Pharaons décatis

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Pharaons décatis

La peur remplacée par le sentiment d’impuissance

Place Tahrir, la peur était morte un certain 25 janvier 2011 et l’espoir a été tué en juillet 2013 avec la chute du premier chef d’Etat égyptien élu selon les critères des démocraties occidentales et également le premier à n’être pas issu des rangs de l’armée. A coups de milliards, les fils de bédouins de la famille des Séoud ont impulsé une contre-révolution (*) au terme de laquelle un représentant de la première institution égyptienne (d’inspiration mamelouk) allait transformer les aspirations populaires en chimères. 

Arrestations, disparitions, massacres et assassinats ont conduit les déshérités du régime, de plus en plus nombreux, à s’enfermer dans le silence des vaincus. Selon les chiffres donnés par le gouvernement provisoire de la contre-révolution, 600 morts ont été dénombrés lors de la tuerie de la place Rabia-El-Adaouïa le 14 août 2013. Des tireurs d’élite* pointaient les manifestants depuis les hauteurs des bâtiments autour du rassemblement, interdisant la fuite à ceux qui espéraient échapper. Les corps calcinés n’ont pas été décomptés. Les Frères Musulmans ont estimé à plus de 2 000 le nombre de tués. L’état d’urgence fut promulgué et le couvre-feu peu à peu étendu aux principaux centres urbains du pays. Human Rights Watch avait déclaré que cette répression avait été décidée au plus haut niveau de l’exécutif. Elle a réalisé un record pour l’époque actuelle en nombre de manifestants tués en une seule journée.

Quelques années plus tard, les adversaires du totalitarisme islamique sont absents et ne dénoncent ni la suppression du droit de manifester ni celui de faire grève. Or nous sommes dans un pays de 92 millions d’habitants dont 50% vit en dessous du seuil de pauvreté et 40% de ses jeunes diplômés sont au chômage. Les restrictions budgétaires laissent prévoir une augmentation de l’analphabétisme et la réduction en absolu des diplômés chômeurs, véritable armée mobilisable pour une révolte à défaut d’une révolution. Ils s’engageront comme mercenaires pour une cause qu’ils jugeront acceptable, ils émigreront et offriront leur force de travail en Europe et dans les pétromonarchies, ils épouseront des Israéliennes, toute stratégie de contournement de l’insupportable impuissance sera la bienvenue. La pauvreté et l’appauvrissement continus encadrés par une répression exercée par les agents locaux de la Banque Mondiale et du FMI, ici l’armée égyptienne, sont un encouragement au ‘no future’

Mentir, même mal : peu de risque, bon rapport

Les ‘fake news’ concoctées par les forces du système lorsqu’elles ont à affronter des mouvements le contestant sont judicieusement élaborées. Elles font appel à du sentimentalisme larmoyant, des peurs irrationnelles le plus souvent, mais aussi à des arguments politiques qui déstabilisent l’opinion publique. L’équipe de ‘communication’ de l’armée égyptienne, véritable corps étranger qui contrôle directement plus du tiers du capital industriel et foncier du pays, a inventé l’histoire d’un deal entre les Frères Musulmans et Israël. Morsi, en échange de 8 milliards de dollars déjà perçus par son association caritative. Au terme de l’échange, il donnerait 40% du Sinaï aux Palestiniens qui y seraient évacués. Cette solution réglerait ainsi pour le compte du régime de Tel Aviv la question de la démographie palestinienne qui met en danger la judaïté exclusive de la terre palestinienne confisquée. Mahmoud Abbas a entonné à ce moment le couplet qui entache la probité des FM et les renverrait à une tradition de besogne occulte de cette mouvance, suspectée de travailler pour de nombreux services secrets. Bien sûr, il serait trop fastidieux pour les ‘experts’ de l’Orient Moyen de suivre l’évolution de cette nébuleuse, passée par plusieurs phases dans son histoire de près de cent ans maintenant. La période délibérément ignorée est celle, où, persécutée et exsangue, une bonne part de ses adeptes a fait alliance avec les Bédouins de la tribu des Séoud. Elle est revenue sur ces positions en 1990 lors de l’accueil de l’armée étasunienne sur la terre de l’Arabie quand il a fallu détruire Saddam Hussein, l’instrument devenu gênant qui avait été catapulté huit ans durant contre la révolution islamique d’Iran. L’enregistrement du préposé israélien à la chefferie de l’Autorité palestinienne où était mentionné l’accord félon est devenu introuvable. L’argument de cette haute trahison présumée n’a jamais été repris.

