Les 28-pages entre complot et communication

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 653

Les 28-pages entre complot et communication

A la fin de la semaine dernière, entre le fracas de l’attentat de Nice, du putsch avorté de la Turquie et de la fusillade de Bâton Rouge, les fameuses “28-pages” du rapport gouvernemental de 2002 sur l’attaque 9/11 toujours gardées secrètes, ont été rendues publiques. Même si certains mots, phrases ou lignes restent encore classified (“aveuglées” par de l’encre noire), ces documents sont assez précis pour montrer combien des officiels et des services saoudiens sont impliqués dans ce qui a été décrit de l’action des personnes qui ont été officiellement désignées comme composant l’équipa ayant exécuté l’attaque du 11 septembre 2001. Des commentateurs “dissidents” mais nullement militants des mouvements dit des 9/11’s Truthers ont aisément conclu dans ce sens, et l’ont écrit abondamment.

C’est par exemple le cas de Justin Raimondi le 18 juillet. Il faut bien apprécier que Raimondo ne traite que de la question des 28-pages, et nullement du cas 9/11 dans toute sa problématique, notamment toutes les hypothèses et affirmations faites par ceux qui, non seulement repoussent la version officielle, mais avancent des versions alternatives (“Inside Job”, par exemple) à partir de constats précis. Ainsi est bien délimitée ici la problématique : ce qu’a apporté le contenu des 28-pages dans le cadre d’un déroulement des événements conformes à la version d’une attaque extérieure, et c’est dans ce contexte qu’il faut juger de l’effet du contenu et de la publicité de ces 28-pages sans s’attarder à une attaque polémique qui est hors-sujet ; et ainsi Raimondo conclut-il, après avoir détaillé leur contenu et mis en évidence le rôle sans équivoque de Prince Bandar, alors ambassadeur à Washington devenu entretemps chef du renseignement saoudien puis, depuis, disparu de l’avant-scène de la direction saoudienne, – marquant ainsi combien nous avons effectivement changé d’époque...

« “Circumstantial evidence”? Perhaps – but people have been convicted of murder on the basis of such evidence, and, in this case, there is such a preponderance of evidence that a guilty verdict is unavoidable.

» It would not be stretching the evidence to bluntly state that the suppressed 28 pages of the Joint Inquiry report on the 9/11 terrorist attacks places agents of the Saudi government at the epicenter of the plot. In short, there’s no two ways about it: the Saudis did 9/11.

» Why did our government cover up this shocking evidence for so long?

» The reason is because they had no desire to retaliate against the real perpetrators of 9/11. Instead, as we now know, they were determined to pin the blame on Saddam Hussein: indeed, the Bush administration pressed this talking point relentlessly, until it was forced to backtrack. We attacked Iraq, in the words of neocon grise eminence and top Bush administration official Paul Wolfowitz, because it was “doable.” A years long neoconservative campaign to target Iraq gained new impetus in the wake of 9/11, and the administration and its journalistic camarilla pushed the lie that Iraq was behind the attack. The evidence that the Saudis were involved had to be suppressed – because the Bush administration’s war plans depended on it.

» Now that we know the truth, what do we do about it?

» To begin with, if any other government had connections to a terrorist attack on the US of this nature, their capital would’ve been a smoking ruin. I’m not suggesting we do that, but at the very least the Saudis must be made to pay a high price for their complicity, starting with a moratorium on all US aid and arms sales to the Kingdom. We imposed trade sanctions on Russia for far less. Cutting off the Saudis from the US banking system should put a crimp in their extensive international network of terror-financing and money-laundering. And I know it’s too much to expect a public statement from our President pointing out that a US “ally” aided and abetted those who murdered over 3,000 people on 9/11, but I can dream, can’t I?

