Les embarras du bon pape François

Brèves de crise

   Forum

Il y a 3 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 665

Les embarras du bon pape François

Impliquée indirectement mais concernée directement, l’Église de Rome se trouve placée devant le même dilemme dialectique que le Système se pose à lui-même en matière de prise de position autour de l’icône de notre civilisation, ou contre-civilisation c’est selon, qui se nomme “liberté d’expression”. (La question, comme on l’a vu pour notre compte, mériterait une transmutation de “liberté d’expression” en “libération de l’expression” [voir le 14 janvier 2015].) Bref, le pape François a dû préciser que, selon lui et selon l’Église par conséquent, le “droit absolu” à la “liberté d’expression” rencontre quelques limites et réserves qui réduisent l’absolutisme à une fonction relative qui se nomme le respect de la foi des autres. C’était dans l’avion qui le conduisait à Manille, avec quelques journalistes qui l’interrogeaient sur la crise Charlie-Hebdo. (Sur Atlantico.fr, le 15 janvier 2015.)

«Interrogé à bord de l’avion par un journaliste français, le Pape a clairement fait référence aux attentats de Paris et expliqué qu’il existait des “limites” en matière de liberté d’expression. S’il a assuré que chacun avait “le droit”, même “l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider le bien commun”, le Pape a fait comprendre que ceux qui provoquent ou offensent peuvent s’attendre à une réaction. “Mercredi matin, durant la messe, vous avez parlé de la liberté religieuse comme d’un droit humain fondamental. Dans le respect des différentes religions, jusqu’à quel point peut-on aller en termes de liberté d’expression qui, elle aussi, est un droit humain fondamental ?” a demandé le journaliste. “Merci pour cette question intelligente ! Je crois que ce sont toutes les deux des droits humains fondamentaux : la liberté religieuse et la liberté d’expression. On ne peut pas… Vous êtes Français non ? Alors, parlons clairement ! On ne peut pas cacher une vérité aujourd’hui : chacun a le droit de pratiquer sa religion, sans offenser, librement, et nous voulons tous faire ainsi. Deuxièmement, on ne peut pas offenser, faire la guerre, tuer au nom de sa religion, c’est-à-dire au nom de Dieu” a répondu François.

»“Ce qui se passe maintenant nous surprend, mais pensons toujours à notre histoire : Combien de guerres de religion avons-nous connu ! Pensez seulement à la nuit de la saint Barthélémy ! Comment comprendre cela ? Nous aussi, nous avons été pécheurs, mais on ne peut pas tuer au nom de Dieu, c’est une aberration. Je crois que c’est le principal, sur la liberté religieuse : on doit le faire avec la liberté, sans offenser, mais sans imposer ni tuer” a encore dit le pape. “La liberté d’expression… Non seulement chacun a la liberté, le droit et aussi l’obligation de dire ce qu’il pense pour aider le bien commun : l’obligation ! Si nous pensons que ce que dit un député ou un sénateur – et pas seulement eux mais tant d’autres – n’est pas la bonne voie, qu’il ne collabore pas au bien commun, nous avons l’obligation de le dire ouvertement. Il faut avoir cette liberté, mais sans offenser. [...] On ne peut pas provoquer, on ne peut pas insulter la foi des autres, on ne peut pas se moquer de la foi !” a conclu le souverain pontife.»

L’embarras du pape François est bien entendu dû aux circonstances, dans une période où il s’avère très dangereux de ne pas parler en termes absolutistes ne souffrant pas la moindre limite, aussi bien de la “liberté d’expression” que de la vertu de Charlie-Hebdo. Une rencontre pape François-ministre de la Justice en France serait également instructive. (Taubira le même 15 janvier 2015 : «On peut tout dessiner, y compris un prophète parce qu'en France, pays de Voltaire et de l'irrévérence, on a le droit de se moquer de toutes les religions.»)

Dans cette orgie déclamatoire ce n’est d’ailleurs pas la seule religion qui est en jeu, sinon la religion de Charlie-Hebdo ; cela, d’une telle façon où l’on peut se demander ce qu’un Guy Bedos (Charlie Hebdo? «Qu’ils crèvent » [le 11 octobre 2012]) ou un Daniel Cohn-Bendit (Charlie Hebdo ? «Moi, j’les trouve cons», le 20 septembre 2012]), ces icônes-type de la République de l’audiovisuel, devraient répondre aujourd’hui à une grande tribune de la même République, type-talk-show, s’ils étaient mis par un Fouquier-Tinville télévisuel en situation de reconstitution de leur crime blasphématoire par anticipation. Ce sont la cohésion même de la parole convenue, du conformisme de représentation, de l’autorité de la narrative, voire du décryptage de la narrative par ceux-là même qui sont chargés de la rédiger au nom du Système, qui sont en jeu. Le désordre est complet, sans limites visibles, un peu comme l’acceptation vivement conseillée de l’absolutisme du concept de “liberté d’expression”. Tout cela flotte dans une sorte d’éther globalisé formé d’une fringante diarrhée verbale répercutée par le système de la communication qui a pu ainsi montrer son évolution dans la présentation des tragédies de cette époque si spécifique et qui n’est par conséquence logique semblable à aucune autre : 9/11 (9 septembre 2001) c’était la destruction des tours en boucle ; 1/7 (7 janvier 2015) c’est la parole incantatoire en boucle.


Mis en ligne le 16 janvier 2015 à 14H15

Donations

Nous avons récolté 1425 € sur 3000 €

faites un don