Notes sur un Yémen révélateur

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Notes sur un Yémen révélateur

31 mars 2015 – Pour certains et pour l’heure, la crise du Yémen qu’implique la décision saoudienne, prise vraiment de la seule initiative de l’Arabie Saoudite et prise semble-t-il sous l’effet de la panique qui n’est en général guère productrice de grande stratégie, est un événement nouveau d’une extrême importance, qu’on peut équivaloir à la crise ukrainienne. L’argument central de cette approche est que l’enjeu n’est pas tant le sort du Yémen que le sort de l’Arabie Saoudite, et au-delà, de ce qu’il reste d’architecture à peu près structurée au Moyen-Orient. En quelque sorte, ce serait plus qu’une “sous-crise” (voir le 28 mars 2015) de la crise générale du Moyen-Orient, même si elle l’est incontestablement au départ ; dit autrement, la “sous-crise” du départ, conséquence du désordre incessant du Moyen-Orient, pourrait amener des conséquences qui la feraient devenir le cœur même de la crise générale du Moyen-Orient.

Cette perception, – dans tous les cas celle de l’importance de cet événement, – est discutable, bien entendu, mais elle a sa logique propre incontestable parce qu’elle est liée d’une part à cet acteur régional important qu’est l’Arabie Saoudite, parce que cet “acteur principal” agit de son propre chef et sans beaucoup d’attention ni d’intérêt pour son manipulateur-en-chef que sont les USA d’autre part. Dans ce cas, la “sous-crise“ ainsi grandie s’inscrit dans un contexte de “vérité de situation” qui l’installe dans la grand rangement crisique autour de la crise générale de l’effondrement du Système, et elle aurait éventuellement sa place au côté de la crise ukrainienne sans qu’il y ait concurrence d’importance entre elles deux, mais simplement complément. (De même, d’ailleurs, dans le même texte référence du 28 mars 2015, on voit que certains aspects de la crise ukrainienne ont cette même importance contestable que l’on accorde à la “sous-crise” du Yémen. Toutes ces choses ont une infinie souplesse dans l’échelle et les variations de l’importance qu’il importe de leur reconnaître.)

Quelques vérités de la situation yéménite

Quoi qu’il en soit, nous utilisons ce thème de la “crise/sous-crise du Yémen” comme une sorte de “vérité de situation” opérationnelle, nous révélant (ou plutôt, le plus souvent, nous confirmant) nombre d’enseignements, de supputations et de justesse d’hypothèses. En effet, beaucoup de choses intéressantes s’y trouvent...

• ... de l’observation que “la marionnette” (l’Arabie) fait ce qu’il lui plaît par rapport à son pseudo-manipulateur (les USA) à celle que “l’Empire”, comme ils l’appellent, est toujours plus, et de plus en plus hésitant à s’engager, même pour défendre ses points d’appui décrits comme fondamentaux ;

• de la démonstration de l’échec de la “guerre contre la Terreur“ à la démonstration de l’échec de la vision hyper-technologique de la guerre postmoderne (la “guerre des drones”) “contre la Terreur” ;

• de la démonstration que le désordre provoqué ne fait qu’alimenter le désordre incontrôlable à la démonstration que le désordre-devenu-incontrôlable débouche sur l’hyperdésordre lorsqu’il se retourne (blowback) contre les producteurs de désordre ;

• de l’évidence que les agitations-Système (surpuissance) devant la crise d’effondrement du Système ne produisent qu’une accélération de la crise d’effondrement du Système (autodestruction) aux signes que cette transmutation bienheureuse ne cesse de progresser et de s’affirmer.

Le “fou furieux” panique

Comme on sait, l’Arabie a acquis, ces 3-4 dernières années, une étrange réputation (pour elle) d’être un des “fous furieux” de la région. (Voir Norman Finkelstein, le 26 mars 2015 : «[I]l se passe des choses insensées dans la région, c’est une évidence: vous avez les fous furieux de Daech (État islamique) en Syrie et ailleurs, vous avez les fous furieux saoudiens, et bien sûr, vous avez aussi les fous furieux israéliens».) On ne répète pas et on ne répétera jamais assez combien c’est une étrange évolution pour la maison des Saoud. Pour qui connaît son histoire de la Guerre froide, pour qui s’en rappelle, l’Arabie Saoudite état fameuse et inégalée pour sa prudence couarde, sa puissance feutrée de corruption sans limites malgré sa paradoxale pingrerie, son double ou triple ou quadruple jeu camouflé sous un impénétrable tapis de $milliards destiné à amadouer tous les vents, son goût pour l’absence de risque et pour l’accommodement avec tous les dangers jusqu’aux plus imaginaires, sa haine paniquarde devant le mouvement et le désordre... Tout cela, c’était l’Arabie des années 1970 et 1980, qui joua, avec son tuteur-partenaire US, un rôle si important dans les affaires essentielles du Moyen-Orient et au-delà (jusqu'en Afghanistan), de la manipulation de l’arme du pétrole de 1973 à la fabrication quasi-intégrale, dès le début des années 1980, du phénomène djihadiste développé d’abord sous l’étiquette vertueuse de la phénoménologie des moudjahidines (“combattants de la liberté”).

