Syrie, un état (provisoire) des lieux

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Syrie, un état (provisoire) des lieux

Les représentants des casques Blancs n’ont pu se rendre aux Usa pour la cérémonie des Oscars. Ils figuraient dans un documentaire tourné en Syrie The White Helmets. L’enquête de Vanessa Beeley démontre la réalité de leur activité, un simulacre grossier de secourisme déployé pour des caméras sur téléphones portables. La non admission de ces trancheurs de têtes d’enfants enrôlés par les Séoud sur le territoire étasunien peut être attribuée à l’application rigoureuse du bannissement édicté par le Décret Trump. Mais elle peut aussi être comprise comme une volonté de rupture avec ce type de politique d’ingérence des Usa au Moyen Orient. Ce qui signifierait désengagement dans une perspective isolationniste et donc un abandon relatif des provinces vassales qui devront régler leurs problèmes entre elles. Dans l’hypothèse première, imaginons une séquence improbable,  un sentiment de décence aurait pu animer les responsables de ce refus. Les Musulmans se font tuer par millions depuis quelque temps, couronner cette boucherie par un prix burlesque décerné à une comédie sanglante tiendrait d’un satanisme baroque.

La France a eu moins de scrupules à recevoir au palais de l’Elysée puis au palais Bourbon en novembre 2016 ces médiocre comédiens d’Al Nosra , au prétexte que la France «partage avec eux la conception des droits de l’Ôme» dixit Manuel Valls. Elle s’est alors couverte de ridicule et d’opprobre.

Voici esquissé en quelques traits le contexte actuel du positionnement des forces en présence.

Nettoyage des Taqfiristes d’Alep et du Nord

Le général Joseph Votel vient de se rendre en Syrie pour une visite secrète aux Forces Démocratiques Syriennes (FDS),  la milice à majorité kurde que le Pentagone assiste depuis son commandement CentCom. (1) Les FDS fortes  de 50 000 combattants tiennent Manbij et sa région au Nord d’Alep, elles disposent d’armements lourds américains, et depuis janvier 2017 de blindés. Elles sont assistées de militaires étasuniens. Votel est venu se rendre compte de l’étau dans lequel les forces d’Erdogan risquent d’écraser leur instrument favori avouable. Il promet plus de présence de soldats US à leurs côtés. Les FDS sont l’expression du mouvement autonomiste kurde syrien et c’est au titre du projet néoconservateur de morcellement de la Syrie qu’elles sont les auxiliaires du Pentagone. Elles sont encensées par la presse occidentale qui admire et photographie ses femmes soldats en treillis et à la chevelure libre de tout couvre-chef, casque ou fichu.  Si la Syrie se fragmentait, elle le serait depuis cette zone-là.

L’armée syrienne est près de reprendre la ville d’Al Bab de 100.000 habitants, à 30 Km de la frontière turque, elle se bat encore dans ses faubourgs contre la fraction de l’ALS aux mains des Turcs. Elle n’est éloignée de Manbij, la forteresse des FDS à son est, que de 50 km. Elle est stratégiquement vitale pour les habitants d’Alep car elle abrite à son flanc le lac qui alimente en eau la capitale du nord de la Syrie. Après avoir été dominée par la nébuleuse takfiriste, le machin désigné par l’EI, elle était contrôlée depuis la vaste opération d’Erdogan ‘Bouclier de l’Euphrate’ par des milices rebelles au service de la Turquie.

Actuellement donc toute cette frange au Nord d’Alep est nettoyée à la fois des forces terrestres turques et des takfiristes sur plus de 2500 KM2 le long de la frontière turque.

Double mouvement sur Raqqa des Taqfiristes

Depuis la Syrie, ceux-ci n’ont eu d’autre recours que de refluer vers le Sud-Est sur Raqqa, devenue capitale de facto de la nébuleuse takfiriste.