En revanche, les prétendus ‘nationalistes’ n’ont guère été troublés par la concession d’îles égyptiennes à l’entrée du golfe de Aqaba donnée aux Bédouins du Najd (**) ni par les attaques au Sinaï de l’armée de l’air de Tel Aviv contre des terroristes au Sinaï, forcément concertées avec Sissi, le maréchal. Les dénégations du porte-parole de l’armée égyptienne ne pourront éluder la concentration de troupes israéliennes en bordure du Sinaï qui mènent des représailles dans la zone depuis 2012.

Par ailleurs, tout laisse à penser que la destitution de Moubarak avait largement déstabilisé le régime de Tel Aviv qui fut obligé de fermer son ambassade au Caire mais qui comptait bien sur l’insatisfaction immédiate du peuple qui avait des exigences immédiates en matière de travail et de niveau de vie.

Les élections prochaines en Egypte sont tranchées

La formidable machine médiatique transforme une forme politique très contrainte en une sorte de fatalité. Les pays arabes (et/ou musulmans) n’ont droit qu’à des dictatures, militaires le plus souvent, et ce jusqu’à l’exemple caricatural d’une présidence algérienne en fauteuil roulant auto-renouvelable aux mains de clans de généraux, anciens officiers français (ou plutôt leurs héritiers car l’âge et la mort ont éliminé la plupart des « pionniers »). La tribu des Bédouins du Nejd n’est pas mécontente de prendre sa revanche sur une Egypte qui par deux fois a contrarié ses desseins.

La première fois en 1818 (***) lorsque les troupes de Mohamed Ali, lui-même en train d’élaborer l’esquisse de la dynastie des khédives, ont détruit sur instruction de la Sublime Porte la ville de Dir’iyya, repaire des sectataires du wahhabisme et ont fait chuter le premier royaume des Najdis. La seconde fut l’affrontement désastreux du point de vue des pertes humaines et des ressources matérielles quand Nasser avait soutenu la République du Yémen contre les royalistes soutenus par les Bédouins du Najd. A l’époque, le caractère zaydite « chiite » du monarque yéménite ne gênait pas les wahhabites car c’était un chiisme conservateur, ce qui prouve bien le caractère idéologiquement opportuniste du wahhabisme qui se veut puriste sur le plan religieux au niveau des apparences rituelles, mais qui ne se mobilise en fait que contre les mouvements qui, d’une façon ou d’une autre, se prononcent ne serait-ce que timidement en faveur du peuple. Ce qui explique la guerre actuelle contre les Houthis qui eux sont sur le plan formel tout autant zaydites « chiites » que l’ancien monarque yéménite, mais qui ont aux yeux de Riyad l’inconvénient rédhibitoire d’être des républicains et promoteurs des intérêts populaires et nationaux. La longue guerre d’usure menée par Nasser au Yémen avait affaibli l’Egypte, situation prise en compte par les sionistes qui lancèrent l’offensive de 1967.

Le parti islamique égyptien Nour (Lumière), néo-fondamentaliste irrigué de pétrodollars séoudiens, soutient la candidature du maréchal Sissi, renouvelant ainsi sa position de mai 2014 en conformité avec les vœux des bailleurs de fonds du coup d’Etat de juillet 2013. L’islam peut se prêter à bien plus d’une option politique, servir de prétexte à la plus féroce des régressions sociales, comme il peut motiver des révolutions de type socialiste.

La parti en principe nationaliste libéral Wafd a rejeté la nomination de l’un de ses membres as-Sayed Badawi à la candidature pour la présidence de la République, le seul qui aurait pu concurrencer sérieusement Sissi. La capitulation de cette vieille formation est telle qu’elle a favorisé l’organisation de manifestations en faveur du maréchal dans des quartiers de la capitale par la jeunesse du parti Wafd. 

Khaled Ali, un avocat qui s’était mis sur les rangs pour une candidature a annoncé son retrait en raison d’intimidations envers des membres de sa campagne, certains furent arrêtés et d’autres molestés.

Sami Anan, général, ancien chef d’Etat-major, (s’est) a été retiré de la course à la Présidence le 23 janvier 2018. Il a été emprisonné et son fils Samir Sami Anan a déclaré que son lieu de détention est tenu secret.