... Or, il se pourrait bien que la crise du Yémen soit un événement important, d’abord parce qu’elle marque un retour forcé, en fanfare et aussi (surtout) en complète posture paniquarde, et cela dans une situation soudaine de danger mortel, au modèle initial de l’Arabie comme puissance immensément fragile. Bref, chassez le naturel et il revient au galop ; chassez le naturel en lançant des aventures insensées partout, avec des haines offensives contre la Syrie et l’Iran, avec des opérateurs au visage diabolique comme Prince Bandar, et il vous revient si brutalement (blowback) sous la forme d’une menace mortelle qui se révèle au fond de soi-même, sur sa frontière même. L’on réagit avec la bonne vieille panique, et cela conduit à vous interroger sur le fait de savoir si l’esprit aventurier du soi-disant “fou furieux” n’était pas somme toute un spasme ultime de la vieille panique confrontée soudain à la terreur éprouvée devant une dynamique affolante ... «It’s the Arab Spring, Stupid!», comme nous dit MK Bhadrakumar, dans un très bon jour.

La sagesse de l'Iran

En effet, nous allons nous en remettre au sage Bhadrakumar pour sa description de l’évolution saoudienne de ces derniers jours, – le sage Bhadrakumar qui fait largement appel à la sagesse iranienne, car l’Iran, ennemi intime et cauchemar des Saoud, ne se prive de démontrer effectivement sa sagesse dans ses commentaires à propos de la décision saoudienne d’attaquer ... (Sur IndianPunchline, le blog de MK, le 29 mars 2015.)

«Iran’s reactions anticipate that the Saudis have walked into a quagmire in Yemen, which holds the risk of the roof crashing down on the House of Saud. History had taught Iran that Yemen is a hornet’s nest and it is prudent to keep a safe distance from that country, which is located in its neighborhood. Clearly, an Iranian intervention in Yemen is out of the question. In his first detailed comments, Deputy Foreign Minister Hossein Amir Abdollahian who handles Iran’s relations with its Arab neighbors warned on Saturday that Saudi Arabia has made a “strategic mistake”.

»In a meaningful remark, he added, “Riyadh should not count on US support for its military invasion of Yemen.” How he could have made such a categorical assessment, Abdollahian didn’t say, but it stands to reason that there have been US-Iranian consultations. These are times when the foreign ministers of the US and Iran spend more time with each other than with anyone else. Of course, the Houthis are no strangers to the US intelligence operating in Yemen for years against the al-Qaeda affiliates. [...]

»To be sure, the Saudi preoccupations over Yemen will have serious implications elsewhere in the region. As the cost of the protracted war in Yemen mounts, Saudi Arabia and other petrodollar states in the Gulf may find it attractive that oil fetches a higher price in the market. This is one thing. Second, in a conceivable future, Saudi Arabia will be unable to pay much attention to other regional conflicts in the Middle East in which it has been involved – Syria, Iraq and Lebanon.

»Finally, how long can Saudi Arabia fight on two fronts simultaneously – Yemen and Bahrain – is in doubt. Somewhere things will begin to unravel. In the ultimate analysis, Yemen and Bahrain pose an existential challenge insofar as they are about Shi’ite empowerment. The ‘virus’ can easily spread to Saudi Arabia’s Shi’ite-dominated eastern provinces, which also contain that country’s great oil fields.

»It’s the Arab Spring, Stupid! The House of Saud is doomed if it doesn’t try to install yet another puppet regime in Yemen, while it is equally doomed if the intervention results in a quagmire and defeat. The Iranian Foreign Ministry spokesperson’s remarks draw attention to it: “Resorting to military acts against Yemen which is entangled in an internal crisis and fighting terrorism will further complicate the situation, spread the range of crisis and destroy opportunities to settle the internal differences in Yemen peacefully.… This aggression will merely result in the spread of terrorism and extremism and will spread insecurity to the entire region.”»

