Les Anglais parlent aux Français

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L’éditorial du “Spectator” du 4 juin représente certainement l’un des textes les plus complètement “anglais” sur le référendum français, — s’entend, le plus politiquement, sincèrement et hypocritement “anglais”, avec l’orientation idéologique libre-échangiste d’une presse complètement acquise aux conceptions économiques capitalistes (le Spectator appartient au groupe Black). L’essentiel de l’argument de Spectator s’appuie sur ce constat qui saisit bien l’essence du dilemme qui, aujourd’hui, touche les grands pays européens appuyant leur politique sur l’idéologie libérale, anti-fédéraliste et anti-européenne :

« ...of course we are pleased that this federalising ‘constitution’ has been rejected by the French. Our jubilation is alloyed, however, by an embarrassing reality. The French people unquestionably did the right thing. They did it, alas, for the wrong reasons. »

L’édito du Spectator a au moins l’avantage de ne rien dissimuler des facteurs essentiels de la crise européenne. L’hebdomadaire est contre un super-État fédéral européen, — bravo, les Français ! Mais il est aussi partisan inconditionnel d’un super-grand marché de libre-échange en guise d’Europe, une véritable “Europe à l’anglaise” la plus large et la plus étendue possible, — holà, les Français ! Le Spectator désigne déjà ce qui est pour lui le danger, qui est de suivre la croisade des Français (en passant, notons son avis sur Sarkozy, qui n’est pas loin de découvrir le vrai Sarkozy : celui qui, s’il est élu président en 2007 sur un argument libéral, pourrait bien redevenir un vrai président français, défendant le “modèle français”): « Already, French demagogues are starting to respond to this nonsense. [UMP] chief Nicolas Sarkozy is calling for more ‘protection’, and the danger is that a concerted attempt will now be made to palliate French opinion, by curbing the operation of the free market both within the EU and on its borders. »

Tout cela nous promet bien des quiproquos, bien des affrontements d’incompréhensions et autres, bien des coups fourrés. Dans ces conditions, on comprend combien la première condition d’une telle bataille qui s’annonce est d’écarter une Constitution qui serait (aurait été) une contrainte, un corset insupportable pour tous, les partisans comme les adversaires d’une “Europe à l’anglaise”.

Le Spectator termine par l’habituelle touche d’hypocrisie britannique qui est aussi la véritable crainte des Britanniques de voir les Français exercer l’influence que leur donne leur coup de force du 29 mai. Il s’agit d’un conseil impératif en forme d’hypocrisie légaliste qui est une tentative de dire aux Français : maintenant que vous avez parlé d’une façon négative, vous n’avez plus rien à dire et vous devez nous laisser faire: « We should remind them that any country that says No to a treaty is conventionally deemed to have forfeited all rights of influence. It’s certainly what they would have said to us. » Nous continuerions en disant : certes, c’est ce qu’on aurait dit aux Anglais s’ils avaient émis un tel vote mais chacun sait que les Anglais n’auraient pas tenu compte une seconde de l’avis, eux qui ne sont pas dans l’euro et s’emploient à bouleverser de fond en comble les structures économiques européennes comme s’ils en étaient les maîtres et les inspirateurs.

D’où notre conseil au Français, calqué sur l’exemple donné au travers des siècles par les Anglais : au contraire, appuyez-vous sur la notoriété que vous donne ce vote négatif et exercez plus que jamais toute l’influence dont vous êtes capable, — et sans vergogne please. Faites donc le bonheur des Anglais contre leur gré, ils vous en seront gré, de la même façon qu'aujourd'hui ils adorent ce qu'ils ont brûlé hier (Jeanne d'Arc en l'occurrence).


Mis en ligne le 6 juin 2005 à 16H00