» The Saudis aren’t our allies: as the 28 pages make all too clear, they are our deadly enemies. And they ought to be treated as such. »

D’une façon générale, cette conclusion a été généralement admise par tous ceux qui ont donné une analyse de ces 28-pages. Bien que d’autres événements aient effectivement éclipsé l’effet possible de la diffusion de ce document, – mais des événements inattendus, qui ne pouvaient avoir été être choisis comme éventuelle “couverture” pour l’effet de cette diffusion puisque personne ne pouvait raisonnablement les prévoir, – la diffusion des 28-pages n’a pas été passée sous silence. Raimondo lui-même l’observe, critiquant simplement l’interprétation qui en a été donnée du côté du Système (presse-Système), qui n’est pas d’exonérer les Saoudiens de toute responsabilité mais bien, plutôt, de conclure “bof, rien de nouveau” ; et le “rien de nouveau” ne porte pas sur le déni de telle ou telle interprétation, et implicitement sur l’affirmation fondamentale (« the Saudis did 9/11 »), mais bien sur le fait que cette affirmation fondamentale, c’est du “rien de nouveau”...

« News reports about the recently released 28 pages of the Joint Inquiry into the 9/11 attacks are typically dismissive: this is nothing new, it’s just circumstantial evidence, and there’s no “smoking gun.” Yet given what the report actually says – and these news accounts are remarkably sparse when it comes to verbatim quotes – it’s hard to fathom what would constitute a smoking gun. »

Cette attitude n’est pas nouvelle, et elle n’est pas calculée selon une manœuvre de déni ou de dissimulation mais, plutôt, correspond à notre sens à une évolution psychologique et au changement de climat que cette évolution a apporté. On ne peut même pas incriminer une sorte de désintérêt fondamental du fait lui-même de l’attaque 9/11, puisqu’on a pu constater le contraire avec les polémiques, les affirmations et les agitations qui ont précédé la décision de rendre publiques ces 28-pages ; et cette décision a été prise, non comme une manœuvre significative et réussie malgré les quelques éléments qui restent censurés et ne dissimulent en rien le sens général de ce document, mais bien comme le résultat d’une pression du législatif sur l’exécutif. L’événement a donc une signification actuelle importante et ne relève pas d’une simple mise au point sur “un peu plus de vérité-de-situation” qui concernerait un événement devenu historique et sans plus d’intérêt ni d’effet sur la situation actuelle.

Au reste, dès le 26 décembre 2013, nous observions ce changement de climat consécutif à l’évolution de la psychologie, entraînant d’une façon plus large la modification de la situation du Système, après que deux parlementaires aient déposé une “résolution d’urgence” le 11 décembre 2013 demandant la publicité complète et sans restriction de ces 28-pages. (Cette résolution recueillit très vite un substantiel soutien, si bien qu’on peut juger qu’elle est l’acte principal conduisant au dénouement de la fin de la semaine dernière.) A cette époque, la narrative officielle restait que l’Arabie n’avait aucune responsabilité dans l’attaque 9/11 et l’on voit aujourd’hui que les 28-pages disent le contraire... Nous écrivions donc  ceci, qui concernait justement le climat, donc l’évolution de la psychologie, donc la situation du Système :

« Ainsi, le plus extraordinaire n’est-il pas finalement qu’une telle possibilité fasse surface jusqu’à une position d’officialité de la chose, mais bien que cela se fasse sans guère d’écho, sans soulever guère de passion. On ne peut considérer qu’il y a “étouffement“ d’une affaire qui est doublement officialisée, notamment par cette “heureuse circonstance” d’une nouvelle attitude de la justice à l’égard des plaintes éventuelles contre l’Arabie Saoudite devant des tribunaux US. On doit simplement constater que cette mise en cause “officielle” de la version “officielle” se fait sans soulever de polémique particulière, ni même d’observations passionnées. Il y a cinq ans, répétons-le, la mise en cause de la narrative officielle était considérée comme un acte d’incorrection politique passible des pires condamnations, un acte proche du négationnisme, dans l’entendement qu’on en a lorsqu’on pense aux personnes qui, selon les accusateurs de la chose, nient l’existence des camps d’extermination nazis. Aujourd’hui, quelle qu’en soit la raison, cette mise en cause se développe sans autre remous qu’une nouvelle parmi d’autres. »