Dans le même temps,  en Irak, l’encerclement progressif depuis de nombreuses semaines de Mossoul avec la prise de nombreux gros villages avoisinants et celle de l’aéroport de la ville contraint les terroristes à fuir vers la Syrie, aidés en cela par l’armée US et le renseignement israélien. Les volontaires des Unités de Mobilisation Populaire de l’Irak, Hashd al Shaabi,  qui viennent de libérer Tal Afar à l’ouest de Mossoul sont formels, ils ont observé l’aviation américaine relarguer des vivres et des équipements à la nébuleuse takfiriste et certains de ses dirigeants ont été exfiltrés sous leurs yeux.

La preuve indirecte que les Usa continuent leur aide aux terroristes est matérialisée par la baisse de la pression opérée par les FDS c’est-à-dire les USA sur  Rakka. L’Etat-major Us n’envisage pas la reprise de l’offensive contre Raqqa avant le printemps 2017 ou la fin de l’année soit aux calendes grecques.

Par ailleurs, l’Irak a frappé des cibles takfiristes en territoire syrien, sans doute dans le cadre du protocole d’échanges d’information entre la Syrie, l’Irak et la Russie. Clairement, le relâchement sur ce front a permis aux takfitistes d’aller attaquer Tadmour ou Palmyre en décembre 2016 puis maintenant d’accroître leur activité dans la banlieue de Damas. Une coalition de plusieurs milices a fait paraître sur la toile un document qui fait office de traité attestant de la coordination de leurs efforts en particulier à Barze et Qaboune, aux portes de la Ghouta orientale. En font partie la milice Jaysh Al Islam de l’Arabie Séoudite et Ahrar al Sham qui a comme champion la Turquie d’Erdogan. Ces banlieues aux portes de la capitale sont ravitaillées par un réseau de tunnels très complexes et très denses et leurs occupants terroristes tiennent bon malgré le blocus terrestre. Damas est vulnérable aux coupures d’eau que lui infligent ces milices, il est impérieux pour l’armée nationale de délivrer les millions de Damascènes de cette menace constante. Les medias occidentaux, prompts à condamner Bashar el Assad pour ses crimes atroces et toujours parfaitement partiaux,  ne rendent compte bien sûr que d’une partie de la situation militaire et humanitaire du terrain.

Au total, Alep, Al Bab, Manbij et Mossoul forment la base d’un éventail avec comme extrémité de l’entonnoir Raqqa vers lequel convergent les 60 milices de diverses obédiences turque, séoudienne, qatarie, française, étasunienne qui s’entretuent parfois très efficacement mais souvent unies pour abattre le régime syrien.

La pointe du cône n’est pas étanche, elle laisse passer ce qu’il faut pour perpétrer des opérations kamikazes à Homs, Damas, couper l’eau à Damas et reprendre pied à Palmyre.

La valse diplomatique

Selon les dires du responsable des opérations militaires au Moyen orient de l’Otan, des groupes nombreux, aux intérêts divergents, sont présents sur un territoire resserré de quelques centaines de km2. Les avions des uns et des autres risquent de se heurter avec risque de conflits potentiels. D’où l’appel à la prudence en ce domaine lancé par les Usa en direction des Russes.

Ce chassé-croisé des armes et des porte-flingues pour le compte de puissances étrangères sert de toile de fonds pour l’activité diplomatique actuelle et l’éclaire.

La Turquie réalise des accords avec le Kurdistan irakien, dans la suite de leur collaboration dans l’acheminement et la transformation du pétrole volé par la nébuleuse takfiriste. Ils ont été de nouveau scellés lors de la rencontre de Ben Ali Yildirim, Premier Ministre turc,  et son homologue Barzani en novembre 2016  à Ankara. Pour les alliés du jour, il faut assimiler PKK, parti des travailleurs kurdes et PYD, parti kurde syrien et veiller à les éliminer.

L’époque où les Usa favorisaient la présence d’avions des Séoud sur la base d’Incirlik dans le cadre de la ‘coalition contre l’EI’ c’est-à-dire février 2016, semble très lointaine. Depuis la tentative du coup d’Etat de juillet 2016, la Turquie se réserve le droit de fermer la base de l’OTAN près d’Adana et fait peser dans la balance l’aide des Usa au PYD.

