Forum

Article : Russie-Chine, rendez-vous historique

Pour poster un commentaire, vous devez vous identifier

Inclusif

Ni Ando

  26/06/2015

Fédor Loukianov indiquait récemment que le pivot de la Russie vers l’Est était un processus de longue durée. Une économie de la taille de celle de la Russie est comme un gros paquebot qui demande du temps pour diversifier aussi profondément son sillon pro européen de base. A lire la presse russe il y a bien unanimité dans ce projet. Il ne s’agit en rien de changer de champ, mais bien plutôt d’avoir un pied dans deux labours différents: la parcelle européenne familière et bien connue des Russes et les labours chinois qui donneront des récoltes fructueuses, et au-delà toute l’Asie. C’est une stratégie inclusive, et non exclusive comme celle que pratiquent en générale les puissances de l’ouest. Personne ne sait vraiment ce que cette nouvelle orientation donnera dans quelques années. Il est cependant absolument évident que la Russie est réellement déterminée à mener cet effort dans la durée et donc qu’elle le mènera à son terme.

http://fr.rbth.com/opinions/2014/10/21/cette_europe_que_nous_avons_perdue_31269.html

L’alliance avec la Chine est culturellement compliquée à gérer pour les Russes tant ils sont culturellement profondément une branche du rameau européen. Mais entre un bloc vaguement fascisant de plus en plus dominé par l’Allemagne (on peut craindre comme E. Todd que la renaissance de l’hégémonie allemande ne fasse un jour renaître de bien hideux spectres), de plus en plus coupé du réel, et un monde chinois qui reste fondamentalement pragmatique comme d’ailleurs la Russie, aujourd’hui la branche la plus saine du monde européen, le choix était assez simple, et contraint, à faire.

Les guerres géopolitiques sont aussi des guerres culturelles. Il faut lire l’ouvrage récent de Guy Mettan “Russie -Occident, une guerre de 1000 ans” (quelque fois partial à vouloir trop convaincre) pour comprendre les racines du racisme antirusse qui fait la gloire pathétique de l’intelligentsia du côté ouest de l’Europe.  Il y a un réel problème, un problème de fond, dans la manière dont l’“Occident” se considère (et le nazisme allemand de 33 à 45 fait malheureusement bien partie de ce mouvement), qui n’est jamais qu’une idéologie qui ne dit pas son nom.

