Un suicide, sinon rien

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Un suicide, sinon rien

Jacques Sapir est en économie un homme qui plaide pour la souveraineté des nations. Sa réhabilitation du fait national le mène dans le cours d’un long article à cette remarque:

[…]

«La lecture rétrospective de la contraction du commerce international des années 1930 qui met en accusation les politiques protectionnistes et les dévaluations se trompe (de bonne ou de mauvaise foi) de cibles. Quant à prétendre que ces mesures économiques auraient été les causes de la seconde Guerre Mondiale, il faut soit une profonde méconnaissance de la nature du Nazisme et du Fascisme – et l’on rappelle qu’il y a dans l’Allemagne Nazie une dimension pathologique spécifique – soit une mauvaise foi qui est du même ordre que celle des auteurs Négationnistes. Le Nazisme n’est pas une radicalisation du nationalisme allemand de la Période de Guillaume II, mais sa négation.» [...]

(Jacques Sapir, Leçons pour des temps de crise.)

Sapir n’est pas historien et donne cette référence pour appuyer son avis: W. Sheridan Allen, The Collapse of Nationalism in Nazi Germany, in J. Breuilly (ed), The State of Germany, Londres, 1992 )

Je propose de croiser sauvagement ce texte avec un autre, de J.P Immarigeon , article déjà ancien de Défense Nationale (consacré à l’“étrange”, ou à l’“impardonnable” défaite, c’est selon) dans lequel est abordé la question du machinisme sous l’angle de la mécanisation de la guerre et des vues de De Gaulle sur le sujet:

[…]

«De Gaulle lui-même voit bien l’ambivalence de cette mécanisation: il n’est pas seulement un théoricien de la guerre blindée, il est également un penseur de la machine et de ses dérives. La guerre machinisée va entraîner les belligérants dans une montée

incontrôlable aux extrêmes, sans autre objectif que l’anéantissement total de l’adversaire, sans limite dans les moyens employés, la machine, insensible aux frictions morales et sans état d’âme face à la mort, imposant son rythme au soldat, au diplomate, à l’industriel, et même à l’intellectuel.

»Ce n’est plus une guerre mais la fin de toute pensée, le vouloir cédant la place au pouvoir. C’est précisément cette part de régression qui séduira le nazisme. […]

( J.P Immarigeon: 1940 : faillite française ou défaite improbable ? )

Si on garde en outre en mémoire les textes de Ernst Jünger qui tendent à montrer dans l’Allemagne de 1914 la nation qui tente de chevaucher le machinisme, on est tenté par deux interprétations:

1– Avec le nazisme l’Allemagne choisit cette fois de se sacrifier au Machinisme. («C’est précisément cette part de régression qui séduira le Nazisme.») Ce qui a séduit le nazisme peut être ce qui a séduit dans le Nazisme. Mourir pour renaître comme pure puissance? Cette perspective ouvre à la critique d’une sorte de complaisance sado-masochiste à puissance, destructrice des nations, récente, éventuellement favorisée en Allemagne par une faiblesse identitaire souvent pointée sur de defensa.

2– Il n’y a eut de choix ni du nationalisme ni du nazisme, et le machinisme s’est exprimé sous deux formes successives. On est plus proche du technologisme. («a machine, insensible aux frictions morales et sans état d’âme face à la mort, imposant son rythme au soldat, au diplomate, à l’industriel, et même à l’intellectuel.»)

En somme le “système” était déjà en place avant 1914, et un “processus” a décidé. Voilà qui ouvre plutôt à une critique de la dépossession des nations et des peuples qui englobe toute la période nationaliste européenne.

Plus largement, et pour lâcher un peu l’Allemagne, y a-t-il une politique suicidaire ou n’y a t’il pas de politique du tout? (Mon côté optimiste me porte à croire au premier cas.)

Sans nous donner une réponse, les deux textes méritent d’être lus, particulièrement à mon avis celui de Sapir. Ecrit au lendemain de l’échec du G20 en 2008, moment qui a vu le rêve d’un “nouveau Bretton Woods”, le texte est entre autres choses une histoire critique de ce que fut l’architecture du premier, dont les circonstances de la naissance, de la vie, et de la mort sont sèchement confrontés a son image vertueuse actuelle d’orthodoxie Keynesienne.

(http://www.lhivic.org/travaux/articles/sapir_brettonWoods2.pdf.)

L’article de J.P Immarigeon relève d’une tendance contestatrice de l’interprétation moralisante de la défaite de 1940. Je relève particulièrement ceci : «l’idée de la défaite-punition d’une nation qui s’abandonne n’est que la figure inversée du : “Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts”.» Un tour imprévu donné à la critique de l’idéal de puissance.

(http://data3.blog.de/media/888/2260888_85e13087b1_d.pdf.)

L’idée reste valable même si la tendance à réhabiliter la conduite française dans la guerre a été critiquée récemment avec de bons arguments. (Voir le livre : L’impardonnable défaite, Claude Quétel, publié chez Lattès.)

GEO