Un référendum sur le Mistral

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Un référendum sur le Mistral

Durant ce week-end, il nous a paru intéressant de suivre un sondage du Figaro qui a eu un certain succès puis un succès certain. N’étant pas, à notre honte extrême, un lecteur assidu du site du Figaro, nous avions été alertés par un article de Sputnik, le nouveau groupe russe de communication regroupant divers organes d’information jusqu’alors autonomes, qui faisait mention de ce sondage effectué par Le Figaro auprès de ses lecteurs, sur son site, sur la question de la livraison du porte-hélicoptères classe Mistral, baptisé Vladivostok, à la Russie. L’article, en date du 15 novembre 2014 à 13H00 faisait état d’un peu plus de 76 000 réponses, avec 58% de “oui” (il faut livrer le navire à la Russie) et 42% de “non” (il ne faut pas...). Nous nous mîmes en tête de suivre l’évolution du sondage qui a eu le franc succès qu’on a dit, et qu’on trouvait sur le Figaro dès le 14 novembre 2014 à 10H45 (le 14 novembre, le jour où aurait dû se faire, en grande cérémonie, le transfert du bâtiment à la Fédération de Russie, aux chantiers navals de l’Atlantique (DCNA) de Saint-Nazaire). Nous avons successivement enregistré, compris le résultat signalé par Sputnik :

• le 15 novembre à 13H00 : 58% de “oui”, 42% de “non”, avec un peu plus de 76 000 réponses ;

• le 15 novembre à 22H00 : 59% de “oui”, 41% de “non”, avec 108 067 réponses ;

• le 16 novembre à 10H00 : 77% de “oui”, 23% de “non”, avec 167 133 réponses ;

• le 16 novembre à 12H00 : 78% de “oui”, 22‰ de “non”, avec 177 114 réponses ;

• le 16 novembre 2014, à 13H12 , il y avait toujours 78% de “oui” et 22% de “non”, avec 183 935 votants, quand le sondage fut arrêté. (Dans tous les cas, nous trouvâmes le même résultat tout le long du reste de journée et jusqu’à ce matin, au moment de clore ce Bloc-Notes, toujours avec une date/heure dite de “mise à jour”. Cette formulation, qui est à interpréter jusqu'à plus ample informée bien improbable comme l'annonce de la clôture du sondage au 16 novembre 2014/13H12 en évitant pudiquement cette formulation classique, indique à notre sens une décision hâtive et improvisée.)

Une première remarque. – Il nous apparaît clairement, comme une hypothèse tout à fait raisonnable, que le remarquable succès du sondage, devenu une sorte de “référendum” impliquant indirectement un jugement sur la Russie, avec une majorité prorusse sur la voie de rejoindre allégrement celle de la popularité de Poutine en Russie, a gêné Le Figaro par rapport au bien-être du gouvernement qui se trouve dans une phase affreusement délicate dans cette affaire. (D’où le caractère improvisé et non exprimé comme tel de clôture du sondage.) Il nous apparaît, toujours hypothétiquement, que le sondage, qui représentait une réussite quantitative éclatante pour le quotidien, a été terminé abruptement, sans doute bien plus tôt que prévu. (Pas nécessairement sur consigne directe de la direction la plus haute mais par réflexe dans un climat où il ne peut être question d’embarrasser les autorités-Système.) Ce quotidien appartient à Dassault, où, – autant dans la famille à hauteur de Serge que de la société, – le sentiment n’est en général pas hostile aux Russes, mais où se perpétue également l’idée plus ou moins habile en temps normal et très surréaliste par les temps de la gouvernance actuelle, et par conséquent singulièrement naïve pour de tels durs à cuire estampillés-“marchands de canons”, que le gouvernement français, n’importe lequel, a encore quelque poids et le goût de l’action qui va avec dans les conceptions stratégiques accompagnant les ventes d’armement. Dassault (la société) a cru que Sarkozy serait un formidable vendeur de l’armement français (dont le Rafale), et elle le croit également avec Hollande. (On sait ce qu’il faut en penser.) L’opinion générale chez Dassault a ainsi toujours été que le Mistral/ Vladivostok serait livré à la Russie, au nom de cette conception stratégique, cette opinion étant substantivée par l’affirmation également étonnamment naïve que le “président Hollande” se serait découvert une sorte de passion d’État souverain pour la conception stratégique des ventes à l’exportation des grands armements français, – une sorte de narrative dans la narrative, ce jugement-là. On verra ce qu’il en est de cette livraison à la Russie et l’on (nos lecteurs) se doute que notre sentiment est largement du type pessimiste, – et l’on (nos lecteurs) se doute que, après un éventuel ratage du Mistral/Vladivostok si c’est le cas, nous partageons l’opinion, notamment majoritaire au ministère français de la défense, que le contrat Rafale en Inde, sans parler des exportations d’armement en général, est en danger mortel ; et nous sommes encore de l’opinion que ce serait moins dû aux pressions des ultras du bloc BAO, USA en tête, qu’à la seule inconstance du susdit gouvernement... Alors, Dassault attendrait la prochaine présidence, comme on attend le Saint Graal en général, comme il attend Godot depuis quelques présidences, pour retrouver un président qui ait quelque conception stratégique à cet égard.

