Renaud Camus aux USA

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Renaud Camus aux USA

13 avril 2021 – Vous autres, qui parlez de notre “américanisation” d’aujourd’hui, comme si vous découvriez un horrible cadavre aussi vieux et pourri de sa vigueur pourtant toujours explosive, que personne n’avait jamais vu dans le placard, alors que le sujet est l’objet de batailles sans fin depuis l’origine, – voyez notamment la période la plus intense d’antiaméricanisme développé comme une bataille contre l’“américanisation” absolument menaçante, des années 1920 au milieu des années 1930, de ‘Scènes de la vie future’, de Duhamel [Georges] au ‘Cancer américain’ de Dandieu-Aron [Robert], – vous autres qui dénoncez notre “américanisation”, que diriez-vous de la “francisation” de l’Amérique ?

(Laquelle “francisation” existe depuis l’origine comme une force latente avec ses périodes de fulgurance, cette force étant même l’un des deux grands fondements politico-culturels de la Grande République, qui s’affrontent constamment, entre l’anglosaxonisation [avec Hamilton principalement parmi les Pères Fondateurs] contre la francisation [avec Jefferson principalement, parmi les mêmes]... Voyez deux Parties du Tome-I de ‘La Grâce de l’Histoire’ : ‘Le rêve américain et vice-versa’ [Deuxième Partie] et ‘Du rêve américain à l’American Dream’ [Troisième Partie].)

La “francisation” s’exprime essentiellement par la culture, l’art et l’“art de vivre”, par les idées, qui viennent des deux pôles à la condition qu’elles soient extrêmes, et enfin par les mots venus d’une langue sans égale et qui sont bien plus, infiniment plus que de la communication. L’extraordinaire phénomène du wokenisme qui secoue l’Amérique et que tous nos grands esprits du parti parisien des salonards s’entêtent à n’en rien voir, comme cet autre extraordinaire phénomène de la francisation constante de l’Amérique dont ils ignorent tout de la vérité-de-situation, trouvent leurs racines essentielles dans deux grandes idées françaises, plus ou moins opérationnalisées, plus ou moins acclamées, plus ou moins dénoncées, mais bien réelles.

On a déjà vu sur ce site, à de nombreuses reprises, l’idée de “déconstruction” au travers du destin et des activités de quelques philosophes fameux qui, dans les années 1970, habillèrent le malaise de la gauche américaniste, jusqu’à l’extrême, de leurs concepts essentiels. Là-dessus, on consultera nos Notes d’Analyse du 27 septembre 2020 où les déconstructeurs, ou ‘déconstructurationnistes’ comme on les nomme également ici et dans ces pages, sont montrés dans toute leur puissance d’influence sur l’actuel phénomène, côté gauche de l’extrême bien entendu... Et je pense que cette influence se résume en un symbole extrêmement puissant, en un mot, tant la puissance des mots est grande, surtout lorsque l’on part de la langue française qui l’a employé exactement dans son sens actuel, presque métaphysique sinon satanique ; ah oui, le mot étant “les déconstructeurs”, encore plus que “déconstruction”, ce qui donne un petit tour personnel dont tous les wokenistes adorent au fond d’eux-mêmes se parer avec ivresse ; ce mot qui donne à l’être humain en cause, transgenre entre homme et femme, la sensation, la perception, l’illusion d’être un acteur de la chose.

Mais voilà, en parfaite et bien française symphonie des équilibres, que je découvre qu’un autre mot, – ou plutôt deux mots, l’un qualifiant l’autre si fortement que les deux n’en forment qu’un, – forgé par l’écrivain Renaud Camus, a également sa place dans l’immense débat de fureur et d’affrontement en cours aux USA. Ce “mot” lui a d’ailleurs valu (à Camus) d’être envoyé dans l’enfer de la bienpensance et du PC, censuré, poursuivi en justice française, impublié dans le monde-parisien, – et donc réduit à se publier lui-même grâce aux moyens donnés par la technologie culturelle postmoderne contre laquelle il se bat avec tant d’ardeur, – faisant ainsi preuve et grand art de l’emploi de la tactique suprême de Sun-Tsu, du “faire aïkido”.

Ah oui, le mot ! Vous autres, vous le connaissez bien, et vous savez ce qu’il vise et dénonce avec virulence : le “Grand-Remplacement”.

Voyez ce texte, avec comme acteur Newt Gingrich et Tucker Carlson, – du beau monde de la droite populiste extrême aux USA, – et comme sujet la crise qualifiée de “non-crise” à la frontière Sud, et la qualification de la Vice-Présidente Harris chargée de lutter contre cette “non-crise”, et qui rigole quand on lui parle d’aller jeter un coup d’œil sur la frontière Sud.

