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Article : Le crâne américain : minceur durable ou désintégration ?

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Dans le monde réel

Alexis Toulet

  09/11/2018

Dans le monde réel, la production de pétrole du Golfe représente environ 40% du total mondial, tandis que ses réserves comptent pour plus de 65% du total. C'est donc la part et l'importance des pays du Golfe qui augmentera au fur et à mesure de l'épuisement du pétrole, après le pic pétrolier, lequel ne tardera pas. La plus grande partie du pétrole du Golfe est sous le contrôle militaire des Etats-Unis.

Dans le monde réel, les Etats-Unis s'endettent seulement dans leur propre monnaie, qu'ils maîtrisent sans rien demander à personne. Appuyé sur leur contrôle des principales réserves de pétrole de la planète, ce système leur garantit de ne jamais avoir à "rembourser" que ce qu'ils voudront, et en monnaie dépréciée s'ils le décident.

Dans le monde réel, la Russie ne couvre que 25% de ses importations de produits industriels par des exportations industrielles, elle est aussi dépendante de l'extérieur pour l'industrie que les pays européens sont dépendants de l'extérieur pour le pétrole.

Dans le monde réel, plus de la moitié du commerce extérieur russe se fait avec les autres pays européens, même après les "sanctions" réciproques. Le commerce russo-américain a toujours été minuscule. Le commerce russo-chinois quant à lui se fait aux conditions de Pékin, qui dispose d'un fort levier sur la Russie depuis que Moscou cherche activement à augmenter son commerce avec l'Asie, et ne se prive pas de l'utiliser, qu'il s'agisse de prix du gaz, ou d'acheter à prix cassé quelques chasseurs russes dernier cri afin de pouvoir les copier à loisir.

Dans le monde réel, la Russie dépêche douze mille hommes pour son exercice militaire "Zapad" (c'est-à-dire "Ouest") en Europe… et trois cent mille pour l'exercice militaire "Vostok" ("Est") en Sibérie orientale. Moscou sait bien qu'il vaut mieux montrer sa force pour ne pas avoir à en servir, et il sait bien au-delà des rapprochements de circonstance quel est le pays qui pourrait conceptuellement monter une agression militaire d'envergure contre la Russie.

Dans le monde réel, qu'il s'agisse d'homicides, de corruption, d'inégalités de fortune, d'avortements et peut-être même de drogue, la société russe est largement plus dégradée que la société américaine - pour ne rien dire des européennes.

Dmitry Orlov est toujours un auteur amusant à lire, il lui est arrivé autrefois d'être très intéressant. Mais la réalité est incomparablement plus complexe et plus nuancée, quand ce n'est pas tout simplement complètement à l'opposé de son discours.

Et la réalité, ça compte.

Cher monsieur Toulet,

Ignace de Loyola

  12/11/2018

Dans « le monde réel », monsieur Orlov n’est plus là. Ne cherchez plus : il a pris la poudre d’escampette. Vous connaissez l’expression : prendre la poudre et s’enfuir, vite. Ecœurement et plus… Je le soupçonne même d’en tirer quelque soulagement, de s’enivrer du plaisir d’avoir pu prendre un peu de hauteur ; de cacher (par dignité ?) sa tristesse devant le spectacle du monde. Son évocation joyeuse des Bouvard et Pécuchet modernes tout entichés de techno et de statistiques pour nous démontrer que décidément, nous n’avons rien compris, mais rien du tout, que tout est super dans le monde réel, m’avait aidé moi aussi à oublier ce dernier – par hygiène. Ils avaient beau nous expliquer, les Bouvards and Co contemporains, chiffres incontestables à l’appui, que ce monde est un paradis et qu’il vole, de plus en plus vite, vers plus de progrès, plus de commerce, plus de pétrole, plus de dollars, on n’y croyait plus. La magie n’opère plus.

Et voilà monsieur Alexis Toulet qui nous brise le cœur, qui nous dit que l’Amérique est tellement puissante, tellement prospère, tellement proche de l’extase que plus rien ne vaut sinon la résignation. Malheur de nos rêves brisés, des subtiles réflexions de DeDefensa. Nous, soudain ramenés au rôle de fugitifs apeurés devant le rouleau compresseur du progrès qui devrait tous nous remplir de joie et de bonne humeur !

Si vous êtes familier de DeDefensa, il me semble que vous auriez dû savoir que la notion de « monde réel », tiré par ses avatars tous plus ou moins réussis (inversion, simulacre, trou noir, tragédie bouffe…) y est décryptée quotidiennement et qu’on s’y est mis d’accord (implicitement, entre lecteurs ?) : la réalité telle que décrite par les experts journalistes, économistes, politiciens, etc. est si désolante de… « vérité » disiez-vous ? Chiffres, tendances, bilans comptables, performances technologiques, progrès sociétaux, croissance… contribuent tous à rendre ce « monde réel » tellement prégnant qu’il envahit tout : les psychologies, la raison ; la capacité même à saisir que quelques milliers de tankers ou de camions de plus (en Amérique !) sont en train de nous fabriquer une « réalité » tellement déstructurante que si celle-ci devait être poussée dans les poubelles de l’histoire, on finirait peut-être bien par recommencer à respirer, à penser – à prier que sais-je ?

La réalité est incomparablement plus « nuancée », plus « complexe » dîtes-vous que les effluves de monsieur Orlov. Mais c’est de fatigue qu’on parle et c’est dommage d’y répondre par les chiffres de croissance. Sur DeDefensa, nous rappeler le « monde réel », avec ses « vérités » incontestablement plus nuancées – et celles du Financial Times, du Wall Street Journal, de l’INSEE ou d’Antenne2 – nous fatigue tant.

Le prenez pas mal monsieur Toulet. Sur ce site, ce qu’on apprécie, c’est de pouvoir respirer. J’ai posé ma voiture au garage après les courses, comme vous. Pas le choix. Mais respirer ! Quel besoin « vrai »…

Allez, je vous quitte, je vais faire le plein : c’est pas trop cher au Maximarket d’à côté.