Regarder la Russie au fond des yeux

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Regarder la Russie au fond des yeux

Désormais, il va falloir regarder la Russie au fond des yeux. Notre idée, en effet, est qu’un président russe ne remet pas à une FakeNews l’Ordre de Saint-André, comme il l’a fait hier en décorant Gerbert Efremov, 87 ans, proclamé et salué comme l’architecte de cet avancement essentiel du domaine stratégique russe que sont les programmes hypersoniques.  Les ‘Occidentaux’, eux, auront comme principaux concurrents, catégorie Nobel de la Paix, le président Trump avec sa chevelure orange et Andrei Navalny qui a trouvé des traces de Novichok de catégorie Putinium dans une bouteille d’eau minérale. Chacun fait avec ce qu’il peut, avec ce qu’il a, – “et ainsi font, font, font les pe-ti-tes marionnettes”.

Hier après jeudi, Poutine a longuement développé le sujet des armes hypersoniques russes, mettant en évidence le caractère extraordinaire du développement de ces armes qui donnent à la Russie une avance décisive au niveau stratégique et stratégique nucléaire, et à plus forte raison aux niveaux intermédiaire de l’affrontement conventionnel avec emploi de missiles à têtes explosives diverses et à très grande précision.

Un texte de Ilya Tsoukanov, sur Sputnik.News, détaille l’intervention de Poutine auprès du créateur de ces avancées technologiques préparées en plusieurs étapes depuis les années 1960-1970, Gerbert Efremov, directeur général honoraire et concepteur du légendaire bureau de conception de fusées de la NPO Machinostroyenia. C’est évidemment en mars 2018 que la Russie, dans le chef d’une intervention de Poutine, a dévoilé l’existence de ces armes (Khinzai, Avangard, etc.) qui, depuis, entrent en service avec une très grande rapidité, établissant au niveau opérationnel l’avance russe dans ce domaine suprême. Les pays disponibles du bloc-BAO vont s’y mettre, mais quand ils parviendront à développer des engins de cette catégorie, Poutine leur promet que la Russie aura développé une défense anti-missiles contre les hypersoniques, – donc, toujours avec un coup d’avance.

Poutine parlant à Efremov :

« “J’ai dit à maintes reprises que pendant des décennies, nous avons constamment dû jouer sur la corde raide pour rattraper nos retards successifs. Vous le savez très bien. Cela concernait les armes nucléaires, puis l'aviation stratégique à longue portée et la technologie des missiles balistiques intercontinentaux”, a déclaré M. Poutine. [...] 
» “Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire de la Russie moderne, le pays possède les types d'armes les plus modernes, qui sont de loin supérieures en termes de force, de puissance, de vitesse et, chose essentielle, en termes de précision par rapport à tout ce qui existait avant eux et qui existe aujourd'hui”.
» Félicitant Efremov et NPO Mashinostroyenia pour leur travail de construction du véhicule à vol plané hypersonique Avangard, Poutine a comparé son succès à celui de l’URSS lorsqu’elle acheva le développement de sa première bombe nucléaire en 1949 : “Il est difficile de surestimer l'importance des résultats de votre travail. Vous n'avez pas seulement été présent au début de cette percée technologique, – vous en êtes l'auteur. Dans les circonstances actuelles pour notre pays, la mise en œuvre de vos idées peut sans aucun doute être comparée à la réalisation par l'Union soviétique de projets nucléaires et de missiles par les scientifiques soviétiques exceptionnels que furent Igor Kourchatov et Sergei Korolov”, a déclaré Poutine. »

Parallèlement aux honneurs et aux félicitations nationales dont il a voulu honorer Efremov comme tous les participants à cet effort technologique et stratégique, Poutine a profité de l’occasion pour remettre les choses dans leur contexte. Il a expliqué les causes fondamentales de cet effort stratégique et technologique de la Russie dans son appréciation politique, face à l’unilatéralisme et l’hégémonisme autiste de la partie américaniste. C’est en 2002 que les USA sont sortis du traité ABM et qu’ils ont commencé aussitôt à développer un réseau global de missiles anti-missiles, jusqu’aux frontières même de la Russie par l’intermédiaire utile de l’élargissement de l’OTAN. Cette correspondance des efforts indiquaient que les USA, notamment sous l’inspiration incandescente des neocons et de John Bolton,  cherchaient une supériorité stratégique et une capacité de première frappe nucléaire pour éliminer les forces nucléaires stratégiques russes. Poutine en a parlé dans une vidéo-conférence le 17 septembre, deux jours avant sa visite à Efremov.