Les Séoud retournent pour la première fois en Irak. Leur Ministre des Affaires Etrangères s’est déplacé à Bagdad, alors que l’ambassadeur des Séoud, persona non grata pour propos désobligeants et provocateurs, avait été expulsé en 2016. Le gouvernement irakien demande aux Séoud de rompre leur silence approbatif sur la présence au nord de l’Iraq de milliers de soldats turcs. Les princes-robinets du pétrole voudraient-ils sortir de leur isolement dans la région ? Ne font-ils que s’incliner devant les succès de l’armée irakienne qui est en train de regagner rapidement Mossoul contre la prédiction pessimiste de l’administration d’Obama qui la reculait à un lointain avenir de plusieurs années ?

La guerre impitoyable qu’ils mènent au peuple arabe le plus pauvre avec menace de morts par famine pour des millions d’enfants, bien plus meurtrier que le blocus étasunien sur l’Irak, perdure sans résultat appréciable pour l’agresseur. La rencontre de Adel Joubeir avec ses homologues irakiens semble témoigner d’un revirement de la doctrine des roi-robinets. Après avoir prêché une union sacrée confessionnelle, réduite à une vision étriquée et ultra-sectaire, ils semblent vouloir devenir les champions d’une union linguistique. Ils comptent embarquer quelques dirigeants de la région dans un Front arabe après qu’ils eussent été les apôtres d’un sunnisme de leur invention à leur usage politique.

Avec toujours en ligne de mire, l’Iran comme réelle puissance régionale sans laquelle ni le problème syrien ni l’irakien ne peut être résolu. Mais l’éditorialiste de Raï Al Youm déchiffre dans cette démarche une nouvelle approche plus réaliste des Séoud qui entendent approcher l’Iran incontournable par l’intermédiaire d’une de leurs premières victimes, l’Irak. Cette attitude empreinte d’un réalisme presque soudain  tient compte du niveau de remplissage des caisses du Trésor Public de moins en moins pleines des dividendes de la manne du robinet. Le Royaume se sépare des travailleurs étrangers qu’il accueillait et pratique la politique de la préférence nationale même pour les métiers les moins nobles et les moins prisés. Il ne s’était jamais vraiment remis du financement de la première guerre  contre l’Irak (du Golfe) de 1991, mais le prix du brut des derniers mois et  l’engagement absurde au Yémen sont en train d’avoir raison de sa prétention et de son arrogance.

Intégrité territoriale

Les formats de résolution de conflit menée par la Russie peuvent exclure dorénavant les protagonistes extérieurs à la région, Usa et France.

Quand la Russie intervient en Syrie à la demande du gouvernement en place, elle défend d’abord ses frontières et ses intérêts stratégiques. Elle a posé comme principes gouvernant sa politique internationale le respect de la règle de non ingérence et de l’intégrité territoriale. Elle a récemment convoqué le PYD à Moscou pour l’entretenir des résultats des pourparlers d’Astana dont il était exclu en raison de ses ambitions séparatistes.

Il fait peu de doutes que cette rencontre a suscité le courroux outragé de la partie syrienne au pouvoir.

En janvier 2017, l’armée d’occupation sioniste a réalisé une frappe sur l’aéroport militaire Mezzeh près de Damas. De nouveau, début février, un hélicoptère sioniste a frappé des positions tenues par le gouvernement syrien à Quneitra près de la frontière libanaise. Ces incursions posent la question du degré de l’inviolabilité du ciel syrien. Elle sont en train de tester la solidité de l’alliance russo-syrienne et/ou l’efficacité des missiles sol-air délivrés par la Russie à l’armée régulière syrienne.

Elles rappellent que l’occupant sioniste est un acteur dans le conflit syrien, même si les medias occultent avec obligeance ses aides logistiques à al Qaida sous ses diverses appellations ainsi que sa précieuse assistance médicale et la possibilité de repli sur son territoire pour les takfiristes.

Dans le cadre d’une éventuelle détente avec les Usa, la Russie saura-t-elle tenir son engagement de maintenir l’intégrité territoriale de la Syrie ? 

Badia Benjelloun