 

« L'ancien président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, a déclaré lundi [12 avril] sur la chaîne d’information Fox News que l’administration du président Joe Biden avait placé la vice-présidente Kamala Harris en charge de la frontière “parce qu'ils savaient qu’elle ne ferait rien”.
» Gingrich a affirmé dans une interview à Fox & Friends que “si vous jetez un regard historique sur les choses en cours, parfois l’évidence dit le vrai. Ils voulaient que Harris soit chargée de la frontière parce qu'ils savaient qu’elle ne ferait rien. Ce n’est pas une erreur ; c’est pourquoi ils refusent de qualifier de ‘crise’ la situation sur la frontière Sud.”
» Il a ensuite accusé les démocrates de vouloir que la frontière soit ouverte.
» “Jetez un coup d’œil en arrière et regardez bien les débats des primaires démocrates pour les présidentielles. Ils sont tous en faveur de l’ouverture des frontières. Ils sont tous en faveur de l’élimination de l’ICE [service des douanes et de la police des frontières]. Ils sont tous en faveur de l'élimination de toute menace contre les villes sanctuaires [des illégaux].
» “Donc, de leur point de vue, les prochaines dizaines de milliers  de  personnes [qui entrent aux USA] sont bonnes parce que cela augmente encore le nombre d'immigrants illégaux aux États-Unis, ce qu’ils veulent.”
» Gingrich a ensuite déclaré : “Bien sûr, cela fonctionne. Et si votre objectif était d’avoir le maximum d’illégaux aux États-Unis ? Comment feriez-vous mieux que Biden ?”
» Bobby Lewis, chercheur à ‘Media Matters’, a tweeté un extrait de l'interview de Gingrich avec le commentaire suivant : “Fox & Friends flirte avec le ‘Great Replacement’ [Grand Remplacement], une théorie conspirationniste suprématiste blanche.”
» Gingrich semblait faire écho au présentateur et commentateur-vedette de Fox News Tucker Carlson, qui a récemment été critiqué pour ses commentaires sur les démocrates qui “essaient de remplacer l’électorat actuel” par des immigrants.
» Tucker Carlson a notamment déclaré la semaine dernière sur FoxNews [et il a poursuivi massivement sur ce thème cette semaine, dès hier soir] : “Je sais que la gauche, et tous les petits censeurs sur Twitter deviennent littéralement hystériques si vous utilisez le terme ‘remplacement’, si vous suggérez que le parti démocrate essaie de remplacer l’électorat actuel, – les électeurs qui votent actuellement, – par de nouvelles personnes, des électeurs plus obéissants du tiers monde.”
» Il a ajouté : “Dans une démocratie, une personne égale une voix, si vous changez la population, vous diluez le pouvoir politique des personnes qui y vivent. Donc, chaque fois qu’ils importent un nouvel électeur, je suis privé de mon droit de vote en tant qu’électeur actuel...” »

 

Notez bien que je ne suis pas là, selon la voie que j’ai choisie pour développer ce thème, pour prendre un parti ou l’autre, entre “Déconstructeurs” et “Grand Remplacement”, non sans conclure d’un point de vue opérationnel qu’effectivement les deux idées se complètent (pour “remplacer”, il faut d’abord détruire, c’est-à-dire “déconstruire”). Cette logique-là est beaucoup plus importante que de savoir ce qu’on déconstruit et ce qui servira de remplacement, et dans quel but, etc. Par conséquent, les différences considérables des caractéristiques des situations considérées en France et aux USA, qui poussent les esprits courts à trancher “Rien à voir !”, les conduisent tout bonnement à rater l’essentiel qui est le rythme et le sens des événements.

Les deux mots, à la place qu’ils ont, dans l’époque où ils se trouvent, dans les circonstances où on les emploie et selon qui les emploie, se suffisent pour concentrer toute la tragédie de cette époque, – beaucoup plus que tous les débats sur le marxisme, et sur le marxisme recyclé en blanchissement numérique sous la surveillance de Tweeter, – pour être quitte de la “blanchitude”.

(Et, bien entendu, je ne dis pas, ce faisant, qui est le vainqueur et qui est le vaincu dans un affrontement dont ils font partie, mais dont le rythme et le sens nous sont inconnues, et dont l’issue par conséquent nous échappe. Les choses, même si elles vous paraissent insupportables ici et là, sont surtout extrêmement compliquées. Après tout, j’ai bien pu accepter et même élaborer que les “déconstructeurs” étaient nécessaires à leur effondrement, – ce qui se lit dans les titres des deux textes déjà référencés : « ‘Déconstruction’ du déconstructeur » et « Notes sur une contradiction interne », où je me trouve finalement bien à mon aise puisque retrouvant mon vieil adversaire, – toi, le Système.)

Ce qui m’importe, j’y reviens, c’est la puissance conceptuelle de certains mots, qui constituent alors une aide d’une puissance inouïe pour donner leur rythme et leur sens à des événements dont je prétends qu’on ne les comprend pas parce qu’ils ne sont pas de nous, parce qu’ils nous sont imposés. De ce point de vue, et par rapport à ce segment civilisationnel de la fin définitive des choses en cours, la puissance de la langue française donne les concepts nécessaires à la caractérisation de la situation. Même les Américains et les américanistes s’en servent, et cela est bien tout dire à ce propos de l’universalisme-intuitif de cette langue.

Cela nous est par ailleurs une précieuse indication pour, non pas comprendre mais accepter comme un fait acquis et significatif l’état actuel de la France, qui semble rassembler en elle-même toutes les catastrophes de ce segment civilisationnel final, et toutes les rancœurs, les fureurs, les résistances souvent sinon toujours impuissantes que ces catastrophes suscitent. La France n’a jamais été aussi bas, elle n’a jamais autant ressenti la bassesse de son état, elle ne s’est jamais autant révolté de fureur contre cet état, et jamais sa révolte n’a été aussi impuissante malgré la grandeur de sa fureur. Dire tout cela, c’est bien entendu décrire la Grande Crisedont la France a tous les attributs et tous les caractères, sans préjuger une seule seconde de l’issue, – sauf, bien entendu, qu’on sait bien que, dans mon chef, la surpuissance de cette crise du Système qui nous paraît irrésistible, et surpuissance née du Système, nourrit son autodestruction, – celle de la crise et du Système.