Trump fait le ménage

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Trump fait le ménage

Des indications précises apparaissent de plus en plus sur l’action entreprise par le président Trump dans les rangs du NSC (National Security Council), qui est ce “gouvernement” restreint du président,  coordonnant et intégrant les diverses informations et analyses de sécurité nationale (notamment venues des ministères concernés) pour le président, pour lui permettre de prendre ses décisions dans cette matière. A l’occasion du troisième (un record) changement du directeur et conseiller de sécurité national, il semble que Trump ait donné l’ordre à Robert O’Brien, le remplaçant de Bolton, d’opérer une vaste purge des effectifs.

Bloomberg rapportait la chose le 7 octobre 2019 : « Le président Donald Trump a ordonné une réduction substantielle du personnel du Conseil de Sécurité Nationale, selon cinq personnes au courant des plans, alors que la Maison-Blanche fait face à une enquête de destitution déclenchée par une plainte de dénonciateur concernant le travail de l'agence.
» Certaines personnes ont décrit les compressions de personnel comme faisant partie d'un effort de la Maison-Blanche visant à alléger son équipe de politique étrangère sous la direction du nouveau conseiller à la sécurité nationale, Robert O'Brien.
» Cette semaine, le chef d'état-major par intérim de la Maison-Blanche, Mick Mulvaney et O'Brien, a transmis la demande de limiter la taille du personnel du NSC aux cadres supérieurs de l'organisme. »

Sur le site Sic Semper Tyrannis (SST) du colonel Lang, le chroniqueurs Larry C. Johnson donne une explication plus spécifique et plus “politique” puisqu’il s’agit en fait d’une “purge” effectivement politique, et non pas simplement administrative. (L’un des arguments pour l’explication administrative a été qu’avec le gonflement considérable des effectifs du NSC, – d’une cinquantaine de personnes à plus de 700, – le Congrès pouvait intervenir et exiger que le choix du directeur du NSC, et conseiller du président, soit soumis à l’approbation du Sénat, – ce que tous les présidents veulent éviter pour ne pas voir réduite leur autonomie en matière de politique de sécurité nationale.)

Johnson décrit ainsi comment a fonctionné un NSC qui a continué à exercer l’influence voulue par l’administration Obama durant les trois premières années Trump : « Il semblerait que le Président Trump réalise enfin qu'il travaille dans une fosse remplie de serpents. Lorsqu'il a pris ses fonctions le 20 janvier 2017, il a laissé en place un énorme contingent de cadres acquis à la clique Obama-Hillary. Il aurait pu (et aurait dû) les déplacer et les réaffecter à un équivalent bureaucratique de la Sibérie. Mais il ne l'a pas fait. Prenons le cas de Tina Kaidanow, qui dirigeait le Bureau de l'antiterrorisme lorsque Trump a pris le pouvoir. Plutôt que de demander sa démission, on l’a placée en deuxième position au Bureau des affaires politico-militaires. 
» En septembre 2018, Kaidanow a obtenu une autre promotion:
» “L'ambassadrice Tina Kaidanow, fonctionnaire de longue date du département d'État et acteur clef des récentes réformes du processus américain de vente d'armes, est affectée au Pentagone.
» ”Kaidanow traversera le Potomac et entrera au Pentagone en tant  que prochain directeur de la coopération internationale, un bureau qui relèvera du bureau des acquisitions et de l'entretien reconstitué du Ministère.”
» Tina est emblématique de l'état profond. Je ne serais pas surpris que son nom fasse surface en Ukraine. Elle fera tout ce qui est en son pouvoir, à mon avis, pour savonner la planche sous les pas de Donald Trump.
» Sous le président Obama, le nombre d'officiers de la CIA “détachés” pour des fonctions temporaires au Conseil de Sécurité Nationale [NSC]est passé à environ 200. Il y a donc un nombre énorme de fantômes dans les couloirs du Old Executive Office Building [OEOB, rebaptisé EEOB, immeuble à côté de la Maison-Blanche, avec les anciens bureaux de certains ministères et services de l’exécutif, devenu le siège du NSC]. Lorsque Donald Trump a été inauguré, la CIA a porté ce nombre à près de 300. Il était fini, le temps où les agents de la CIA évitaient la politique partisane et se concentraient sur le service du président élu. L'équipe actuelle est fortement politisée et la plupart ont un parti pris antiTrump.
» ... Mais depuis la semaine dernière, le président Trump a commencé à faire le ménage. Un nombre important d’officiers de la CIA qui comptaient se présenter à leur travail dans leurs bureaux de l’OEOB, se sont entendu dire que leurs services n'étaient plus requis et qu'ils devaient retourner sur leurs pas, jusqu’à leurs anciens bureaux de l’Agence, à McClean, en Virginie. 
» Si vous avez la chance de visiter l'OEOB, vous y trouverez beaucoup de bureaux vides et inoccupés cette semaine. Il ne s'agit pas d'un changement temporaire. C'est une mesure attendue depuis longtemps. Le président Trump se rend enfin compte qu'il est entouré de séditionnistes partisans et il élimine leur accès et leur influence. Ce n’est pas trop tôt. »