Un peu plus tôt en janvier, le fils d’Anouar Sadate a dénoncé un climat politique délétère qui met en péril son staff et s’est retiré de la campagne une semaine après que l’ancien premier ministre de Moubarak, Ahmed Shaffiq ait décidé d’annoncer son retrait. Shaffiq avait publié une vidéo en novembre 2017 dans laquelle il faisait part de son intention de se présenter. Début décembre, il a disparu deux jours, mis en état d’arrestation dès qu’il fut débarqué au Caire des Emirats arabes unis où il réside depuis 2012.

Enfin, le colonel Ahmed Qansouwa, architecte urbaniste de formation, a été condamné par une cour militaire à six ans de prison pour avoir posté une vidéo où il déclaré sa candidature en portant l’uniforme. Il y précisait cependant qu’il avait d’ores et déjà demandé sa démission de l’armée.

Il ne pourra être opposé à Sissi que le renouvellement de son mandat sera dû à un bourrage des urnes. La participation sera de toutes les façons faibles et sa candidature presque unique. L’autoritarisme ainsi démontré de Sissi qui a échoué et ne pouvait que ne pas réussir un programme de relance économique n’a pas mérité une seule dénonciation de la part de l’Occident. L’affaire est entendue, l’islamisme de type néo-évangéliste du parti Nour squelettique et fibreux, misogyne et d’une tradition inventée et bricolée du point de vue doctrinal est acceptable. Les contrats d’achats d’armements des Bédouins du Najd éteignent les protestations sociétales. Ceci n’est pas un complot, c’est une conspiration du silence, la plus redoutable.

Bilad Cham

Avant le découpage du Moyen Orient selon l’accord rudement négocié entre Mark Sykes et François Georges-Picot, le Bilad Cham regroupait la Syrie, la Palestine, le Liban et la Transjordanie, ce qu’on a appelé en français « la Grande Syrie ». Le complot franco-britannique a abouti à son morcellement.

Les pressions exercées sur la région depuis le 11 septembre sont actuellement en train de recomposer ces entités plutôt que de les fragmenter davantage comme projeté par le plan du Grand Moyen Orient inspiré par Odded Yenon. On assiste à une coopération militaire soutenue entre le Liban, l’armée arabe syrienne et les forces armées du gouvernement de Bagdad. L’unification avait en réalité été initiée par le ‘califat’ de Daech, son territoire s’étendait sur la Syrie et l’Irak et était près d’empiéter sur le Liban. Elle a donné lieu à une convergence d’intérêt pour les trois Etats.

Depuis l’intempestive décision de Trump de déménager l’ambassade étasunienne à Al Qods (Jérusalem), la Jordanie, base militaire traditionnelle pour les Anglo-saxons depuis l’installation d’un des fils du chérif Hussein comme roitelet de cette bande presque désertique par les Britanniques, est en train de revoir son alliance avec les Usa et Ryad. Sa population est aujourd’hui composée essentiellement de Palestiniens réfugiés depuis 1948 et 1967.

Comme un miracle ne vient jamais seul, le lamentable kidnapping de Saad Hariri par Mohamed Ben Sultan a créé une dynamique d’exaltation d’un sentiment nationaliste qui a resserré les liens entre tous les partis du Liban. MBS reproduit ainsi les razzias pratiquées par les tribus nomades des zones arides du désert arabe ! Les menaces du régime de Tel Aviv qui promettaient la destruction prochaine du Liban ont encore renforcé l’union nationale et rehaussé le rôle du Hezbollah comme force de défense vigilante des frontières du Sud.

Le Liban est entré officiellement dans le club des pays producteurs de pétrole. Au cours de la cérémonie de signature des accords avec Total, ENI et Novatek, le président Michel Aoun s’est réjoui de prévoir le début de l’exploitation en 2019

La victoire sur Daesh, conjointe à l’Irak, la Syrie et le Liban avec l’aide russe et iranienne ne semble pas suffisante pour que les milliers de soldats US quittent la région. Les Usa disposent de plusieurs bases fermées, difficiles à identifier car souvent en zone urbaine ou semi-urbaine. Mais aussi de bases dans le désert profond comme à la jonction des frontières syriennes, irakiennes et jordaniennes. Cette présence totalement illégale trouve de moins en moins de justifications puisque l’aide russe au gouvernement syrien légal a de fait permis la défaite de Daesh, ce qui risque de tendre outre mesure les relations avec la Russie. Qui vient de perdre un Su-25 et son pilote. La provenance turque du matériel qui a abattu le Su-25 cette semaine ne permet pas à l’heure actuelle de trancher entre la responsabilité d’Erdogan, toujours très ambigu dans son jeu à multiples bandes où il finira par se perdre et celle des Usa-Israël. 

