USA-UE : “Lost in translation”

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USA-UE : “Lost in translation”

... Le titre est d’ailleurs sollicité car l’on sait que les Européens, surtout les guerriers de l’UE avec Juncker à leur tête, chargeant chope au clair, ont l’anglais-globalisé comme langue de travail. Il n’y avait donc rien à traduire entre Juncker et Trump la semaine dernière, il suffisait simplement de comprendre différemment, chacun selon sa musique préférée. Pour les Américains, dès lors qu’on parle de soja on parle d’agriculture en général, et si l’on négocie sur le soja cela veut dire qu’on négocie sur l’agriculture toute entière et que la PAC européenne passe à la trappe.

Ainsi retrouve-t-on à ciel ouvert et sans la moindre gêne l’un des nombreux sophismes de pirates que les USA sont habitués à manier dans toute négociation depuis leur fondation. Le sophisme est agrémenté d’un canon de pistolet amicalement posé sur la tempe du partenaire avec lequel on négocie, – en l’occurrence la menace de taxes douanières de 25% sur les automobiles qui n’est pas “suspendue” mais simplement “repoussée”, – ce qui revient à dire qu’elle est effectivement et paradoxalement “suspendue”, mais plutôt comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Européens.

Par conséquent, même pas une semaine après l’accord Juncker-Trump, on découvre au détour de diverses déclarations que les deux négociateurs donnent des sens bien différents, et aux mots qu’ils échangent, et aux textes qu’ils signent en commun. On retrouve la patte de négociateur de Trump, transmise à toute son équipe, qui implique qu’on fait des mots et des signatures des armes pour aller bien plus loin que ce que signifient les mots et qu'annoncent les textes que paraphent les signatures.

Les Européens se cabrent donc, – Juncker à Bruxelles, Macron-Sanchez à Madrid, une ministre allemande à Buenos-Aires, – sans qu’on sache si les Américains sont intéressés par ces réactions, si seulement ils y prêtent la moindre attention. Pour eux, l'affaire est pliée au millimètre ; les choses sont comme ils ont dit qu’elles sont et la négociation doit aller jusqu’où ils veulent qu’elle aille, c’est-à-dire la désintégration de l’UE à leur avantage. Les Européens devront donc boire le calice jusqu’à la lie, avec beaucoup de lie d’un très grand cru, ou bien il leur faudra se révolter. Nous verrons la résolution de ce dilemme avec le plus grand intérêt, sinon un délice de gourmet... En attendant, il paraît que l’Europe a été instituée alliée des USA contre la Chine dans la bagarre pour réformer l’Organisation Mondiale du Commerce. C’est ça le Nouvel Ordre Mondial, qui se met en ordre dans le plus grand désordre, et sans qu’on sache une seule seconde dans quelle sorte de chaos il se réalisera.

Pour nous conter ce nouveau chapitre des aventures de la dé-globalisation, – car il s’agit bien de cela au bout du compte, – Nick Beams, de WSWS.org, a repris sa plume qui nous avait déjà décrit l’accord du 25 juillet.

dde.org

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Divergences dans l’accord USA-UE

Moins d’une semaine après que les négociateurs se soient serrés la main à Washington, l’accord de commerce entre l’UE et les USA, décrit comme un traité de paix ou au moins un cessez-le-feu dans la guerre commerciale transatlantique, commence à se désagréger. La mésentente a éclaté sur ce qui a été exactement conclu durant la rencontre, le 25 juillet, entre Trump et Juncker, les présidents des USA et de la Commission de l’UE. La mésentente d’interprétation, centrée sur l’agriculture, est apparue après que l’accord ait été conclu, quand Trump déclara à une audience de fermiers : « Nous venons juste d’ouvrir les portes des marchés européens pour vous autres, fermiers américains ».

Selon l’accord, l’UE accepte d’augmenter ses importations de soja et de gaz liquéfié américains  contre la suspension de la menace d’augmenter de 25% les taxes douanières sur les automobiles (européennes) et des négociations supplémentaires sur les taxes sur l’acier et l’aluminium. Mais il n’y eut aucun accord sur l’ouverture élargie des marchés agricoles européens, qui sont protégés par des arrangements complexes de la Politique Agricole Commune.

Immédiatement après la rencontre du 25 juillet, Juncker avait dit aux journalistes américains que les USA « avaient lourdement insisté pour que l’ensemble des marchés agricoles européens soient concernés. Nous avons refusé parce que je n’ai aucun mandat de ce genre et qu’il s’agit d’un domaine extrêmement sensible en Europe. » Après les remarques de Trump impliquant que l’accord allait bien au-delà du soja, Juncker avait publié un communiqué, faisant dire à son porte-parole que l’agriculture en tant que telle « ne faisait pas partir de l’accord ». « Si vous lisez le communiqué commun… vous ne verrez aucune mention de l’agriculture en tant que telle, vous verrez une mention sur les fermiers, une autre sur le soja, qui étaient les seuls sujets de discussion et c’est ce que dont nous tiendrons compte pour notre part », précisait Mina Andreea. « Concernant l’agriculture, je crois que nous avons été assez clair à ce propos, c’est-à-dire que l’agriculture dépasse très largement le cadre de ces discussions. Nous ne négocions pas sur les produits agricoles en général. » 