Une deuxième remarque. – ... Mises à part les paniques intimes des gens de la presse-Système découvrant la popularité d’une option qui manifestement interfère méchamment dans le rangement-Système de cette affaire, ce sondage qui prend les allures d’une votation vaut bien largement, malgré son aspect rudimentaire et ses prétentions “scientifiques” limitées (ce qui n’est pas une tare, selon nous, après tout, et même le contraire...), toutes les autres choses du domaine pour mesurer le sentiment populaire français dans cette affaire. Sur ces questions du sentiment populaire dans les affaires étrangères qui n’engagent aucune crédibilité sur le marché parisien des sondages électoraux, les instituts de sondage sont alignés-Système, avec les pratiques qui vont avec, qui dépassent de cent coudées certains aspects qu’on peut juger incertains de ces “sondages populaires” improvisés sur site. Ce sondage, également, vaut comme un salut à la pantalonnade en cours des dirigeants français à propos du Mistral/Vladivostok, qui devait être livré à la Russie le 14 novembre. Nous rapporterons que nos oreilles teintent encore d’une déclaration à l’emporte-pièce, entendue de même, à la volée, du Secrétaire Général du PS Cambadélis, s’offusquant absolument, au nom de l’“indépendance nationale”, du fait qu’un “haut fonctionnaire” russe (source sans doute suscitée par la faction ultra-dure que représente Rogozine, Vice Premier et ministre des armements) a laissé entendre que la Russie donnerait jusqu’au 30 novembre à la France pour prendre sa décision concernant le navire, à partir de quand, si la chose n’était pas faite, la Russie entreprendrait les démarches légales pour les mesures contractuelles prévues, – remboursement de la somme payée pour le navire, plus les amendes et indemnités diverses pour le préjudice commis. Évoquer la souveraineté nationale dans une telle occasion assimilée à une sorte d’“ultimatum” présenté quasiment, – chers concitoyens, aux armes, – comme une menace implicite d’invasion de la France du type-“36 invasions russes en Ukraine”, après avoir encaissé tant de vestes quasi-publiques des pressions US et autres dans cette affaire, c’est, compte tenu des circonstances, une inversion si parfaite du discours et de la pensée qu’on devrait prudemment en rester coi. Restons-en là, restons-en coi. Voilà pour le scène parisienne du “débat officiel”.

Quant à Hollande, de Brisbane où il jouait au jeu passionnant du G20, il a assuré qu’il prendrait la décision sans céder à la moindre pression de quiconque et au mieux des intérêts de la France ; bref, les choses auront lieu quand elles auront lieu, parce qu’elles doivent avoir lieu au moment où elles doivent avoir lieu, l'auteur philosophant ainsi en bon président-poire autour du lieu commun érigé glorieusement (la France garde son génie) en une nouvelle et originale invention du mouvement perpétuel par la dialectique...

Une troisième remarque. – Quoi qu’il en soit, et justement parce qu’il en est ainsi, le sondage du Figaro a provoqué une considérable participation par relais des réseaux sociaux (voir par exemple Infobeez, le 16 novembre 2014). Cette méthode rudimentaire, quasiment insurrectionnelle dans les normes et contraintes du Système, a permis de mettre une fois de plus en évidence le décalage effectivement considérable existant en France, – un peu comme partout dans les pays du bloc BAO, – entre la direction-Système (de la catégorie direction-molle-Système) et la population. Comme toujours dans cette sorte de pratique, le sondage est d’autant plus intéressant qu’il porte cette fois, hors des instituts de sondage et autres officines de manipulations, d’une façon directement populaire, comme une sorte de votation à la suisse, sur un thème impliquant in fine une position concrète et extrêmement signifiante sur le grand conflit entre le bloc BAO et la Russie. Il mélange bien entendu, à l’image de l’affaire Mistral/Vladivostok, la grande (façon de parler) politique étrangère réduite à la narrative et les aspects les plus concrets de la crise économique et sociale qui dévaste la France. Russia Today ne s’est pas privé de retransmettre, le 16 novembre 2014, la prise de position extrêmement dure, contre la non-livraison, du syndicat Force Ouvrière. Les conditions de montée de tension, l’exacerbation en cours de la communication en ligne avec une opposition d’une partie des politiques qui commencent à s’agiter en faveur de la livraison à la Russie (Mélenchon, Guaino, Fillon, Marine Le Pen, – joyeux mélange, sabre au clair, de type “union nationale” ou presque), doivent contribuer à créer une atmosphère très intéressante pour faire de cette affaire Mistral/Vladivostok un méchant débat national, tant sur la grande politique étrangère réduite à la narrative qu’à la situation économique et sociale dans un secteur qu’on juge en général vital pour la puissance de la France, ou ce qu’il en reste, dans une situation économique et sociale apocalyptique et absolument hors de tout contrôle désormais.

Une remarque de conclusion. — Somme toute, le sondage du Figaro prestement transformé en votation type-référendum par les activistes antiSystème des réseaux, ajoute ce qu’il faut de sel à cette affaire, et nous met un peu de beurre dans les épinards de la Résistance, – et peut-être plus encore. Il nous paraît complètement probable que la chose, avec son résultat, n’est pas passée inaperçue dans le chef de la vigilance des habiles conseillers en com’ de nos diverses excellences, contribuant à faire monter la sauce de la tension des jours de crise. Reste à notre excellent président-poire à choisir entre la peste et le choléra, puisque, quelle que soit sa décision, elle générera nécessairement une crise dans la crise, – crise avec notre embarrassant “monde du travail” qui persiste à exister, ou crise avec nos chers et talentueux alliés qui entretiennent les mille feux de la vertu-Système du bloc BAO.


Mis en ligne le 17 novembre 2014 à 07H02