Un monde sans rêve, retour aux bas-fonds

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Un monde sans rêve, retour aux bas-fonds

 La méduse renversée

 Dormir, c’est entrer en phase de quiescence avec réduction de son activité et indifférence au milieu environnant. Un troisième critère complète la caractérisation de cet état, sa privation entraîne chez l’organisme qui en manque un comportement de somnolence.

La méduse Cassiopée vit dans les fonds marins, rarement à 30 mètres le plus souvent à 10, préférant les eaux chaudes. Elle se tient renversée, reposant sur son ombrelle, exposant vers le haut ses bras oraux aux ramifications multiples très enchevêtrées qui lui donnent un aspect végétal en chou-fleur. Cette disposition touffue sert d’abri à une algue qui lui assure dans une relation symbiotique l’essentiel de sa nourriture glucidique. Comme toutes les méduses, elle est diploblastique, c’est-à-dire constituée uniquement de deux feuillets embryologiques, contrairement aux espèces plus évoluées qui différencient leurs tissus à partir de trois feuillets, le plus externe sert pour l’interface avec le milieu extérieur, donnant peau et téguments et système nerveux. 

Cassiopée dort

Un travail issu de la collaboration de plusieurs équipes de chercheurs a permis de le démontrer.

Les contractions périodiques de la méduse renversée qui assurent un courant d’eau voient leur fréquence se réduire. L’activité pulsatile passe de 58 par minute dans la journée à 39 pour la nuit. En période de ‘sommeil’, elle réagit avec un retard de plusieurs secondes à une remontée imposée du niveau de profondeur où elle séjourne alors qu’elle replonge instantanément en situation d’éveil. 

La méduse a été privée de ‘sommeil’ par jet d’eau rythmé toutes les dix secondes sur plusieurs minutes pendant sa phase de quiescence. Il a alors été noté que survenaient des moments de récupération, des périodes de ralentissement de pulsations s’installaient lors de son activité diurne.

Le réseau neuronal radiaire rudimentaire de la méduse comporte quelques synapses. La mélatonine est l’un de ses neurotransmetteurs qui administré induit comme chez les animaux bilatéralisés le sommeil.

Ainsi a été démontré que cette alternance d’états et de comportements de vigilance et de repos est conservée chez des animaux sans système nerveux central dont l’apparition est datée de près de 600 millions d’années et classés dans l’arbre des embranchements phylogénétiques entre les éponges et les mollusques.

Pourquoi dort-elle ? Pourquoi dorment les humains ?

Pour introduire du discontinu dans le continu ?

Ce fonctionnement alternatif a inscrit dans le vivant la révolution cyclique des planètes autour du soleil.

Aussi rudimentaire fût-elle, la Cassiopée arbore sur le pourtour de son ombrelle des capteurs sensoriels.

L’arrivée de photons sur un amas de cellules réactives à la lumière induit des transformations moléculaires qui sont un signal pour le métabolisme de la méduse. Les contractions plus fréquentes en période diurne amènent dans les courants d’eau le substrat pour les micro-algues logées dans cette chevelure charnue que sont les tentacules. Celles-ci photo-synthétisent à partir du CO2 dissous et de la lumière des glucides qui nourrissent leur hôte.

Cette division du travail au bénéfice des deux espèces instaure une solidarité nécessaire à leur survie. 

Le principe du discontinu, du périodique résulterait alors d’une réponse végétative adaptée à la rotation terrestre.

Que l’homme dorme et secondairement rêve ne serait que la transcription de la rotation terrestre autour d’elle-même quand elle parcourt sa trajectoire elliptique autour du soleil dans son appareillage génétique. 

L’horloge interne, mesure décalée de la valse planétaire

Toute la panoplie moléculaire développée dans ce qu’il est convenu d’appeler l’horloge interne témoigne de cette danse planétaire ininterrompue autour du soleil. L’expérience princeps de Michel Siffre, spéléologue français qui s’est soustrait aux influences lumineuses en vivant dans une grotte plusieurs semaines et sans repère temporel, a permis de chiffrer à près de 25 heures la durée d’un cycle spontané, non asservi par des systèmes synchroniseurs. Cette durée est variable selon les individus, elle répond à une détermination génétique et évolue au cours de la vie. Après une maturation relative du SNC des premiers mois de la vie, elle est toujours supérieure à 24 heures, nettement supérieure à la rotation terrestre réelle de 23h et 56 mn et 4 s. Sous d’autres conditions expérimentales, le rythme veille-sommeil spontané peut s’établir à 30 heures de veille et 20 heures de sommeil alors que les autres horloges biologiques, celle de la variation de la température interne reste autour des 25 heures. Cet écart ne peut donc en principe être attribué à une organisation archaïque qui serait un témoin fossile d’une rotation plus lente de la Terre au moment de l’émergence de l’espèce. La Terre en raison en particulier de sa freination par son satellite lunaire a une vitesse de rotation de plus en plus ralentie. On interprète par exemple l’osmolarité du milieu intérieur maintenue stable grâce à une régulation finement déterminée par un système rénal et endocrinien, comme le souvenir de la salinité d’une mer fondamentale. Le travail de filtration et réabsorption passives et actives des ions sodium en particulier œuvre à restituer la tonicité du milieu intérieur qui fut aussi le milieu extérieur des premiers organismes vivants marins. La sélection semble avoir opéré en faveur d’une variante qui a surestimé la période comme si avait été privilégié le retard de phase, l’avance vers l’Ouest en somme !

