Poutine s’en lave-t-il les mains ?

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Poutine s’en lave-t-il les mains ?

Nous nous attachons à deux textes concernant l’attitude de Poutine, de la direction russe et même de la Russie elle-même, vis-à-vis des présidentielles USA-2016 qui est évidemment le principal sujet de grande politique et au cœur de la crise de cette deuxième moitié de 2016. Ces deux textes ont la particularité de venir de deux commentateurs du monde anglo-saxon, mais travaillant, l’un occasionnellement, l’autre structurellement, avec les médias russes, ici spécifiquement RT qui est le média russe le plus international, et le plus connu en langue anglaise avec forte pénétration du monde anglo-saxon, dans la nouvelle structure de communication russe. Par là, nous entendons que ces deux commentateurs, s’ils ont une attitude dissidente de la presse-Système du bloc-BAO et s’ils ont beaucoup de contacts avec le monde russe, gardent des liens serrés avec le monde anglo-saxon. C’est-à-dire que ce type de commentateurs, placés à la jointure des mondes russe et anglo-saxon occupent une position, avec les contacts qui vont avec, où l’on est le mieux à même d’apprécier des évolutions importantes quoique sous-jacentes du coté russe par rapport au monde anglo-saxon.

Nous donnons toutes ces précisions pour expliquer le crédit que nous accordons à ces deux analyses, – qu’elles soient de l’ordre du fondamental (stratégique) ou de l’ordre du conjoncturel (tactique) pour ce qui serait l’actuelle position russe vis-à-vis des USA. En effet, ces analyses, qui ne pas sont les seules à suggérer cette orientation, présentent l’intérêt de signaler ce qui pourrait être une évolution ou un changement important de la position officieuse ou implicite de la direction russe vis-à-vis présidentielles USA-2016. Elles tendent à contredire ou à signaler une évolution par rapport à ce qu’on appréciait en général des “relations” et de l’intérêt de Poutine pour ces élections, – notamment des relations supposées ou implicites, ou théoriques ou secrètement directes, etc., avec Trump, tout cela bien entendu sans la moindre confirmation officielle.

• Il s’agit d’abord d’une analyse de Bryan MacDonald, journaliste irlandais basé en Russie, qui est un collaborateur extérieur régulier de RT. Son texte du 2 août sur RT a pour titre explicite : « Who does the Kremlin want to win: Clinton or Trump? » Les explications de MacDonald sont complexes et parfois contestables lorsqu’il rappelle certains précédents, notamment de ce qu’il faut attendre, du côté russes, des candidats US lors qu’ils deviennent présidents. (Faire de Kennedy un candidat qui se voulait conciliant avec l’URSS et qui se montra agressif vis-à-vis d’elle lorsqu’il devint président est exactement le contraire de ce que fut Kennedy, évoluant selon des forces et des événements qu’il découvrit peu à peu, parallèlement à Krouchtchev, et dont il fut finalement la victime ; faire de Reagan un candidat à la rhétorique guerrière qui finalement joua un grand rôle de président pseudo-pacifiste pour une fin sans trop de dégâts de la Guerre froide, c’est lui accorder des pensées qu’il était bien incapable d’avoir et lui faire jouer un rôle central dans l'événement alors qu’il n'en fut qu’un acteur de complément, plutôt de série B, laissant l'initiative et la vedette à Gorbatchev.)

Quoi qu’il en soit, MacDonald, qui confirme sans surprise l’absence complète de sympathie de Poutine et des dirigeants russes pour Clinton, introduit surtout l’élément d’une contestation complète de quelque arrangement que ce soit avec Trump, ni même de préférence pour lui. Ainsi le sentiment serait-il qu'“aucun des deux candidats n’a la moindre préférence du Kremlin”...

« The feeling amongst Moscow’s expert community is that the Kremlin has no idea about which candidate it favors. Both have so many negatives that it has come down to a choice of who will be the least evil of two lessers. [...]

»... Armed with this knowledge, it’s reasonable to assume that Putin is not very excited about a putative US supremo [Clinton], who in a moment of remarkable hyperbole, equated him to a man responsible for the deaths of millions of Russians. But that doesn’t mean Putin, a politician of immense experience, is overjoyed about the prospect of Trump either. If mere words were all it took to discommode the President, he’d hardly have survived close to two decades on the frontline of Russian politics. And so this brings us to the man they call ‘the Donald.’ It's hard to swallow the notion that Russia’s highly educated elite could favor anybody this uncouth and unstable. His foreign policy suggestions on NATO might sound like music to Kremlin ears, but the rest of his platform doesn’t... [...]

» While Trump is an unknown quantity, Hillary is another story entirely. What you see from her is probably what you will get. Sure, Moscow is hardly enthusiastic about what it can visualize right now, but it’s probably more comfortable than flying blind. So who does the Kremlin favor between Trump and Hillary? Most likely neither of them. »

• Le deuxième texte cité est, d’une certaine façon, plus intéressant et plus révélateur parce que, plutôt qu’évaluer la situation US pour aboutir au constat qu’elle n’offre aucune possibilité de déterminer une préférence, il explicite la position russe, sinon celle de la Russie elle-même au travers de ses citoyens, plutôt que ce qui serait seulement la position de la direction russe (de Poutine). Le résultat est une sorte de désintérêt fataliste devant ce qui est perçu comme une agitation sans aucune cohérence, qui répond à des impulsions extrémistes et irresponsables, qui est hors de tout contrôle rationnel, qui ne peut qu’aboutir à la poursuite de l’actuelle tension entre les USA et la Russie, sinon pire, et cela quel que soit l’élu de novembre prochain.

