Petite musique de bruit de l’élégant “Mozart de la politique”

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Autant l’article qui présente l’interview que l’interview lui-même doivent rester comme un des monuments édifiés à l’un des phénomène de notre temps historique, le déchaînement de la vanité dans certaines conditions que réunit parfois l’étrange assemblage de l’hystérie rationnelle. Il n’est pas étonnant que cela distingue notamment, mais principalement n’en doutons pas, l’un de ces hommes qui affichent une intelligence rare, car il en est doté sans aucun doute, à un point qui le dispense des préoccupations communes, — la réalité, la volonté du bon peuple, l’imposture historique et ainsi de suite. Ah oui, il s’agit de VGE.

Parvenir à se faire présenter dans un premier paragraphe d’un article comme « the Mozart of the politics » et comme « the founding father of a new Europe » par l’affable Elaine Sciolino, déléguée par la presse américaniste au traitement privilégiée des vanités françaises, — cela justifie indubitablement les titres qui lui sont ainsi décernés. Quoique, après tout, si la “new Europe” dont il est le père fondateur (le seul, n’est-ce pas) est celle qu’on voit aujourd’hui, on lui en laisse bien volontiers la paternité, — et quant à sa musique, “much ado about nothing…”.

Dans cet interview que tout le monde connaît aujourd’hui, à l’égal des Grands Textes, mais celui-là dans le New York Times et dans The International Herald Tribune, Giscard chuinte que Chirac n’aurait pas dû envoyer le texte de la Constitution aux Français, — trop compliqué, Français pas malins assez. (Parlant d’un coup de téléphone à Chirac : « “I said, ‘Don't do it, don't do it,’” Giscard said. “It is not possible for anyone to understand the full text.” ») Est-ce le même qui disait, il y a deux mois, que la (sa) Constitution était « as perfect as, perhaps less elegant than, the Constitution of the United States of America. »? Le neocon Kristol s’en était payé une tranche en écrivant dans son “Weekly Standard” du 6 juin :

« Former French president Valéry Giscard d'Estaing, the father of the 448-article constitution, early on in the campaign dismissed complaints about the document's opacity by assuring his countrymen, “The text is easily read and quite well phrased, which I can say all the more easily since I wrote it myself.” »

Le même VGE, qui approuva le référendum, dit qu’il n’aurait pas dû, qu’il ne faut pas consulter les peuples quand ils vont répondre non. D’ailleurs, le vendredi 27 mai, en Allemagne, il pronostiquait une victoire du “oui” par 53%, — parce que, chuintement supplémentaire, « “I thought at the end the French people would be rational people” ». Il veut qu’on continue le processus de ratification, que ça marchera finalement, mais oui mais oui, qu’on ajoutera les articles qui font bien et qui manquent pour rationaliser les Français, que les poules auront des dents et que le gentil finit toujours par triompher.

Il y a eu de rudes négociations pour cet interview. Giscard voulait qu’il passe de façon originale dans le New York Times et non directement dans l’IHT, pour montrer qu’il entendait d’abord parler d’égal à égal avec Jefferson, Hamilton, Madison, Washington, Gouverneur Morris (père fondateur intéressant et trop peu connu) et compagnie. Il pensait que son interview devait d’abord être compris par qui de droit, et pas directement adressé aux Français, because « [i]t is not possible for anyone to understand the full text » (il parle de la Constitution). L’article précise que VGE s’est adressé directement aux Pères Fondateurs américains, de sa bibliothèque, en anglais sans filet. Un Franglais parle aux Français.


Mis en ligne le 16 juin 2005 à 12H00

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