Les USA et leurs amis iraniens

Comme on a pu le comprendre d’après les supputations de MK Bhadrakumar, il se pourrait bien, dans cette circonstance qui deviendrait alors tout à fait remarquable et extraordinaire, sinon surréaliste, que les USA se soient, dans cette crise-là, bien plus concertés et s’arrangent bien mieux avec les Iraniens qu’avec les Saoudiens. (Exergue d’une partie de la citation du texte de Bhadrakumar : « In a meaningful remark, he added, “Riyadh should not count on US support for its military invasion of Yemen.” How he could have made such a categorical assessment, Abdollahian didn’t say, but it stands to reason that there have been US-Iranian consultations. These are times when the foreign ministers of the US and Iran spend more time with each other than with anyone else.»)

“... [B]ien plus concertés et [bien mieux arrangés] avec les Iraniens qu’avec les Saoudiens”? C’est remarquable mais, d’autre part, stricto sensu, cela paraît une évidence a contrario car, vraiment, il semble bien que les USA ne se soient quasiment pas concertés du tout, et encore moins arrangés pardi, avec les Saoudiens. Cela vient notamment du fait que les Saoudiens, qui se sont faits leur opinion sur les capacités des USA à s’engager au Moyen-Orient, surtout depuis la magnifique opportunité syrienne gâchée d’août-septembre 2013 que Prince Bandar leur avait offert sur un plateau avec ses montages chimiques, les Saoudiens donc n’avaient aucune intention d’intégrer les USA dans leur projet ; non par sensibilité de souveraineté, mais simplement parce qu’il n’en pouvait résulter, selon leur expérience, qu’indécision et confusion qui sont devenues la marque de l’“action” américaniste, – et sur ce point, qui pourrait les contredire ? ... D’autre part, comme on l’a déjà suggéré, les Saoudiens ont agi dans l’urgence, c’est-à-dire sur le mode “panique”, cela renforçant encore les circonstances les conduisant à ne tenir aucun compte de la partie US, ni même à l’informer précisément. Reuters, le 27 mars 2015, détaille cet aspect de la situation, où la détermination saoudienne rencontre la prudence, sinon la réticence probable des USA, s’ils avaient été informés ; et où l’on trouve le détail d’une situation qui n’a guère de précédent dans les relations américano-saoudiennes depuis 1945, tant les deux pays se sont toujours tenus informés précisément dans les affaires qui les impliquaient tous deux, et tant la crise du Yément rompt cela...

«Saudi Arabia kept some key details of its military action in Yemen from Washington until the last moment, U.S. officials said, as the kingdom takes a more assertive regional role to compensate for perceived U.S. disengagement. [...] Although the Saudis spoke with top U.S. officials as they debated an air assault in support of embattled Yemeni President Abd-Rabbu Mansour Hadi, U.S. officials acknowledged gaps in their knowledge of the kingdom’s battle plans and objectives. Asked when he was told by Saudi Arabia that it would take military action in Yemen, General Lloyd Austin, the head of the U.S. military’s Central Command, told a Senate hearing on Thursday he spoke with Saudi Arabia’s chief of defense “right before they took action.” He added that he couldn't assess the likelihood of the campaign succeeding because he didn't know the “specific goals and objectives.”

»One senior U.S. official described Riyadh's operation as a "panic response" to the fast-deteriorating situation in Yemen that the Saudis feared could spill over its border. The official, speaking on condition of anonymity, suggested that the 10-nation Saudi-led coalition had been patched together so quickly that its effectiveness was in doubt. The White House says it will not join directly in military operations in Yemen, but has set up a cell to coordinate U.S. military and intelligence support to the operation. But U.S. officials said they were sharing intelligence information on a limited basis so far.»

Les plus récents échos montrent que les USA s’en tiennent à cette position d’extrême réserve. Les déclarations du secrétaire à la défense Carter, hier (voir Sputnik.News, le 31 mars 2015), montrent que le Pentagone lui-même s’en tient à cette doctrine du “lip service : un soutien du bout des lèvres, sorte de “minimum syndical” comme il est de coutume entre vieux compères et complices gagnés par une certaine méfiance réciproque (le «ultimately it is their region» de Carter sonne aussi bien comme un “après tout, c’est leur affaire”)... «The United States has backed the Arab League's decision to create a joint military force to counter security threats in the Middle East, and will cooperate with it if need be, Defense Secretary Ash Carter said. [...] “I think if they are willing to do more, in this case with respect to Yemen, then that is a good thing because ultimately it is their region,” Carter told reporters at Fort Drum, as quoted by NBC. [...] “These are partners and security allies of ours, and when they act in a way that we regard as in our interests as well as theirs we will continue to partner with them as we have been in other matters,” the US defense secretary stressed.»