le point brûlant

marc gébelin

  28/06/2015

Le point brûlant est là : pratiquement en même temps on voit le Yankee attaquer l’ouest de l’Eurasie en Ukraine, sa partie orientale sur les frontières maritimes chinoises et laisser délibérément se déployer le conflit sur le flanc sud de l’Eurasie par l’entremise de… l’Etat islamique, fabriqué par eux. Si bien qu’on peut dire sans exagération qu’il attaque l’Eurasie sur trois fronts, qu’ils en ont eu l’initiative et que les deux autres protagonistes, que sont Russie et Chine subissent l’agression.
Dans la conception militaire on estime généralement que c’est celui qui a l’initiative qui a l’avantage. C’est au moins en partie vraie dans la mesure où les Us ayant beaucoup à perdre (leur domination), n’en en fait plus rien à perdre puisqu’ils ont bien compris que le rapport de force est en train de basculer et que donc ils sont prêts à incendier le monde pour garder leurs privilèges. Ils font penser à la thalassocratie athénienne d’antan qui périt du même mal : trop d’exploitation sans scrupules finit par faire que tous se lient contre toi, même ceux dont l’intérêt était de ne pas se lier contre toi. Dans le cas qui nous occupe, la Chine devenue en trente ans le « compère » économique des Usa.
Elle reste l’énigme de l’« union » qui se forge entre Russie et Empire du Milieu et qui peut-être dans un délai imprévisible mais sans doute pas très long, s’élargira à l’Inde, gros morceau aussi de cette fameuse Eurasie. Les autres inconnues sont les autres pays du sous continent indien. Le Vietnam reste méfiant de son frère chinois et resserre ses liens avec la Russie en lui offrant des bases comme s’il misait stratégiquement sur une « défaillance » chinoise (à ses yeux une trahison), comme celle qui se produisit à la fin de la guerre du Vietnam. Tout se passe comme s’il n’oubliait pas que la Russie a une Sibérie vide et très riche avec à ses frontières une Chine qui déborde, qui a besoin « d’espace vital » et de matières premières. Plus au sud la Malaisie dont les 30 millions d’habitants sont musulmans, la Birmanie et ses 50 millions sous régime autoritaire, la Thaïlande plus peuplée encore et sous régime militaire aussi, tandis que le Pakistan -et l’Afghanistan son cousin-, demeurent imprévisibles. Seul l’Iran devrait jouer la carte qui l’avantage et qui pour l’instant est celle des Russes mais peut-être pas pour l’éternité. Enfin la Turquie va nous réserver des surprises si la Syrie tombe sous les coups des djihadistes de toute obédience.
Comme cet « union » de la Russie avec la Chine n’est pas un choix libre mais imposé par les circonstances, il est certain qu’il doit faire réfléchir beaucoup de Russes qui depuis longtemps se considèrent plus européens que chinois et que donc, la diplomatie russe est obligé d’élaborer non une stratégie sur un volontarisme inspiré par son histoire et ses intérêts mais par une contrainte qui n’était pas souhaitée au départ. Cela peut être vu comme une faiblesse avec la remarque toutefois que l’histoire n’est pas avare de diplomaties mûrement et librement réfléchies qui ont aussi échoué ou provoqué des effets secondaires destructeurs. Il suffira de penser à la façon dont la Russie tsariste se laissa entrainer dans le premier conflit mondial et ce qui s’en suivit, pour savoir que certaines stratégies en apparence bien conçues et semble-t-il légitimes, peuvent mener la défaite totale si quelques révolutionnaires de talents (Lénine) s’en mêlent.
En fait pour comprendre les « associations » qui se font jour et leurs conséquences probables sur le court, moyen et long terme, il faudrait être clairvoyant dans le sens ésotérique du terme. La Russie, terre de tradition et de religion chrétiennes a vu son histoire « interrompue » 74 ans par le bolchévisme d’inspiration plus judaïque que chrétienne. Ce thème est controversé, brûlant, réputé « raciste ». Pourtant de grands esprits l’on abordé avec compétence et retenue. Sans remonter à Marx qui était juif et plutôt antijuif, on mentionnera Soljenitsyne. Récemment, Poutine tenant un discours devant des responsables juifs à Moscou a souligné que le bolchévisme avait certes condamné toute les religions comme « opium du peuple » mais que beaucoup de ceux qui condamnèrent étaient juifs et que condamner toute les religions dans un pays fondamentalement chrétien revenait surtout à interdire le christianisme. Si bien qu’aujourd’hui pas mal de penseurs russes et Poutine n’y échappe pas à la place qu’il occupe, soulignent le côté antichrétien du bolchévisme. En même temps les autorités avec la prudence et l’intelligence qui les caractérisent entretiennent avec Israël, haut lieu du sionisme judaïque allié à l’impérialisme nord américain et au djihad international, des relations les plus équilibrées possibles parce justement beaucoup de Russes juifs ou pas juifs y vivent. A cela s’ajoute ne l’oublions pas que le christianisme orthodoxe est l’ennemi et du catholicisme et plus encore du protestantisme sectiste et raciste qui s’épanouit aux Usa. Il semble aujourd’hui que les rivalités, pour ne pas dire les haines, qui opposent les deux christianismes sont considérables. Si bien que nombre de philosophes, voire de théologiens, insistent de plus en plus sur le coté chrétien des évènements actuels, y voient une parousie. Pour les gens ordinaires qui ne sont pas au fait des querelles théologiques se fait jour un trouble qui ne passe pas par les notions religieuses mais politiques et sociétales. L’abandon de l’idée de nation en bouleverse plus d’un, la notion de service public ne laisse personne indifférent et lorsqu’enfin une minorité sexuelle est en mesure d’imposer au gouvernement et aux députés de la France un mariage dit « pour tous » qui sera une mine de haines et de disputes dans les années à venir, beaucoup s’exaspèrent et voient dans Poutine, non pas le dictateur que d’après les médias il serait, mais un homme courageux et respectueux des traditions. Si bien que dans le subconscient populaire les faveurs vont plus à un Poutine qu’à un Hollande et tant pis pour ceux qui aiment Poutine à travers Marine le Pen. Tous les Français cependant n’osent pas encore le dire, leur intelligence est abusée, la culture manque à beaucoup. Jean Jaurès n’a fait aucun obstacle à la religiosité de sa femme et de sa fille et cela pour une bonne raison : il était cultivé et savait que la philosophie, à son terme, s’interroge presque de la même façon sur les fins dernières de l’homme que les religions. Ce contre quoi il luttait n’était pas la religion mais le cléricalisme et l’intolérance de ceux qui alors avaient beaucoup trop de pouvoir et en abusaient. Il faudrait que quelqu’un le rappelle un jour à Jean Luc Mélenchon le franc-maçon fier de l’être qui se pique de philosophie mais a encore un long chemin à faire avant d’en atteindre le sommet. Qu’il aille passer ses vacances au mont Athos.
La Russie sur le long terme sera le pays, les Russes seront le peuple, qui redonneront à nos pays, à notre occident un peu de son âme perdue dans un athéisme arrogant et irrespectueux qui s’habille du nom usé de laïque et qui défile pour soutenir une bande d’infantiles qui font pourtant de très mauvais dessins et des légendes pires encore. Paix à leurs âmes abusées.
Enfin, aujourd’hui dimanche, notre Valls national-catalan-socialiste a osé à la radio parler de conflits de civilisation. En évoquant le dernier happening djihadiste sur notre sol. Devinez d’où lui vient l’expression et devinez à quoi elle va lui être utile? Devinez enfin ce que les Grecs vont dire à ce même Valls et à sa clique bruxelloise… La Grèce est orthodoxe, mieux vaut ne pas l’oublier. La Grèce est courageuse elle l’a montré contre les Italiens et contre les Allemands qui la pillèrent sans scrupule et qui maintenant tentent, en égoïstes qu’ils sont, de détruire ce que ses colonnes de panzers n’ont pas réussit à détruire. Les élites bruxelloises y pensent-elles? La Merkel a-t-elle un cerveau ou se fit-elle à celui de Schäuble qui a préféré se refugier dans ses jambes avec le résultat que l’on sait ?