Comme si avaient été inclus génétiquement l’anticipation des déformations du globe sous l’effet des séismes et des marées et du ralentissement inexorable de sa danse autour de lui-même.

La méduse dort, l’homme dort pour rêver

La méduse dort, elle semble économiser son travail pulsatile quand son fournisseur d’énergie ne lui délivre plus son combustible faute d’intrant énergétique.  Peut-être a-t-elle dans ses temps de repos relatif aménagé un dispositif de cinéma intérieur, de production de rêves, même en l’absence de système nerveux central ?

Toute l’architecture complexe du sommeil chez l’homme est organisée autour des plages de sommeil où s’effectue son activité onirique.  Elle a lieu essentiellement et non uniquement lors des moments de résolution musculaire totale avec mouvements rapides des globes oculaires et orages électriques cérébraux. Une perturbation quelconque du sommeil affecte en premier lieu cette fonction dont l’altération porte sur la réduction de sa durée et du nombre de ses cycles.

Les phases de REM (*) modulent les fonctions immunitaires, la consolidation de la mémoire, la régulation de l’humeur et affectent les relations interpersonnelles. De plus des expériences chez l’animal ont montré que leur privation (**) génère une réponse inflammatoire accrue, une sensibilité à la douleur majorée, un sur-risque pour l’obésité et les maladies métaboliques. Sans surprise, les privations de court terme entraînent un état d’anxiété et d’excitabilité agressive alors que chez les déprimés, la durée des REM est réduite alors que les antidépresseurs de façon générale la réduisent. 

Une véritable pandémie de réduction du temps de sommeil paradoxal s’est instaurée de manière silencieuse.

L’humain dort mal et rêve moins

Un large éventail de facteurs en est le pourvoyeur. Toutes les substances psychoactives occasionnent son raccourcissement, particulièrement l’alcool, le cannabis et les benzodiazépines, lesquels réduisent le délai d’endormissement mais ne procurent qu’un sommeil léger et sans rêve. 10% d’Etasuniens consomment plus de 10 boissons alcoolisées par jour. Pour le cannabis, on évalue toujours aux Usa à près de 6 millions le nombre de consommateurs pluriquotidiens, chiffre en hausse constante depuis 2000.

La liste des médicaments responsable d’un déficit en sommeil paradoxal est impressionnante, depuis les antalgiques, les antihistaminiques, ceux à visée cardiovasculaires et surtout les hypnotiques délivrés justement pour déficit de sommeil. On dénombre 60 millions de consommateurs réguliers d’hypnotiques aux Usa. La prescription médicale des somnifères a grimpé de 47 à 60 millions de 2006 à 2012, une femme sur quatre d’un âge entre 40 à 59 ans en consomme. 

Plus que tout autre facteur, la réduction ‘volontaire’ de sommeil avec endormissement tardif et réveil provoqué par un réveil matin afin de concilier travail, vie sociale et familiale reste la cause principale du syndrome de déficit en sommeil paradoxal dont la majeure partie se place en fin de nuit. L’exposition à la lumière artificielle de nuit et la véritable pollution du ciel par cette lumière des villes qui ne dorment jamais représentent un deuxième facteur péjoratif majeur, cela concerne 99% de la population occidentale et 62% de la population mondiale selon des chiffres publiés pour 2001.

En panne de réel et d’utopie

La fabrication apparemment désordonnée de séquences imagées par le cerveau pour son propre usage car elles échappent majoritairement à la vie éveillée d’interaction avec le reste du monde semble bien être un processus d’autoréparation. Il adapte l’organisme vertébré à la réalité passée, mais il le prépare aussi pour une projection vers l’avenir. 

Si une bonne partie de l’humanité, surtout celle vivant dans les contrées dites développées, se trouve mutilée de sa capacité à modeler l’organe privilégié du comportement adaptatif et anticipatif, se trouvent alors perdus le sens de la réalité et son corollaire, celui de l’utopie.

Autant descendre à 10 mètres en dessous du niveau de la mer et pulser l’eau pour s’enivrer de sucres quand s’en vient heurter un rai réfracté de lumière un espèce de foie porté à l’extérieur de nous sur nos bras tentaculaires et gélatineux. Et dormir, sans rêver à hier pour demain. Réduire l’interaction avec son milieu en le limitant à un mimétisme du fond dans sa couleur et son aspect végétal-végétatif et échapper à ses prédateurs. A condition de ne pas se trouver à proximité de littoral inondé d’antidépresseurs qui risqueraient de perturber y compris le sommeil invertébré. (5)

 Badia Benjelloun

 

Notes

(*) REM pour Rapid Eye Movement

(**) L’essentiel des recherches scientifiques en biologie et en santé sont menées de cette façon. On dispose d’instrument de mesure d’une fonction, on la fait varier ses paramètres et on cherche à établir des corrélations avec des phénomènes connus.