« Vladimir Poutine est revenu sur les débuts du développement des armes hypersoniques en Russie lors d’une visio-conférence ce 17 septembre. C’est le retrait des États-Unis du Traité de défense antimissile (ABM) en 2002 qui a forcé la Russie à commencer à développer ce type d’armes. “Nous avons dû créer ces armes en réponse au déploiement par les États-Unis d'un système de défense antimissile stratégique qui aurait été en mesure de neutraliser tout notre potentiel nucléaire”, a précisé Poutine.
» Dans les années qui ont suivi, la Russie a fait tout son possible pour arrêter le développement stratégique des armes hypersoniques, mais en vain, a poursuivi Vladimir Poutine.
» “Nous avons déployé tous les efforts possibles pour parvenir à des accords avec la partie américaine pour terminer les travaux sur leur défense antimissile stratégique et sur sa mise en œuvre conjointe dans les zones dangereuses pour nos missiles stratégiques, y compris avec la participation d'États européens. Cependant, toutes nos tentatives ont été vaines”.
» Poutine a expliqué qu’à cet égard, en 2004, le travail à grande échelle [sur les armes hypersoniques] a commencé : “Nous en avons publiquement averti tout le monde. J’en ai parlé publiquement. Apparemment, personne ne nous a crus à l’époque. Ils ont cru que nous ne pouvions pas le faire”. »

Sauf bien entendu la responsabilité initiale qui ne peut être mis au débit d’une puissance disposant d’une telle exceptionnalité que sont les USA, ces constats du président russe sont en bonne partie quoiqu’involontairement partagés par les chefs militaires US, engagés dans une aventure mirobolante, quasi-surréaliste par rapport à la Russie. Le Général Timothy Ray, chef du Global Strike Command (anciennement Tactical Air Command) de l’USAF, a, dans une intervention sur les capacités stratégiques nucléaires US, fait le bilan de la comparaison de l’effort actuel de modernisation stratégique des USA et de celui de la Russie.

« Les États-Unis sont déjà au milieu d'un programme de 1 500 $milliards visant à moderniser leur arsenal nucléaire, qui a été lancé sous le président Barack Obama et poursuivi et renforcé sous la présidence Trump...[...]
» En comparaison, selon les estimations du Pentagone, la Russie a dépensé l’équivalent de 28 $milliards, soit environ 2 % des dépenses des USA, pour moderniser son propre arsenal nucléaire ces dernières années, ce programme étant en voie d’achèvement avec l’ajout de nouveaux systèmes de missiles hypersoniques capables d'échapper aux défenses antimissiles.
» En dépit de ces dépenses disproportionnées en faveur des USA, Ray a déclaré que les adversaires potentiels de Washington se sont modernisés “à un niveau qui n’est pas celui des Etats-Unis”, et que ces “pays pairs” ont en fait déjà amélioré à la fois leurs capacités nucléaires et les systèmes pour les porter. »

L’article de Sputnik.News pose la question qui s’impose devant ces faits surréalistes des différences astronomiques de dépenses entre les USA (1 500 $milliards) et la Russie (28 $milliards) pour un résultat catastrophique pour les USA, mais curieusement sous une forme qui semble par avance minorer grotesquement la façon de procéder des Russes par rapport aux richissimes américanistes : « Why Has Russia’s Nuclear Modernisation Been So Much More Modest? »

La réponse n’en est pas une, évidemment, devant ce mystère insondable qui est en fait éclairé par de simples et grotesques travers d’une puissance en état de pourrissement et d’effondrement, à qui il reste comme arme stratégique quasi-nucléaire la planche électronique à imprimer des billets. L’article continue en ne faisant que décrire les efforts russes et leurs résultats, tant pour la modernisation des modèles existants (les bombardiers stratégiques) que pour le développement de ces armes entièrement nouvelles. Les USA, eux, peinent à développer ces mêmes armes où ils se trouvent aujourd’hui complètement surclassés, comme si les centaines de $milliards gaspillés en masse avaient pour mission de constituer un obstacle insurmontable à leur développement plutôt que de prétendre être la clef de ce développement. Dans tous les cas, ceci pour le côté russe, concernant des précisions sur l’historique de la voie de développement des hypersoniques :

