre l'homme et la Terre ne pourront être -au sens strict et usuel du terme- que catastrophiques."

Pour les réalistes les idées sont réelles, elles existent en dehors de nous; il suit que, d'une part, elles ne sont pas à nous, d'autre part qu'elles se découvrent. Platon est un philosophe réaliste. Pour Aristote l'art imite la nature, art qui se disait en grec ancien "tèknè". L'imitation est-elle brevetable?

Aristote est, je crois, un philosophe réaliste (j'hésite avec conceptualiste) mais certains considèrent qu'Aristote est carrément nominaliste. Un exemple de ces "certains" est l'essayiste Paul Jorion qui tient un blog que j'ai fréquenté très assidûment pendant cinq ans pour y prêcher l'évangile thomien (sans aucun succès ni réaction -hormis quelques sarcasmes). Son essai-phare se nomme (à point nommé, Jorion est nominaliste!) "Comment la vérité et la réalité furent inventées"*. Son nominalisme et son atomisme apparaissent clairement p. 192: "Là où nous disposons aujourd'hui d'un atomisme, d'atomes génériques, d'atomes génériques désignés par des noms communs (particules plus petites que l'atome proprement dit: "bosons", "fermions"), la pensée primitive utilise des noms propres [PJ est anthropologue de formation initiale]. Ce n'est pas tellement donc, comme le dit René Thom "la physique est une magie contrôlée par la géométrie" mais que "la physique est une religion contrôlée par des noms communs." : les ravages des penseurs du discret (je rappelle qu'Aristote, Guénon et Thom sont des penseurs du continu). Ce qui est pour moi pathétique c'est qu'il lutte sincèrement contre le Système. Mais il n'a pas encore compris (comme beaucoup d'autres…) qu'on ne lutte pas contre le Système avec les armes du Système, ce contre quoi Phg nous met en garde constamment.

Quand on a légalisé l'invention, comme l'a fait le Système, tout est permis, tout est "inventable", même le plus pur simulacre, le plus pur bobard. Et là, merci à PhG, nous savons sur ce site de quoi il s'agit.

Feuilleter (e-feuilleter!) les dictionnaires à ce sujet est intéressant: dans beaucoup d'entre eux on trouve "inventer synonyme de découvrir": retour à Steiner…). (Une grotte se découvre d'abord et s'invente après: on fait l'inventaire d'une grotte après l'avoir découverte: demandez à un enfant ce qu'il en pense.)

Un physicien français "lambda" vous dira sans doute spontanément que Papin a inventé la machine à vapeur. Un mathématicien lambda vous dira quasi-certainement que Pythagore a découvert le théorème qui porte son nom. Il n'y a pas de brevet en mathématiques: apocalypse pour l'instant gratuite (pour combien de temps encore?).

Inventer ou découvrir: c'est le problème de la propriété intellectuelle qui est en jeu; et par delà le problème de la sacro-sainte propriété tout court.

* J'ai bien vérifié le titre: ce n'est pas "Comment la vérité et la réalité furent-elles inventées?": Ni "-elles" ni "?" !!!