La catastrophe de la guerre des drones

Ainsi en sommes-nous à ce point dans la situation de la “crise du Yémen”, ce qui permet de développer la réflexion pour aller vers une de ses signification fondamentales. En effet, le Yémen qui est aujourd’hui l’objet d’une telle vindicte, fut ces dernières années, notamment depuis 9/11, un de ces pays profondément troublés, avec une direction à peu près alignée sur les intérêts du bloc BAO (et de l’Arabie), et complètement ouvert au “nettoyage anti-terroriste” que les USA, avec les relais et complicités divers, ont mis au point, – si l’on veut, une sorte de Pakistan moyen-oriental... La situation du Yémen, ces derniers mois et ces dernières semaines jusqu’à l’intervention de l’Arabie, témoigne d’un complet échec de cette campagne où les trois armes principales des USA sont : un complet mépris pour le principe de souveraineté du pays-“hôte”, une campagne intensive essentiellement par l’usage de drones avec une forte infrastructure CIA/forces spéciales actuellement en débandade complète, une complète indifférence pour les dommages dits “collatéraux” (civils tués, notamment).

Le Yémen devient alors le modèle d’un autre thème que celui des agitations paniquardes de l’Arabie : il s’agit du thème de la guerre postmoderne que les USA effectuent dans nombre de pays, sous le prétexte universel de la “guerre contre la Terreur”, – ou plutôt du thème de l’échec de ce modèle de “guerre”, dont le Yémen est à la fois l’exemple et la conséquence pour la situation présente. Ainsi le livre d’Andrew Cockburn, Kill Chain: The Rise of the High Tech Assassins, mis en vente le 10 mars dernier, tombe à point pour illustrer et substantiver le propos. Cockburn décrit l’échec gigantesque et affreusement sanglant que constitue la “guerre des drones”, particulièrement au Yémen qui en fut l’un des champs privilégiés (sans aucun doute avec le Pakistan). C’est Chuck Spinney qui se charge de nous présenter le livre de Cockburn, en plaçant justement ce phénomène (la guerre des drones) dans la logique d’un fondement de the American Way of War, – la recherche de la projection de force en tourte impunité, essentiellement par les airs et en recherchant la précision maximale, avec les moyens du système du technologisme et une “conception d’ingénieur” de la guerre, d’où l’essentiel de l’élément humain dans la conception, l’appréciation et l’exécution tend à être exclu. Spinney fait justement remonter la généalogie du concept général aux bombardements stratégiques de la Deuxième Guerre mondiale autant qu’à la course au développement des systèmes de guidage de précision.

(Spinney, un des fameux Pentagon’s Reformers avec des gens comme Pierre Sprey et Winslow Wheeler, vieil ami de Cockburn, est évidemment des mieux placés pour juger du travail de Cockburn et des conclusions que Cockburn en tire pour cette sorte de guerre, et pour ce qu’il en résulte pour le Yémen bien entendu ... «[L]’auteur de ce livre est un ami depuis 35 ans, aussi suis-je de parti-pris, d’ailleurs avec la plus grande fierté. Je croyais savoir ce dont Cockburn est capable, mais je dois admettre que j’ai été stupéfait par la qualité de ce livre. Pourtant, je ne suis pas étranger au sujet, ayant travaillé comme analyste et ingénieur au cabinet du secrétaire à la défense pendant 25 ans» : ce sympathique avertissement figure dans le texte de critique du livre de Cockburn, signé par Spinney, le 29 mars 2015, sur ConsortiumNews, – et, auparavant, sur son blog, Blasted, le 28 mai 2015).

«... In short, the conduct of war is an engineering problem: In the current lexicon of the Pentagon and its defense contractors, the enemy is a ‘systems of systems’ made up of high value targets (HVTs) that can be identified and destroyed without risk from a distance with unmanned systems, and the military-technical revolution makes any past failures irrelevant to current capabilities. The reasoning is identical to that described in the preceding paragraph. Yet despite stridently confident predictions of decisive precision effects, from the days of the Norden bombsight in B-17s to those of the Hellfire missile fired by drones, this theory has failed over and over to perform as its evangelists predicted and are still predicting. The need to dismiss the history of repeated failures is why the never-ending promise of a military-technical revolution is central to the maintenance of the ideology.

