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Article : Notre 11-novembre & Ferrero

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L'ahurissante préface de la critique de la raison pure

jc

  04/11/2018

Vue l'influence actuelle de Kant sur les milieux scientifiques français, j'imagine qu'elle a été considérable déjà de son vivant et jusqu'à maintenant sur les scientifiques allemands et sans doute sur toute la pensée scientifique occidentale. Pour moi l'ahurissante préface*, qui me fait qualifier Kant de philosophe de la culture, justifie sinon explique au centuple "Les lumières c'est l'industrie" d'un certain Gouhier à Stendhal, que PhG cite de temps à autre, et plus généralement l'idéal de puissance qui s'est emparé d'abord de l'Europe, ensuite de l'Occident et maintenant du monde entier.

Thom, "véritable"** philosophe de la nature, ne partage pas du tout cette façon de voir les choses. Il suffit pour s'en convaincre de lire les pages 15 et 16 ainsi que le premier paragraphe de la page 223 de ES. Toute son oeuvre milite au contraire, selon moi, pour un idéal de perfection.

Le traitement que lui réserve Wikipédia, où son nom n'apparaît même pas dans l'article "Mathematical and theoretical biology" est pour moi au moins aussi ahurissant que la préface de la critique de la raison pure. Idem pour l'article français Wikipédia le concernant où l'on remarque que la partie non mathématique -c'est-à-dire philosophique- de son oeuvre est seulement commentée par un "Il est notamment l'auteur de Stabilité structurelle et morphogenèse, ouvrage destiné à présenter au grand public la théorie des catastrophes en termes simples (avec quelques formules tout de même)." "En termes simples", "au grand public"... Thom écrit quelque part:

"Jusqu'à présent on n'a pas pu spéculer dans les sciences, parce qu'il y a ce tabou qu'il faut toujours trouver des choses vérifiables par l'expérience. On n'ose pas spéculer en science. C'est considéré comme irrelevant et stupide, et dangereux. Qu'on accepte l'idée qu'une certaine forme de spéculation est possible il y aura un effet libérateur considérable."

Thom quasiment censuré sur Wikipédia pour l'unique raison qu'il rejette la logique aristotélicienne et la rationalité kantienne (cf. ES pp.15 et 16)?


*: Lire  http://t.m.p.free.fr/textes/kant_crp_pref.PDF   p.2, depuis "Lorsque Galilée" jusqu'à "aux questions qu'il leurs adresse."

**: Par opposition à Newton et ses "Principes mathématiques de la philosophie naturelle"
 

Unions sacrées.1

jc

  05/11/2018

Jacques Ellul écrit quelque part que "notre" contre-civilisation, au contraire de toutes(?) les autres qui ont sacralisé la nature, a choisi de sacraliser ce qui la désacralise, à savoir la technique.

Qu'écrit Kant dans sa préface? Il écrit que la raison moderne est le maître d'école qui interroge l'élève nature avec sa raison (kantienne bien entendu). Autrement dit Kant désacralise la nature pour sacraliser à sa place la culture-surgie-des-Lumières (qu'il critique un peu?).

De ce point de vue la Bataille de Verdun a été une bataille de la nature française contre la culture allemande. Les français d'alors n'ont pas compris pourquoi ils avaient gagné la guerre de 14-18 parce qu'ils n'avaient pas lu "La Grâce de l'Histoire"*. C'est pourquoi ils se retrouvent cent ans plus tard devant une autre guerre, plus virtuelle (quoique bien réelle!): la guerre de l'intelligence naturelle contre l'intelligence artificielle. La France saura-t-elle l'affronter?**

Au fond il s'agit de la même éternelle guerre, celle entre Caïn et Abel***.


*: Et vous?

**: Thom: "Faute de pétrole on en sera réduit à revenir aux Idées." (1980)

***: Cf. le superbe chapitre XXI de "Le règne de la quantité et les signes des temps."

Unions sacrées.2

jc

  05/11/2018

Guerres de corps à corps, puis guerres de projectiles, puis maintenant guerres virtuelles, guerres des
mots. Dans tous les cas guerres des idées. Ou guerres des Idées.

