Perspectives libératrices de l’impasse Merkel

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Perspectives libératrices de l’impasse Merkel

L’Allemagne s’installe dans une crise inédite pour elle, une crise de l’instabilité où la personne qui a symbolisé la stabilité politique proverbiale de l’Allemagne pendant douze ans est devenue aujourd’hui le ferment épouvantable de la déstabilisation. La crise nouvelle née dimanche montre que c’est avec sa politique des réfugiés-migrants que Merkel a pulvérisé son autorité et sa légitimité et basculé d’une popularité structurelle en une impopularité explosive dans le monde politique qu’elle dominait tant. C’en est au point où, en cas de nouvelles élections, il y a une forte probabilité pour que son parti (la CDU, alliée à la CSU) se choisisse un autre leader et candidat à la chancellerie. Même si implicite, c’est quasiment le seul consensus actuel dans le monde politique allemand : plus personne ne veut de Merkel.

Le texte d’Alex Gorka, ci-dessous, détaille surtout le principal point de faiblesse de Merkel, aussitôt après sa politique migratoire : les relations avec la Russie. Dans ce cas, Merkel est moins directement responsable si l’on considère que la politique des sanctions lui a plus été imposée par l’extraordinaire courant d’antirussisme qui caractérise le Système, qu’elle n’a été prônée par elle. Qu’importe, vae victis... Dans son cas justement, qui est très classique dans l’histoire politique avec l’effondrement de la popularité qualitative et d’influence d’un dirigeant, sa puissance politique se retourne contre elle : au temps de sa puissance, tout lui était dû ; avec sa chute, elle devient responsable de tous les avatars et contraintes politiques.

Ce que Gorka met en évidence, en effet, c’est une volonté quasi-générale dans le monde politique de rompre le carcan des sanctions antirusses. A cet égard, la “chute de Merkel“ a été un libérateur de la parole, et une mise à jour des arrière-pensées. Pour l’essentiel du monde politique allemande, il faut rétablir de bonnes relations avec la Russie. Cette évolution et cette mise à jour (la Russie, mais aussi la politique migratoire) rendent encore plus difficile et complexe un maintien ou un retour in extremis de Merkel. Pour pouvoir espérer durer, il faudrait qu’elle se désavoue elle-même sur les sujets essentiels que sont les migrants et les relations avec la Russie.

C’est dire si la crise allemande n’est pas un simple accident de parcours, mais un ébranlement qui aura nécessairement des conséquences très fortes, et notamment avec les institutions européennes qui sont arcboutées comme seules peuvent l’être les bureaucraties sur une politique migratoire très ouverte et un antirussisme maximaliste. On observe également que cette évolution ne va pas du tout améliorer les relations déjà si dégradées de l’Allemagne/de l’Europe avec les USA, où l’antirussisme tient la main au Russiagate, tandis que la question de l’immigration hyper-laxiste fait partie des idoles de la pensée progressiste-sociétale.

Gorka termine sur quelques lignes consacrées à l’idée “Macron-à-la-place-de-Merkel” (comme notre Grand-Leader européen), qui semble aujourd’hui la pensée en vogue chez les commentateurs de tous ordres. Curieuse et sympathique ironie : si Macron veut et peut avoir un “grand destin” européen et international, il l’aura sur la dépouille puante de sa très chère mentor(e) Merkel, et en promouvant une politique européenne singulièrement différente de la diarrhée-doxa bruxelloise habituelle.

Le texte d’Alex Gorka est en ligne, en anglais, sur Strategic-Culture.org, le 21 novembre 2017.

dde.org

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La fin de l’“ère Merkel”

La chancelière allemande Angela Merkel a subi une défaite écrasante. Le 20 novembre, elle a informé le président de son échec dans sa tentative de former un gouvernement de coalition. C’est un choc pour l'Allemagne, par comparaison et contraste avec son bilan d’après-guerre, la stabilité de son gouvernement et le consensus politique, notamment sur la question de l’Europe.

Pour la première fois depuis 12 ans passée à la chancellerie, Angela Merkel est incapable d'exercer le pouvoir. Les Démocrates Libéraux allemands (FDP) ont annulé les négociations de coalition avec le bloc CDU / CSU et les Verts. Selon Christian Lindner, le chef du parti, « aucune base pour un climat de confiance ni une grande conception commune » n’a été trouvée. Angela Merkel reste chancelier par intérim mais les perspectives de former un nouveau gouvernement de coalition sont faibles.

Parmi les principaux différends et mésententes figure la question des réfugiés et de la politique d'asile et, en particulier, la question de savoir si les réfugiés devraient être autorisés à amener leurs familles en Allemagne. En 2016, ce droit a été suspendu. Mais le gel s'achève l'année prochaine, ce qui soulève la perspective d'une hausse des flux migratoires. L'idée de la réunification familiale est soutenue par les Verts. L'Union chrétienne-sociale de Bavière (CSU) est sur le point de durcir sa position en autorisant de nouveaux migrants.