«Viewing war as an engineering problem focuses on technology (which benefits contractors) and destructive physical effects, but this ideology ignores and is offset by the fundamental truth of war: Machines don’t fight wars, people do, and they use their minds. Our technology’s physical effects can be — and often are — offset or mitigated by our opponent’s mental counters or initiatives, reflecting both his adaptability and unpredictability, and his moral strengths, like resolve and the will to resist. Combat history has proven over and over that mental and moral effects can offset physical effects, for example, when the destruction of ball bearing factories did not have its predicted effects in WWII, when bicycles carrying 600 pounds of supplies were used to bypass destroyed bridges on the Ho Chi Minh Trail, and when the Serbs used cheap microwave ovens to fool expensive anti-radiation missiles in Kosovo. And as Cockburn shows, this has proven true again in the ongoing war on terror, and its mirror image, the war on drugs.

»Anyone who doubts that this critique applies to drones used in a counter-terror strategy should be asked to explain the collapse in Yemen — a place where drones reached their apotheosis as the centerpiece of American counter-terror strategy. Cockburn has provided a highly readable, and logically devastating story, written from a bottom-up empirical perspective. He explains why our strategy in Yemen was doomed to fail, as indeed it has in recent weeks.»

Le Yémen à l’ombre de l’idéal de puissance

D’une façon peut-être inattendue mais somme toute très logique, il nous paraît assuré qu’on peut faire un lien entre la situation pseudo-géopolitique de la crise du Yémen, avec d’une part l’Arabie engagée dans une aventure dont les effets pourraient menacer son existence même et les réticences américanistes proches d’une sorte d’indifférence pathologique pour une situation devenue incontrôlable et des “alliés” jugés de moins en moins malléables ; avec d’autre part l’étalage de l’échec de toutes les conceptions guerrières US appliquées dans l’artefact nommé “guerre contre la Terreur” que représente cette même crise du Yémen. Il s’agit des mêmes conceptions appliquées à des domaines différents, pour obtenir des résultats similaires opérationnalisés dans la débâcle yéménite et un pas de plus franchi dans la descente dans le trou noir de désordre et d’hyperdésordre du Moyen-Orient.

Dans leurs alliances comme dans sa façon de faire la guerre, la partie américaniste applique les mêmes conceptions renvoyant à l’“idéal de puissance”. Il s’agit partout de l’utilisation de la force brute, que cette force passe par la puissance inouïe de la corruption qui trouve dans l’Arabie, depuis 1945, un partenaire idéal lui aussi rompu à cet exercice permis par la disposition des richesse pétrolières ; qu’elle passe par l’utilisation de la puissance du technologisme, qui trouve son accomplissement presque extatique dans la guerre des drones où l’on peut faire la guerre et assassiner en toute impunité, à des milliers de kilomètres de distance, à partir d’une console dans une base de l’USAF située dans un Arizona ou un Missouri quelconque. Il y a une grande similitude dans l’esprit de la chose dans ces diverses situations, avec cette confiance aveugle faite à la puissance, en excluant le plus possible les complications épuisantes du “facteur humain”, avec ces références insaisissables et hors du standard américaniste, tels que le sens des nuances, la subtilité des comportements, le respect des principes qui structurent la vie sociale et la vie des relations internationales, etc.

Ainsi la crise du Yémen est-elle, sans véritable surprise cela va de soi, une étape de plus dans la suite sans fin de l’échec de la postmodernité que représente l’américanisme, avec ses alliances et ses moyens de puissance qui renvoient tous aux exigences pressantes du Système. Le Yémen comme un échec exemplaire de plus : voilà la première conclusion qu’on peut tirer de cette crise qui s’est rapidement développée pour se fixer au cœur du dispositif du bloc BAO au Moyen-Orient. On peut maintenant s’installer pour en attendre les développements, en notant qu’une fois de plus on se trouve dans une occurrence où ces développements pourraient conduire à des situations intéressantes, sinon extrêmes, voire peut-être catastrophiques et ainsi de suite. Le Système et ceux qui le servent semblent être des producteurs sans fin de toutes les possibilités catastrophiques concevables. Il faudra bien que l’une d’entre elles débouche enfin sur la grande catastrophe finale. The show must go on et il n’est pas question de décevoir le spectateur