Un esprit de poulailler déja en 1761.

Ni Ando

  28/06/2015

“C’est aussi à cette époque que parut le “Voyage en Sibérie fait en 1767” (avec la description du Kamtschatka) de l’abbé-astronome Jean Chappe d’Auteroche. D’Auteroche est le représentant typique de l’intellectuel éclairé des Lumières. Pourtant son regard est complètement faussé par les préjugés. Envoyé à Tobolsk en Sibérie pour observer le fameux transit de Vénus sous le disque du soleil, fixé au 6 juin 1761 (la mission fut un succès scientifique), il ramena de son voyage un récit très négatif pour la Russie mais qui fit date en France. Comme dit l’un de ses critiques, il « se borne souvent à copier ses devanciers: il parle de choses qu’il n’a point vue et celles qu’il a observées l’ont été avec beaucoup de légèreté ».
Cette relation, pleine de faits et de détails curieux, est truffée d’observations désobligeantes. Tout y est négatif en particulier la vie sociale russe et l’état d’abaissement du peuple, soumis au servage. L’auteur donne I’impression de n’y avoir rencontré que brutalités, ivrogneries, coups de fouet et supplices. Les gravures qui accompagnent l’édition de 1768 sont on ne peut plus explicite tant l’auteur semble se délecter - il est contemporain de Sade qui fera un éloge du knout russe comme instrument de torture - des supplices russes. Tout y est minutieusement décrit, avec des spectateurs qui semblent prendre plaisir au spectacle des femmes dénudées punies à coups de fouet, dans une sorte de mise en scène qui « crée une pornographie de la barbarie ». L’ouvrage fut très bien accueilli en France et obtint l’honneur d’être réfuté par l’impératrice Catherine II de Russie elle-même, furieuse de la description de son pays. En 2003, Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie Française et originaire de Russie, a publié un livre dans lequel elle présente les deux versions qu’elle place à égalité sur le plan de la connaissance. Ce qui est au moins reconnaître qu’une même réalité peut avoir deux facettes.

Le point de vue antirusse d’Auteroche n’a donc rien d’exceptionnel, mais son livre est intéressant parce qu’il est très contemporain du récit qu’un capitaine de bateau japonais nommé Kôdayû a fait de la Sibérie et de la Russie de Catherine II. Or le Japonais n’y a pas du tout vu les mêmes choses que le savant français « éclairé ». Sa relation raconte son épopée de naufragé, échoué sur une île aléoutienne avec son équipage, avant d’être recueilli par les gouverneurs du Kamtchatka et d’Iakutsk et envoyé à la Cour de Catherine II. Il vécut plusieurs mois à Saint-Pétersbourg avant d’être finalement autorisé à rentrer au Japon. Il a appris le russe et traversé par deux fois la Russie de part en part. Son récit est recueilli et consigné par un scribe lettré, Katsuragawa Hoshù. Comme le dit le postfacier français, son récit est un «joyau de la littérature de voyage », Il raconte par le menu les mœurs, l’administration, la Cour, la cuisine, l’alcool, la nature, le peuple, la vie politique, les maisons de tolérance. Mais sans aucun jugement de valeur ni préjugé. Avec une lucidité et une sincérité totales et dépourvues de tout parti pris. Le Japonais a pourtant traversé les mêmes villes, les mêmes fleuves, assisté aux mêmes châtiments et quasiment rencontré les mêmes gens que le Français. Mais à les comparer, on croirait qu’ils décrivent deux planètes différentes, deux mondes opposés tant les impressions retenues et les expériences vécues sont dissemblables. Chez le Japonais, nulle trace du despotisme intolérable, du servage odieux et des punitions moyenâgeuses omniprésentes chez le Français. La Russie est décrite comme un pays normal, avec ses étrangetés et ses qualités, avec une empathie distanciée et dans un style qui évoque une sorte de procès-verbal poétique. Contrairement au voyageur européen, le capitaine japonais décrit ce qu’il a « vu de ses yeux », et non ce qu’il croit avoir vu, ou ce qu’on lui a raconté. La lecture des deux ouvrages est fascinante tant elle révèle l’influence - et, dans le cas de Kôdayû, l’absence d’influence - des préjugés sur la perception de celui qui écrit, et tant il apparaît que les Occidentaux semblent littéralement obsédés par le besoin de juger et d’amplifier le fossé civilisationnel existant entre leur monde et celui qu’ils visitent”.

Guy Mettan. “Russie-Occident une guerre de 1000 ans”. Editions des Syrtes. 2015.