Je sens très confusément, tel Rantanplan, que la guerre nature/culture (alias intelligence naturelle/intelligence artificielle) pourrait être une guerre des Idées contre les idées.

Quesaco? Je vois les choses -un peu métaphoriquement- ainsi:

En mathématiques Thom distingue les matheux de la maîtrise, en gros les résolveurs de problèmes, et les matheux de l'intelligibilité (en gros les découvreurs de problèmes)*. Il y a ceux qui tracent de nouvelles voies et lancent de vastes conjectures, en totale liberté; ceux-ci manient des Idées, tels Thom et Grothendieck**. Et il y a ceux-là qui les résolvent, dans le cadre imposé (et immuable?) aux démonstrations mathématiques; et je pressens que, pour cette raison, ils sont bridés dans leurs Idées, et que ces Idées perdent leur majusculité pour devenir de "simples" idées. Je verrais bien retrouver là la distinction entre raison humaine et raison divine faite par PhG***.

Parmi les matheux français vivants, je classerais volontiers Alain Connes en concepteur (c'est-à-dire en découvreur d'Idées?****) et Cédric Villani (Monsieur Intelligence Artificielle en Macronie) en résolveur.


*: "Les réels et le calcul différentiel" (AL p.331)

**: Le sous-titre de "La clef des songes", à savoir "Dialogues avec le bon Dieu" le suggère. (Grothendieck a qualifié dans "Récoltes et semailles" ses élèves (dont Pierre Deligne, futur médaille Fields) de tâcherons.)

***: Cf. "La crise de la raison (humaine)"

****: Alain Connes est considéré par ses pairs (et par lui-même?) comme étant hyper-platonicien.

Unions sacrées.3

jc

  05/11/2018

(Complément de Unions sacrées.3.

Dans sa métaphysique Aristote donne l'exemple d'une conjecture mathématique comme étant "en puissance" et une preuve de cette conjecture comme étant "%3

Unions sacrées.4

jc

  06/11/2018

I. Complément de réflexion sur l'élite politique.

Après décantation nocturne il m'apparaît clairement que le clivage concepteur/problem solver en mathématiques recoupe les clivages législatif/expérimentalisme en physique et législatif/exécutif en politique, et donc que légiférer est réservé à une élite dans l'élite. En physique comme en politique (je ne pense pas que ce ne sont pas les physiciens qui me contrediront).

Dans un article récent PhG faisait remarquer que les deux actuels parlements américains seraient incapables d'écrire une constitution comme l'ont fait leurs ancêtres.

Si ce qui précède a un sens alors:

1. Il me semble clair que là-bas comme ici (et ailleurs) le mode de recrutement d'une élite politique capable de légiférer est à repenser.

2. Il me semble également clair que, hiérarchiquement, c'est le législatif (conseil constitutionnel) qui est l'être premier -de loin- et que l'exécutif n'a pas à interférer sur son recrutement*.


II. Compléments sur la sexuation de la pensée.

Thom m'a convaincu que l'on pense et on agit comme on est (ce qui diffère du "Je pense donc je suis" de Descartes). Autrement dit connaître son corps (et en particulier son cerveau-proie) permet de connaître son âme et réciproquement, ainsi que l'univers: "La vieille image de l'Homme microcosme reflet du macrocosme garde toute sa valeur: qui connaît l'Homme connaîtra l'univers." (SSM conclusion). Penser l'accouplement réussi de deux concepts (par ex. puissance et acte**) comme une remontée vers l'unité primordiale provoquant un "orgasme intellectuel". (A ce sujet la catastrophe double fronce est un couplage très synergétique de deux fronces. Je ne peux me sortir de la tête qu'il y a un rapport avec l'accouplement mâle-femelle: je suis frustré de n'être que troisième couteau -émoussé-.)


III. Complément sur la guerre IA/IN.

Alain Connes: "L'important ce sont les concepts", "je mets au défi l'intelligence artificielle de créer des concepts."
("Le quantique, les mathématiques et le temps" à 1h03':
https://www.youtube.com/watch?v=tLdQqsWPAKI )

Citation qui me conforte dans l'idée qu'en politique c'est le législatif qui doit dominer l'exécutif.


*: Mais, bien entendu, le législatif doit avoir connaissance des retours d'expérience de l'exécutif. Comme en physique.