La Russie est aussi une grave pomme de discorde. Christian Lindner, le leader du Parti libéral démocrate (FDP), s'oppose à la position de Merkel sur les relations avec ce pays. Il estime que « la sécurité et la prospérité de l'Europe dépendent de sa relation avec Moscou ». Selon lui, la question de la Crimée devrait être mise de côté pour le moment afin de progresser dans d'autres domaines. Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a également exprimé son soutien à l'amélioration des liens avec Moscou. Les voix sont nombreuses en Allemagne, pour appeler à assouplir les sanctions contre la Russie qui détruisent les entreprises allemandes. Des dizaines d'entreprises allemandes ont déjà fait faillite à cause des mesures punitives.

Avant les élections de septembre en Allemagne, les représentants de nombreux partis politiques, dont l'AfD, le parti de gauche (Die Linke) et le Parti social-démocrate allemand (SPD), ont déclaré qu'il était important pour eux d'améliorer leurs relations avec la Russie, au moins par une levée partielle des sanctions à son encontre. Le SPD a décrit la Russie comme un pays clé pour la sécurité et la paix en Europe et ces objectifs peuvent être atteints « exclusivement conjointement avec la Russie, plutôt que sans relations avec elle ou contre elle ». Sigmar Gabriel, chef de la diplomatie allemande et politicien influent du SPD, estime que l'attente d'une pleine mise en œuvre des accords de Minsk est « illusoire » et que les sanctions devraient déjà être levées dans la situation où la trêve est maintenue en Ukraine orientale.

Même la CSU bavaroise, alliée et partenaire la plus proche du chancelier, estime que « les sanctions contre la Russie ne doivent pas durer de façon permanente » et que les Allemands doivent « mettre en place de nouveaux liens avec la Russie ». En conséquence, la CSU souhaite élaborer un calendrier de levée des sanctions, qui serait « réalisée parallèlement à l'entrée en vigueur progressive des dispositions de Minsk ». Les investissements directs allemands en Russie ont augmenté pour atteindre 312 millions de dollars au premier trimestre 2017. Ils ont largement dépassé le volume des investissements allemands pour toute l’année 2016, qui s'élevait à 225 millions de dollars. Plus de 5 500 entreprises avec un capital allemand majoritaire opèrent en Russie. Lever les sanctions contre Moscou pourrait éliminer une source de désaccord chronique dans les relations de l'Allemagne avec d'autres membres de l'UE.

Angela Merkel pourrait choisir d'engager des négociations avec les Verts pour former un gouvernement minoritaire. Les Démocrates-Chrétiens pourraient aussi essayer de faire un arrangement avec le SPD mais cette perspective est très improbable puisque le SPD a réaffirmé à plusieurs reprises que son rôle dans le Parlement serait de figurer l’opposition contre un gouvernement Merkel. Même si un accord est conclu, le pays aurait un gouvernement faible avec un avenir sombre. Normalement, ces coalitions minoritaires ne durent pas longtemps.

La situation conduit finalement à la possibilité asse forte de nouvelles élections. C'est le scénario le plus probable, à moins que les chrétiens démocrates ne puissent “récupérer” le FDP dans les jours à venir, ce qui est peu probable. Un retour aux urnes au début de 2018 est une chance pour l'Alternative de droite pour l'Allemagne (AfD) de marquer un résultat encore meilleur que celui obtenu il y a deux mois avec près de 13% des voix. Une nouvelle élection n'augure rien de bon pour les partis qui n'ont pas réussi à s'entendre sur une coalition. Et surtout, il y a le point principal : si une nouvelle élection est annoncée, les démocrates-chrétiens seront très probablement dirigés par un autre chef. Après tout, personne d'autre qu’Angela Merkel n'est responsable du problème des migrants, qui divise le pays et qui est la cause principale de l’échec du bloc CDU-CSU de dépasser les 40% des voix lors des élections de septembre, et de l'échec récent de former une coalition au pouvoir.

Quel que soit le résultat, les jours d'Angela Merkel en tant que leader fort de l'UE ont disparu. Autrefois surnommée la « Reine de l'Europe », elle a dépassé son zénith et se trouve désormais sur le terrain instable de l’effondrement de sa popularité. Avec la tension causée par la politique d'immigration en Europe, beaucoup de personnes en Allemagne et dans d'autres pays européens se rappellent qui est responsable de la politique de l'UE. Le président français Macron est désormais mieux placé pour diriger l'Union européenne alors que le tour de la chancelière allemande au sommet semble toucher à sa fin. L'équilibre est désormais, avec la fin de l’ère Merkel, en faveur de la France.

Alex Gorka