Ce cas n’est pas unique, de voir un nouveau président secondé par une administration essentielle et très proche de lui d’une orientation politique différente de la sienne. En général, le problème est réglé comme il est possible de :l’être dans un milieu bureaucratique dans la première année de la nouvelle présidence. Le cas de Trump est exceptionnel et relève beaucoup plus de l’inexpérience du président dans ces affaires de sécurité nationale, de son incapacité à trouver les bonnes personnes pour faire sa politique, ses choix critiquables voire catastrophiques des directeurs du NSC, l’influence également catastrophique de son  gendre Kushner dans les affaires de sécurité nationale, – “catastrophique” dans tous les cas, pour la politique que Trump prétendait mener lors de la campagne électorale, et qui serait effectivement accordée à ses conceptions unilatéralistes et néo-isolationnistes. Enfin la présence de plusieurs centaines d’officiers de la CIA choisis par Brennan, l’ancien directeur et homme d’Obama, constituait une formidable puissance d’influence bureaucratique.

La responsabilité de Trump est certainement très grande dans certaines décisions et choix, mais elle n’est donc pas unique ni exclusive car la question est plus bureaucratique, avec la nécessité d’une bonne connaissance de ces arcanes, que purement politique. (C’est là où l’on doit hésiter sur une formulation de l’identification de l’État profond...) Par exemple, le cas de Kaidanow, cité dans le texte de Johnson, en rappelle un autre, qui est celui de Victoria Nuland, neocon déjà installée du temps de l’administration GW Bush, restée au département d’État sous Hillary Clinton et héritée par John Kerry en 2013, – et ce cas exemplaire, tel que nous en rapportions quelques éléments en juin 2015, à propos de cette haut-fonctionnaire (Nuland) qui, avec l’ambassadeur US à Kiev qu’elle avait mobilisé pour la cause, a sans aucun doute été la principale instigatrice du côté de l’administration US du coup d’État du Maidan du 20 février 20214...

« Dans une autre occasion, déjà, nous avions eu l’occasion de commenter un a-parte de Lavrov et de Kerry, lors d'une rencontre du printemps 2013 du Russe avec le nouveau secrétaire d’État. Notre commentaire, venue d’une “confidence” de Lavrov à des parlementaires de la Douma, sonnait au désavantage de Kerry, alors qu’on peut aujourd’hui avancer une autre interprétation. Lavrov lui-même peut avoir modifié son avis, par rapport aux circonstances où il rapporta cet épisode une première fois, à propos d’une de ses premières rencontres (peut-être la première) avec Kerry, alors que les deux hommes ne se connaissaient pas et avaient nécessairement une attitude de retenue l’un par rapport à l’autre. On pouvait lire ceci, le 21 avril 2015, qui rapportait cette “confidence” de Lavrov faite près de deux ans plus tôt aux parlementaires russes :
» “Le Russe Lavrov a raconté comment, lors d’une de ses premières rencontres avec le nouveau secrétaire d’État au printemps 2013, il avait félicité Kerry pour avoir ‘liquidé’ Victoria Nuland de sa position de porte-parole du département où l’avait installée Clinton ; Kerry lui avait répondu qu’il l’avait au contraire promue (comme assistante au secrétaire d’État pour l'Europe et l'Eurasie), ajoutant qu’il aurait ainsi, à ses côtés, une diplomate expérimentée pour conduire une politique d’entente, notamment et précisément avec la Russie. Lavrov avait considéré Kerry pour tenter de distinguer dans ses paroles quelque ironie ou sarcasme, pour n’y trouver qu’un sérieux ingénu et désespérément naïf, – et peut-être, même, volontairement naïf. La question se pose en effet, dans ce cas de Kerry comme dans tant d’autres, et dans le cas d’Obama comme dans celui de Kerry, s’il existe une conscience réelle de la signification des actes ainsi posés, par rapport à ce que tout homme normalement informé doit en savoir, à la lumière de la personnalité et de l’activisme bien connues d’une Nuland. Lavrov rapporte que Kerry ne semblait pas vraiment comprendre ce que signifiait, en termes de perspectives politiques, la nomination de Nuland à un tel poste, – non plus que, dans un autre contexte, celle de Power à la tête de la délégation diplomatique US aux Nations-Unies.
» Le développement de notre hypothèse à partir de ces divers éléments nous conduit à penser que la remarque de Poutine lors de son interview au  ‘Corriere della Sera’  renverrait essentiellement à sa longue rencontre avec Kerry et Lavrov, au cours de laquelle le secrétaire d’État aurait exposé à ses interlocuteurs qu’“il ne contrôlait pas (directement ou indirectement) la situation en Ukraine”. La méconnaissance de Kerry de la déclaration de Porochenko, dont probablement Lavrov et Poutine l’ont informé, serait alors un signe de cette absence de contrôle, qui serait également, et plus gravement encore, une mésinformation de la situation en Ukraine. La ‘légèreté’ de Kerry dont nous parlons plus haut, la légèreté avec laquelle Kerry recommande (à Lavrov) de ne pas prendre au sérieux les déclarations d’Obama (voir le 20 novembre 2014), signifie plus que de la légèreté, mais également une confidence cachée selon laquelle nombre de déclarations officielles doivent être prises en tenant compte de pressions bellicistes auxquelles cèdent Obama, et son administration derrière lui ; de même pour la nomination de Nuland, qui lui aurait été imposée ou qu’il se serait jugé contraint d’accepter ... Dès lors, la déclaration de Poutine (“les démarches non professionnelles” des USA qui sont “à l’origine de” la crise ukrainienne) renvoie évidemment et notamment au rôle de Nuland (avec l’ambassadeur US à Kiev), non supervisé, non contrôlé par Kerry, – ce qui a toujours été l’hypothèse que nous privilégions ; et “l’absence de contrôle” décrit par Poutine concerne aussi bien la position de la direction US par rapport à son administration, son autorité sur elle, chose mise en évidence (déclaration de Porochenko) lors de la rencontre de Sotchi, et que Kerry lui-même aurait reconnue. »