Il est intéressant que l’auteur de cette analyse soit Peter Lavelle, présentateur de Cross-Talk, l’une des émissions politiques vedettes de RT-USA. Son analyse, qui paraît dans TheDuran.com ce 3 août est accompagné de la mention (qui accompagne tous ses textes sur ce site) que nous jugerions ironique mais qui reflète assez justement le statut de ce commentateur que l’on doit lire en le jugeant dégagé de toute obligation d’opinion : « Peter Lavelle is host of RT’s political debate program CrossTalk. His views may or may not reflect those of his employer. » Dans ce cas, nous pourrions paraphraser cet avertissement en disant qu’effectivement son appréciation pourrait être exactement ou pourrait ne pas être exactement celle de la direction russe, mais qu’elle reflète par contre assez justement un sentiment populaire russe dominant...

« While American voters navigate through the political cesspool known as the mainstream media, Russia and Russians view the U.S. presidential election with a combination of incomprehension and amusement. It doesn’t matter who will move into the White House in January because Russians are resigned to the reality the next president will be just as hostile to Russia as Barack Obama.

» Russians like very much and respect their president Vladimir Putin. Much is expected of him and he more times than not he delivers – this alone sets Putin apart from his peers around the world. Russians are also accustomed to the endless barrage of negative western media of their head of state. Their reaction: a mixture of “he must be doing something right” and the west’s envy of a strong and decisive leader.

» When it comes to the U.S. presidential election, many in Russia are bemused by it – what they see is a spectacle without much substance. They observe a media obsessed with gossip, spin, and petty chitchat – essentially a beauty contest with ugly contestants. The thought that Putin would intentionally insert him into this circus strikes many as rather absurd. The American political established is viewed with great disbelief. American politicians preach about so-called liberal values, while being exceptionally arrogant, ignorant and hypocritical in their actions. The American political elite and its pliant corporate media are simply not to be trusted.

» In this election cycle there are two main candidates. Republican Donald Trump appears to be a little less hostile than Democrat Hillary Clinton. But Russians don’t think in terms of American election cycles – they reflect on a quarter century of endless ridicule and loathing coming from the United States... [...] Russians are used to the west talking about them as if they are devoid of any sense of agency. Nothing could be further from the truth. When watching the American election the conclusion they draw this the following: nothing good will come form this election that could remotely benefit Russia. Americans can keep their so-called democracy and keep Russia out of it. »

...Si l’on reprend la dernière phrase de notre présentation de texte de Lavelle (“son appréciation pourrait être exactement ou pourrait ne pas être exactement celle de la direction russe, mais [...] elle reflète par contre assez justement un sentiment populaire russe dominant...”), sans doute aurions-nous justement une proposition hypothétique acceptable à nos propres yeux de ce qu’est en train de devenir la position politique de la direction russe, – dans ce cas, se faisant l’écho exact du sentiment populaire. Effectivement, les dirigeants russes, comme tout le monde sur cette planète, ne savent que penser, ni du déroulement ni de l’issue de cette présidentielle USA-2016, ni de ce que serait précisément la politique du prochain POTUS, – si politique et si POTUS il y a. Ils sont simplement placés, comme tout le monde, devant l’“American chaos”, qui est d’une sorte particulière ne serait-ce que par son auto-alimentation qui fait qu’au plus les choses se clarifient (désignation des deux candidats finaux), au plus elles deviennent opaques et insaisissables. Dès lors, leur attitude tend de plus en plus à être celle du public russe en général : une méfiance profonde et quasi-fataliste, sans espoir de redressement, devant tout ce qui vient des USA aujourd’hui … C’est-à-dire, au mieux, la poursuite de la politique exécrable suivie jusqu’ici, – et au pire, eh bien, pire que cette “politique exécrable”...

Les derniers événements, et notamment l’épisode de la fuite des e-mails de la direction démocrate, aussitôt attribuée selon la narrative de service à Poutine dont Trump serait la marionnette (“le Siberian Candidate”, comme écrit Paul Krugman, Prix Nobel d’Économie), ont certainement contribué à faire évoluer les rumeurs du sentiment de la direction russe vis-à-vis de USA-2016 dans ce sens d’une réserve de plus en plus marquée. L’évolution des choses et les tendances dominantes laissent la parole aux sapiens-poire et caoutchouteux type-Hollande, lequel globalise l’élection US en “élection mondiale” et fait des pronostics d’une étonnante audace et d’une lumineuse clarté (« Si les Américains choisissent Trump, cela aura des conséquences parce que l'élection américaine est une élection mondiale... Ça peut conduire à une droitisation très forte ou, au contraire, à une correction »). Ayant appris en près de deux décennies de pratique de ses “partenaires” américanistes en trajectoire de chute accélérée que le pire est toujours possible, sinon probable, et observant que ces élections n’échappent pas à la règle, le Russe Poutine se tiendrait donc sur la réserve grandissante qu'imposent les grands événements où l'on ne dispose d'aucun facteur d'influence. Le fait est, dirait monsieur de La Palice, qu’il sera bien temps, à partir de novembre-janvier, de penser à la politique de l’élu(e) et aux relations à établir par conséquent ; il faut arriver jusque-là en naviguant à vue et sans pouvoir en aucune façon prévoir raisonnablement ce qui pourrait se passer d’ici là, y compris pour ce qui concerne les élections elles-mêmes et les divers facteurs les plus inattendus qui l’affectent. (Les perspectives de la santé d’Hillary Clinton, qui commencent à alimenter le flot de la rumeur, pourraient bien être le plus récent à s’installer dans ce paysage immensément tourmenté.) “American chaos”, en mode-turbo : il est prudent de ne pas trop s’y impliquer et donc urgent d’attendre, – autre conseil de monsieur de La Palice.

 

Mis en ligne le 4 août 2016 à 11H55