Ces commentaires de mise au point n’ont servi qu’à attiser chez le côté américain une riposte offensive. Larry Kudlow, conseiller économique en chef de Trump, a déclaré à l’émission Face the Nation de CBS hier que les USA n’envisageraient des négociations avec l’UE que pour atteindre des accords sur les produits fermiers et énergétiques. « Nous mettrons en place un processus permettant d’examiner tous les domaines », dit-il, indiquant que les plus larges négociations sur l’agriculture en tant que telle seraient incluses. Kudlow a dit qu’il n’acceptait pas l’argument selon lequel l’agriculture devrait être exclue des négociations. « Si l’agriculture n’est pas incluses dans les négociations, qu’est-ce que le soja et le bœuf ont à faire là-dedans ? Dans le document final signé par les deux parties, nous parlons de l’ouverture des marchés pour les fermiers et pour les travailleurs. »

Le seul produit mentionné dans l’accord est le soja. Le bœuf était concerné par des négociations qui avaient eu lieu avant la rencontre de mercredi. Comme confirmation que les remarques de Kudlow faisaient partie d’une offensive générale de l’administration Trump, le secrétaire au trésor Steven Mnuchin a insisté de son côté sur le fait que l’agriculture en tant que telle avait bien été l’objet des négociations. Sur FoxNews Sunday, il a déclaré : « J’étais dans la pièce et je sais que nous avons eu des conversations spécifiques à propos de l’agriculture et de la nécessité d’abaisser les barrières douanières pour donner plus d’opportunité à nos fermiers. »

Mais comme le disent clairement les remarques de Juncker et d’Adreeva, alors qu’on discutait d’agriculture l’UE a spécifiquement rejeté tout accord allant au-delà du soja. Interrogé sur cette divergence d’interprétation, Mnuchin a répliqué : « Nous avons parlé spécifiquement du soja, mais nous avons aussi spécifiquement accepté l’idée que nous examinerions les autres marchés et il était ainsi extrêmement clair dans l’accord conclu que notre objectif est que les Européens doivent ouvrir beaucoup plus d’opportunités à nos fermiers et à notre agriculture. »

Toute perspective d’un large accord sur l’agriculture est proscrite pour le président français Macron. Parlant après une rencontre avec le Premier ministre espagnol Sanchez à Madrid vendredi dernier, il a observé que les négociations entre Trump et Juncker avaient été « utiles » mais qu’il n’était pas en faveur d’un « nouveau grand accord » entre les USA et l’UE. Se référant aux questions non encore résolues des taxes sur l’acier et l’aluminium et la menace continuelles que les négociations commerciales « ne peuvent être conduites que sur une base équilibrée de réciprocité, et en aucune façon sous la pression de n’importe quelle sorte de menace ».

Macron a déclaré que des « actes clairs sont nécessaires de la part des USA, des signes de désescalade sur l’acier et l’aluminium, sur lesquels les USA ont imposé des taxes illégales. Pour nous, cela constitue un prélude à toute possibilité » de réaliser de nouveaux progrès. Il a insisté sur le fait que l’agriculture dans son entièreté ne pourrait en aucune façon faire l’objet d’un accord global. « Je crois qu’aucun standard européen ne devrait être supprimé ou abaissé sans les domaines de l’environnement, de la santé et des aliments, par exemple », a déclaré Macron, se référant position de l’UE d’exclusion de produits agricoles US selon l’argument qu’ils ne rencontrent pas les standards UE. Sanchez a appuyé les remarques de Macron sur l’agriculture, disant « nous ne voulons pas la guerre commerciale » mais ajoutant qu’il était déterminé à « défendre la Politique Agricole Commune [de l’UE] ».

Parlant en marge du sommet du G20 à Buenos Aires, la ministre allemande de l’agriculture Julia Kloeckner a mis en doute l’affirmation de Trump selon lequel l’Europe allait « acheter beaucoup de soja ». Elle a estimé qu’il n’y avait aucune garantie que l’UE achèterait les quantités qu’envisageait Washington.

Dans son interview sur CBS, Kudlow a mis en évidence un autre aspect de l’accord USA-UE, – la tentative de mettre l’Europe sur la même ligne que les USA dans la guerre commerciale contre la Chine. Selon l’accord, l’UE devra collaborer avec les USA pour tenter de changer les règles de l’OMC pour couvrir les atteintes à la propriété intellectuelle, les transferts de technologues et les subsides d’État, – toutes mesures dirigées contre la Chine. Kudlow a affirmé que « la vision de l’UE  était en train d’évoluer « très rapidement » et « je crois que cela devrait mettre la Chine en grande difficulté ».

Immédiatement après les négociations de la semaine dernière, Kudlow avait dit à Fox Business Network « Les USA et l’UE seront alliés dans le combat contre la Chine, qui a en fait brisé le système du commerce mondial. Le président Juncker a été très clair sur ce point... qu’il avait l’intention de nous aider, d’aider le président Trump face au problème chinois. »

Parallèlement, l’administration Trump appuie le canon de son revolver sur la tempe de l’UE à propos des taxes sur l’automobile. Cette menace a seulement été repoussée, et nullement suspendue, alors que le ministère du commerce US continue à enquêter pour savoir s’il faut ou non appliquer ces taxes selon des critères de “sécurité nationale”.

Trump et Juncker ont accepté conjointement que la “suspension” [de cette menace] resterait dans cette situation tant que les négociations continueraient. Mais le différend sur l’agriculture indique que les USA pourraient bien songer à un scénario où les négociations seraient brusquement interrompues et abandonnées de leur fait, et où ils décideraient finalement d’appliquer les taxes sur l’automobile.

Nick Beams (WSWS.org)