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Article : L'horreur technologique

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technologie , renseignement , keegan vu par haljakna Vincze

geo

  03/05/2006

L historien militaire jette-t-il son gant à la face de la communauté du renseignement?
/commentaire du livre : John Keegan, Intelligence in War/, Könyvjelző, décembre 2005

John Keegan, l’un des historiens militaires les plus connus au monde, étudie cette fois-ci une question souvent évoquée tant dans l’univers de la fiction que dans celui de la politique : le renseignement. De manière inhabituelle et avec des conclusions inhabituelles. Car Keegan se propose d’embrasser toute la période « depuis Napoléon jusqu’à Al-Qaïda » pour y regarder de plus près le rôle exact joué par les espions et les décrypteurs dans l’issue des batailles. Et il en conclut que par rapport aux légendes qui les entourent, ce rôle n’est peut-être pas aussi grand.
L’auteur qui enseigna l’histoire militaire pendant un quart de siècle à l’Académie royale militaire de Sandhurst met les choses au clair d’entrée de jeu : « Ce livre vise à répondre à une question simple : quelle est l’utilité du renseignement en temps de guerre ? ». Et du même coup Keegan y apporte sa réponse selon laquelle « La victoire est un trophée difficile à obtenir, elle s’acquiert plus par le sang que par l’intellect. L’information n’est pas le maître mais le serviteur du combattant ». En y ajoutant que « la guerre est une activité non pas mentale, mais brutalement physique ».
Cette approche provocatrice est en partie une réaction par rapport à la tendance actuelle à surestimer systématiquement le rôle du renseignement sous l’effet des films d’espionnage et du délire technologique. Sir John va à contre-courant des idées à la mode qui voient dans l’information l’alpha et l’oméga de la conduite de la guerre. Et il a entièrement raison. Dans son livre, c’est à travers une pléiade de descriptions de batailles et de campagnes qu’il compte démontrer le caractère illusoire de ces conceptions. Il observe que « le renseignement est un élément nécessaire, mais pas suffisant pour remporter la victoire ».
Il convient de remarquer que ce constat vaut pour tous les éléments constitutifs de l’acte militaire, de la puissance des armes à la bravoure des soldats, en passant par les moyens logistiques. Néanmoins, Keegan a le mérite de remettre les choses à leur place : pour important qu’il soit, le renseignement n’est qu’une des composantes du réseau d’interdépendances complexe où se déroulent les batailles et les guerres.
En fin de compte, l’analyse détaillée des différents épisodes historiques nous envoie un message on ne peut plus actuel. Il va au cœur même du clivage qui divise aujourd’hui les théoriciens du domaine militaire. Et paradoxalement, le résultat est en parfaite opposition avec l’engagement personnel de Keegan. Car cet historien britannique, marqué par une admiration et une indulgence extrêmes pour les Etats-Unis, finit par remettre en question, bien malgré lui, les fondements mêmes de la pensée stratégique américaine.
En schématisant, il est possible de distinguer deux courants (ou paradigmes stratégiques) qui s’opposent au sujet de la nature profonde de la conduite de la guerre : les approches scientifico-rationnelle et historique. D’après la première, la guerre constituerait un monde à part, régi par des facteurs constants. Elle pourrait donc être appréhendée par une théorie universelle indépendante des spécificités de tel ou tel conflit particulier. Par conséquent, la « connaissance dominante du champ de bataille » et la « supériorité écrasante » qui résultent de l’évolution spectaculaire des technologies de l’information mèneraient tout droit à l’invincibilité.
Les partisans de l’autre approche réfutent cette vision mécanique : pour eux, la guerre peut seulement être appréhendée dans son contexte historique, en tenant compte d’une multitude d’éléments conjoncturels. Les conflits sont indissociablement liés à des conditions externes (politiques, culturels etc.), leur issue est largement influencée par des variables dits secondaires (d’ordre psychologique par exemple), et ils ne peuvent en aucun cas se concevoir sur des bases strictement rationnelles.
En tant qu’historien, Keegan est d’emblée moins enclin aux grandes théories universalisantes qu’à l’étude des cas concrets. Tout en reconnaissant l’importance indéniable du facteur technologique, il met toujours en évidence l’incertitude inhérente et la dimension humaine. Car, selon lui, « l’information ne vaut que l’usage que l’on en fait ». Or, sur ce point, des éléments tel le hasard, l’opiniâtreté, la vanité, la paresse, la soif de vengeance, l’hésitation ou l’impatience peuvent tous jouer un rôle déterminant. Comme les faits militaires des siècles passés nous l’illustrent parfaitement.
(Hajnalka Vincze, L historien militaire jette-t-il son gant à la face de la communauté du renseignement?, /commentaire du livre : John Keegan, Intelligence in War)

Elites aux abois

Crapaud Froid

  06/03/2009

Que l’emploi massif de hautes technologies soit un échec du modernisme et de l’américanisme pour ses piteux résultats sur le terrain, voilà une conclusion facile à admettre.
Mais qu’en pense le Pentagone ? Poussé par l’opinion qui ne veut pas de morts américains, et par les scientifiques qui lui promettent qu’aucun problème ne résiste à l’analyse, il ne lui paraît pas ridicule de mettre 6 $milliards sur la table pour détecter à distance d’avion un véhicule suspect. Pour lui, l’échec de la technologie n’est pas consommé, pas plus qu’il ne le fut au terme de la Grande Guerre.

Ainsi persiste ce qui caractérise à mon sens cette « rupture de civilisation » : l’aveuglement. Dans les cultures traditionnelles, la capacité à voir venir le danger, y compris dans un rêve, était l’apanage des sages. Aujourd’hui, ce rôle est dévolu aux intellectuels et scientifiques, mais rien n’est prévu pour prendre en compte leurs oracles angoissés. Comme dans une névrose, ceux-ci sont refoulés de force et par tous les moyens, ce qui incite à considérer le virage anti-démocratique du 9/11 comme le signe d’une élite aux abois. La conclusion selon laquelle : « La “croisade” en Irak n’est pas celle de l’Occident contre les musulmans mais celle de notre idée de la technologie maîtresse du monde contre notre angoisse inconsciente que cette idée soit fausse. » implique le refoulement des voix dissidentes qui montent d’en bas : le « laboratoire in vitro de notre grande crise » se double d’un théâtre in vivo destiné aux masses occidentales, pour les maintenir dans l’illusion, inspirée du christianisme, qu’il n’y a pas d’autre voie possible.