On peut considérer que la frappe du F16 israélien par la défense syrienne est la réponse appropriée à ce dernier incident aérien.

Dernier acte ?

Les néoconservateurs ont déclaré qu’ils fabriquaient la réalité, la leur, que le reste du monde subissait et ne pouvait que commenter. La stupide arrogance de cette bande de brigands drogués à la guerre est entretenue par la fabuleuse extorsion de fonds qu’elle leur permet, le contribuable étasunien y participe mais tout le système économique mondialisé y est asservi. Les circuits financiers et commerciaux qui le structurent fonctionnent comme une opération de racket planétaire. Cette situation qui leur permet une rente mafieuse est proprement vertigineuse, elle leur fait perdre de vue son obligatoire involution par le développement de forces contraires qu’elle a elle-même suscitées. La nature de ces forces ainsi que leur expression échappent à ces bricoleurs de réalité qui découvrent qu’ils sont, comme M. Jourdain pour sa prose, des sujets de l’histoire. Protagonistes actuellement dominant, mais en aucun cas ils ne sont les Maîtres absolus et indépassables. Trump, Netanyahu, Sissi et quelques autres sont des acteurs affreusement grimés et boursoufflés du dernier acte d’une pièce décadente. Le colonel Wilkerson, ancien chef de cabinet de Colin Powell dans l’administration Bush le deuxième, déplore que les Usa endossent la fonction de marchands de mort. Les membres du Congrès sont corrompus par l’argent des donateurs avant les élections et après celles-ci, perfusés aux dollars de la corruption. La guerre s’est progressivement privatisée. Non seulement elle est décidée et faite pour le compte de Halliburton, Boeing, Raytheon et Lockheed Martin, mais il y a actuellement 30 000 hommes de firmes privées en Afghanistan, soit trois soldats privés, donc des mercenaires, pour un régulier. Le général Butler (trois fois la médaille d’honneur) déclarait déjà en 1935 que le corps des Marines se différentiait d’Al Capone par le fait qu’ils rackettaient trois continents contrairement au mafieux qui se contentait de contrôler trois villes. L’histoire depuis l’Antiquité nous a montré comment finissaient des États s’appuyant sur des armées de mercenaires. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont expliqué pourquoi les révolutions démocratiques ont introduit les armées populaires de conscrits. Et on se rappelle que chaque guerre injuste tend dès lors à provoquer plus facilement des résistances actives au sein du peuple et des appelés potentiels. Sans ce contrepoids, les USA semblent promis au sort de la Rome antique avec ses gardes prétoriennes.

Une vie joyeuse, libérée de la nécessité d’une consommation inadaptée à l’espèce et à son écologie est tout à fait plausible. Elle frémit dans nos cartons depuis plus d’un siècle, emprisonnée sous les décombres des destructions qui la rapprochent dangereusement de sa disparition et étrangement, elle est de plus en plus impatiente de venir à jour.

Badia Benjelloun

 

Notes

(*) Ce modèle a connu ensuite une adaptation libre place Maïdan à Kiev en novembre 2013

(**) Nom non officiel des Séoud.

(***) Le Sultan avait enjoint Mehemet Ali dès 1808 à aller mater les Najdis qui avaient mis à sac Karbala en 1801 (16 000 soldats dont 6000 à dos de chameaux ont exterminé 8000 habitants et pillé les sanctuaires) et une seconde fois en 1803. Les Bédouins wahhabites se sont ensuite attaqué à la Mecque et Médine en 1803-1806. Les lieux saints ont été profanés, les tombes des Compagnons et de la  première épouse du Prophète détruites. La robe de la Kaaba a porté l’inscription sacrilège ‘Il n’y a de dieu que Dieu et Saoud est son calife’ eu égard à la formule de la Chahada. 

La campagne débute en 1811 et se termine par la prise de Dar’iyya après 6 mois de siège sous la conduite du fils de Mehemet Ali, Tussan remplacé après sa maladie par son frère Ibrahim.