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Article : L’essoufflement en peau de chagrin

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Marcel

Pascal B.

  08/04/2019

Gaucher

Derrida, Thom et la double contrainte

jc

  09/04/2019

Je ne connaissais la pensée de Derrida qu'à travers ce site¹, site où les déconstructeurs n'ont pas bonne presse (et je ne voyais jusqu'à présent aucune raison de m'opposer à cette façon de voir les choses). Ma position a changé en deux jours. Car en deux jours j'y ai vu se croiser les routes de Thom et de Derrida (ce qui m'a étonné parce que dans sa carte du sens⁰ Thom place la littérature post-moderne au bord de la mer de l'insignifiance).

I. Avant hier.

À la lecture du "Le mythe de la virilité" de la philosophe Olivia Gazalé et particulièrement de la sixième partie "La déconstruction du monde viril" où OG retrace l'émergence de la différenciation des concepts de sexe (pour moi "génétique") et de genre (pour moi "épigénétique"), ainsi que l'émergence de la théorie "Queer" du genre qui postule que le genre "épigénétique" peut balayer continûment le spectre qui va de la femme idéalement féminine à l'homme idéalement viril (quid d'une théorie "Trans", c-à-d du changement de sexe "génétique"?). (Dans les dernières lignes de sa conclusion OG appelle de ses voeux "l'enthousiasmante naissance de masculinités" face à la désolante² fin de l'homme viril.)

Derrida est cité dans cette partie, en particulier p.477: "Au delà la différence binaire qui gouverne la bienséance de tous les codes, au delà de l'opposition féminin/masculin [...], je voudrais croire à la multiplicité de voix sexuellement marquées, à ce nombre interminable de voix enchevêtrées, à ce mobile de marques sexuelles non identifiées dont la chorégraphie peut entraîner le corps de chaque individu, le traverser, le diviser, le multiplier, qu'il soit classé comme un homme ou une femme selon les critères en usage."

À travers un jargon qui m'est inhabituel, je vois là nettement apparaître chez Derrida un penseur pour lequel il y a une relation de continuité entre les genres "épigénétiques" masculin et féminin; ce qui me renvoie aussitôt à Thom, penseur du continu affirmé et affiché.

II. Hier

À la lecture du lien "Double contrainte" de l'article présent "L'essoufflement en peau de chagrin", où la double contrainte me renvoie instantanément au thomien "Le prédateur affamé est sa propre proie" que Thom considère comme étant à la base de l'embryologie animale et que je personnalise ("je" mis pour Macron) pour la mettre au diapason de l'article en la paraphrasant en l'injonction paradoxale: "Je suis à la fois prédateur et proie".

L'exemple -pour moi archétypique- que donne Thom d'une injonction paradoxale n'est pas celui de l'âne de Buridan (proposé par Wikipédia) mais celui de l'oiseau fasciné par le serpent,car la forme du serpent est pour Thom une forme génétique (et non épigénétique) pour l'oiseau (un petit serpent est un ver, une proie, un gros serpent est un prédateur).

Je note avec intérêt que l'article évoque que toute solution logique au problème de la double contrainte se heurte au sacro-saint principe de non contradiction et donc que toute solution ne peut se faire que dans le cadre d'une logique paraconsistante, logique âprement défendue par Thom³.

Aux ébauches de solutions proposées par Wikipédia Thom propose l'explication "catastrophique" suivante: pour lui il faut briser le cercle vicieux représenté par le lacet de prédation associé à la catastrophe "fronce" en haussant le niveau de la façon suivante: un choc affectif permet de déformer la "fronce" en la compliquant en "papillon" (mathématiquement on complique un potentiel en x⁴ en un potentiel en x⁶), faisant apparaître une poche de compromis qui élimine le paradoxe⁴.

Et -the last but not the least- en lisant la partie philosophie de l'article Wikipédia largement consacrée à Derrida, je me demande si ce dernier n'essaye pas, avec son concept de différance, d'exprimer les idées thomiennes ci-dessus dans un jargon qui ne m'est pas familier -il n'y a peut-être qu'un pas entre différance derridienne et différenciation-différentiation thomienne (l'analogie entre différenciation cellulaire et différentiation des fonctions étant, je le rappelle, fondamentale dans l'oeuvre de Thom)-.


⁰: http://strangepaths.com/forum/viewtopic.php?t=41

¹: Cf. le moteur de recherche de Dedefensa

²: Certainement pour Éric Zemmour, cf. "Le premier sexe"

³: Et aussi (entre autres?) les épistémologues belges Lambert et Hespel via leur article "De la topologie de la conciliation à la logique de la contradiction" dont j'ai parlé à plusieurs reprises dans mes commentaires.

⁴: Thom décrit en détail dans ES pp.72 à 74 un modèle qui, je subodore, "colle" correctement pour le double bind.