« La Russie a commencé à travailler sur la création de systèmes de missiles hypersoniques en 2002, immédiatement après que l'administration Bush soit sortie du traité ABM de 1972. Moscou a [développé] les systèmes hypersoniques grâce à la recherche fondamentale dans ce domaine menée par les ingénieurs soviétiques dans les années 1960, 1970 et 1980 par le Bureau de conception Raduga, l'Institut central Baranov de développement des moteurs d'aviation et le Bureau de conception des fusées NPO Mashinostroyeniya. Les travaux de ces instituts ont été gelés dans les années 1990 jusqu’au début des années 2000 [jusqu’en 2004] en raison du réchauffement des relations entre l’Occident et la Russie, mais ils se sont révélés inestimables depuis, lorsque Washington a commencé à construire un bouclier antimissile capable d’abattre des armes nucléaires, menaçant ainsi la stabilité stratégique mondiale et la parité entre les puissances nucléaires. »

Il n’y a là-dedans aucun mystère particulier... La gigantesque et indescriptible incurie du Pentagone, entre gaspillage, corruption psychologique basée sur la certitude de sa propre exceptionnalité et la justesse des choix faits et très coûteux (et, en face, la stupidité à mesure notamment de ses adversaires russes ainsi punis pour leur ‘méchanceté’ intrinsèque), tout cela donne des effets monstrueux en raison des formidables budgets attribués et aussitôt gaspillés. Bien entendu, tous les grands projets stratégiques envisagés dans cet effort urgent entrepris sous Obama sont déjà confrontés à des difficultés et des impasses qui ne cessent d’affirmer leurs vertus exponentielles.

C’est notamment le cas du nouveau bombardier B-21 Raider de Northrop Grumman (100 exemplaires prévus en 2019 à 564 $millions l’exemplaire pour une mise en service en 2025, – un rêve de type délirant). Son développement d’urgence prévoyait en 2018 un premier vol en 2021 et un déploiement 3-4 ans plus tard. Le premier vol est reporté à 2022 en attendant pire. Le prix officieux par unité dépasse désormais, “très largement” selon certaines sources de la presse technique indépendante, le $milliard.

Une remarque et un “détail” assez curieux et exotique concernent l’un des vieux bombardiers stratégiques restants (mais moins vieux que le B-52, certes ! Le B-52, vieux de presque-trois-quarts de siècle, est par contraste d’époque et de nostalgie historiciste, le meilleur d’entre tous) : 17 de la soixantaine de B-1B restant en service ont été définitivement retirés « à cause de leur usage impropre au Moyen-Orient dans les années récentes », ayant entrainé des dommages structurels irréparables... Qu’est-ce que c’est qu’un “usage impropre” dans des missions aériennes de bombardement pour un avion de cette importance et de cette sophistication impliquant des préparations minutieuses, “usage important” en missions entraînant des dommages structurels conduisant à sa mise hors-service ? Les utilisateurs sont-ils sérieux, responsables, compétents, scénaristes à Hollywood ?)

Tout est à l’avenant. Le Pentagone vit dans un autre monde, un monde qui lui est propre, où les hypersoniques qui amènent des améliorations opérationnelles décisives, peinent à trouver leur place du côté US, si même on parvient à les développer ; si même on sait ce dont il s’agit dans le labyrinthe de la bureaucratie pentagonesque. Plus les $milliards sont déversés dans ce gigantesque tonneau des Danaïdes, plus les programmes et les efforts de modernisation se perdent comme autant de tonneaux de Danaïdes adjoints dans des situations catastrophiques dont le programme B-2 a été l’un des innombrables exemples iinspirateurs. (Le B-2, que le B-21 doit renforcer, a commencé en 1985 à $590 millions l’exemplaire pour 132 exemplaires et a terminé finalement en 1995, en estimation basse, à 2,1 $milliards l’exemplaire pour 21 exemplaires.) Non seulement la Russie a pris un avantage irrésistible en matière de puissance stratégique nucléaire, mais le Pentagone lancé dans un effort de modernisation énorme ne semble devoir aller que vers une situation encore pire, tandis qu’il débat théoriquement de l’usage de l’arme nucléaire dans des conflits d’intensité plus basse, échappant aux règles d’engagement nucléaires strictes de l’affrontement stratégique au plus haut niveau. Moins les forces US disposent de puissance, plus leurs chefs suivant les conseils de leurs bureaucraties envisagent d’en user dans de situations à haut risque (pour eux), contre un adversaire qui les a irrésistiblement distancés.

 

Mis en ligne le 20 septembre 2020 à 06H35