**: cf. le paragraphe "Coincidentia oppositorum" dans l'article Wikipédia sur Mircea Eliade.

Unions sacrées.3 au complet

jc

  06/11/2018

(Complément de Unions sacrées.2.

Dans sa métaphysique Aristote donne l'exemple d'une conjecture mathématique comme étant "en puissance" et une preuve de cette conjecture comme étant "en acte". Grothendieck, maître es-conjectures s'il en est, disait qu'il était le seul à avoir le souffle, que ses élèves n'étaient que des tâcherons. D'où les associations Connes/conjectureur/souffle/puissance et Villani/problem solver/tâcheron/acte.

Mon expérience vieille de 40 ans dans le milieu mathématique me permet d'affirmer que les matheux puissants sont perles très rares. De mon observation de très loin -c'est-à-dire à la TV- vieille de 50 ans il ressort que les politiciens (surtout mâles) mettent en avant leur pragmatisme** et leurs qualités d'hommes d'action (Sarkozy…). Cela donne à réfléchir sur le problème de savoir ce qu'est véritablement l'élite politique.)

                                              ———————————————


Comment libérer sa pensée pour tenter d'avoir accès aux Idées? Thom et Grothendieck répondent en choeur: par le rêve. (Cf. "La clef des songes" et la dernière phrase de la conclusion de SSM)

Mais encore?

Thom indique à de nombreux endroits de son oeuvre comment faire: en géométrisant sa pensée. Par exemple:

1. Dans ES p.16: "On ne cherchera pas à fonder la Géométrie dans la Logique, mais bien au contraire on regardera la logique comme une activité dérivée (et somme toute secondaire dans l'histoire de l'esprit humain), une rhétorique. Ici, on ne cherchera pas à convaincre mais à étendre l'intelligibilité du monde. au lieu de fonder logiquement la Géométrie, on cherchera à fonder le logique dans la géométrie."

2. Dans AL p.33: "Ce n'est pas un hasard si, finalement, l'une des meilleures applications de la théorie des catastrophes est encore le modèle de Christopher Zeeman. Malgré son caractère non quantitatif, qui a suscité la dérision des scientifiques professionnels, il a l'avantage inestimable de montrer ce qui fait la supériorité d'un modèle géométrique sur une construction conceptuelle. Expliquer linguistiquement son contenu oblige à des paraphrases compliquées dont la cohérence sémantique n'est pas évidente."

3. Dans AL p.561: "Car le monde des Idées excède infiniment nos possibilités opératoires. Et c'est dans l'intuition que réside l'ultima ratio de notre foi en la vérité d'un théorème -un théorème étant avant tout, selon une étymologie aujourd'hui bien oubliée, l'objet d'une vision."

Ainsi, pour avoir accès aux Idées, il est préférable, selon Thom, d'être visionnaire plutôt que dictionnaire (ce qui, sur le mode donateur/donataire laisse entier le problème des éventuels visionneur et du dictionneur).

A l'appui de ces citations Thom écrit dans un article "princeps" "Toplogie et signification" (MMM p.227):

"Il est tentant de penser qu'à cette époque [présocratique] l'esprit était encore en contact quasi direct avec la réalité, les structures verbales et grammaticales ne s'étaient pas encore interposées comme un écran déformant entre la pensée et le monde. avec l'arrivée des sophistes, de la Géométrie euclidienne, de la Logique aristotélicienne, la pensée intuitive fait place à la pensée instrumentale, la vision directe à la technique de la preuve."


Mais encore?

Je pense qu'il faut opérer une libération sexuelle de la pensée (ce que fait quasi explicitement Grothendieck). Thom: "Il faut regarder tout concept comme un être amiboïde qui réagit aux stimuli extérieurs émettant des pseudopodes et phagocyte ses ennemis." Ceci exigera -pour qui veut atteindre cette libération- à resacraliser la sexualité (comme le suggère la dénomination de l'os sacrum).

*: Cf. "Unions sacrées.2"

**: Thom: "Le pragmatisme n'est que la forme conceptualisée d'un certain retour à l'animalité" (qui me semble assez bien coller au "dealer-hyperactif-camelot-qui-fait-des-démonstrations" Trump)