Cette longue séquence mettant en scène des personnages d’une même administration (des démocrates, aujourd’hui considérée comme plutôt “complices“ du Système contre Trump si l’on veut simplifier) montre que les attaques du Système sont systématiques et ne tiennent aucun compte des politiques voulues par les concepteurs et décideurs humains, quelles que soient leurs tendances. Kerry était venu en 2013 dans l’administration Obama pour permettre un réchauffement décisif des relations des USA avec la Russie, après le reset raté d’Hillary Clinton en 2009. Les Russes l’attendaient, à la demande d’Obama lui-même qui avait promis la chose. C’est le contraire qui est venu, et notamment sinon essentiellement avec cette nomination de Nuland qui lui permit de lancer la crise ukrainienne, et cela sans que Kerry ne s’en avise.

(La “rencontre-surprise” de Kerry à Sotchi en mai 2015, avec Poutine-Lavrov, montra bien a contrario, avec la reprise en main temporaire et trop tardive de Nuland par Kerry, combien le secrétaire d’État n’avait rien vu de son rôle jusqu’alors. Mais d’ores et déjà, tout était joué dans le sens d’une aggravation des relations avec la Russie qui étaient devenues structurelles et ne se sont plus démenties depuis, au contraire qui n’ont fait que s’aggraver. Passés désormais dans l’opposition, les démocrates jouent cette carte antirusse à fond et le Système est très content d’eux... Et nous disons bien “Système” plutôt que DeepState dont la composition et l’évolution varient constamment, – justement en fonction de l’alignement sur le Système par rapport aux “apparences de tendance” des administrations .) 

Tout cela, – ce long rappel, – est pour dire que même si Trump “fait le ménage“ dans son NSC, on voit mal comment il pourrait prendre en main sa propre ligne politique après l’avoir imposée à sa bureaucratie, s’il y parvient. D’ailleurs, et pour faire court, Trump a-t-il une “ligne politique” à imposer ? Cet homme est trop producteur de désordre, notamment dans des domaines (diplomatie, sécurité nationale) qui demandent une souplesse et une finesse que sa culture de brutal businessman ignore complètement, pour développer une “ligne cohérente”. De ce point de vue, nous serions tentés de penser que “le ménage” au NSC, même s’il réussit, ne changera rien fondamentalement à la politique (non-politique, non ?) de sécurité nationale de Trump : le désordre reste le désordre, point final. Par contre, l’opération va exacerber l’opposition contre Trump, notamment de la CIA dont les officiers sont expulsés du NSC, des démocrates par conséquent, et la suite, toute cette clique qui juge qu’une sorte de “coup d’État” contre la fonction présidentielle de la part d’un organisme de renseignement ne met danger aucun principe de la Grande République, démocratique en plus d’être “grande”...

Là encore, comme ailleurs à “D.C.-la-folle”, comme hier et comme demain, encore du désordre, toujours du désordre.

 

Mis en ligne le 12 octobre 2019 à 16H24