Durant toute la période d’intense polémique autour de 9/11, où le phénomène dit du “complotisme” était violemment dénoncé par le Système comme un péché majeur pouvant équivaloir, par exemple, à la référence fondamentale du négationnisme de l’Holocauste, notre position a souvent été, de notre point de vue antiSystème, que la polémique elle-même était plus utile et plus destructive du Système, que l’hypothèse d’un gouvernement obligé de capituler et de diffuser, en partie voire plus encore, ce qu’il savait de l’attaque. En d’autres mots, c’était l’idée que la polémique recueillant un grand crédit contre la narrative du Système, était plus efficace, plus nocive au Système, que l’abandon de cette narrative par le Système ; parce que le soupçon tendait à s’étendre à tout le Système, tandis que l’abandon de la narrative (la révélation de ce que savait le gouvernement sur 9/11) confirmait certes ce soupçon, mais tendait à réduire la nocivité du Système à la seule narrative de 9/11. En d’autres mots, notre conviction était que “la vérité sur 9/11” n’abattrait certainement pas le Système. De ce point de vue la contestation de la narrative officielle de 9/11, l’action des 9/11’s Truthers ont été une réussite même si nombre d’entre eux peuvent juger le contraire, parce qu’elles ont entretenu un soupçon qui n’a cessé de s’élargir vers d’autres activités du Système, vers le Système lui-même.

Cela valait essentiellement pour la période décrite, “toute la période d’intense polémique autour de 9/11”, disons à peu près de 2001 à 2008-2010, qui correspond selon notre rangement à la rupture pour une nouvelle séquence à l’intérieur de “l’époque 9/11” (l’époque commencée le 11 septembre 2001). Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle période de l’époque-9/11, où le “complotisme” fondamentalement créé dans sa dimension antiSystème spécifique avec le déni de la narrative officielle-9/11, n’existe plus comme activité sacrilège ; nous voulons dire qu’il a perdu ses guillemets, comme nous le notions pour le “putsch avorté” de Turquie, et qu’il est activement pratiqué par le Système. (« Avec le putsch avorté de Turquie, si vous ne croyez pas qu’un false flag a été monté de A jusqu’à Z par Erdogan pour renforcer sa dictature, vous êtes aussitôt labellisé antidémocrate et fasciste [sort of....], avec vomissements comme arguments irrésistibles. Le complotisme a perdu ses guillemets et devient une pratique courante de la vertu-Système. »)

Notre appréciation de cet épisode des 28-pages et de la façon dont il se conclut consiste en deux points principalement. Le premier est que le Système, même s’il est capable de ruser, de mener des actions retardataires, n’a plus la force d’arrêter des revendication du flux politique normal, mais qui prennent ainsi une forme antiSystème. Plus encore, le Système rencontre de plus en plus, en son sein, des sapiens qui, tout en étant membres éminents du Système, adoptent (temporairement qu’importe, et souvent sans mesurer leur position) des positions qui les font antiSystème ou les rendent complices actifs ou passifs d’un processus antiSystème. Ces sapiens cèdent le plus souvent à l’attraction de la vérité-de-situation, sous l’insupportabilité du poids du mensonge qu’implique la narrative. Face à tous ces éléments et facteurs de contrainte, le Système se défend comme il peut, c’est-à-dire assez piètrement, c’est-à-dire en tentant de freiner ce qui devient de plus en plus inéluctable (les révélations dans ce cas), comme on tente désespérément d’aveugler de plus de voies d’eau.

Le deuxième point est que le peu d’éclat qui a accueilli les révélations des 28-pages qui, en d’autres temps, eussent provoqué à la fois des chants de triomphe des antiSystème et des contestations polémiques des défenseurs du Système, confirme bien que le seul fait d’un progrès important sinon décisif contre la narrative officielle dans un domaine spécifique (la vérité-de-situation sur un aspect important de 9/11 dans ce cas) est complètement insuffisant dans le chef de la lutte antiSystème. (A la limite, on peut y voir un réflexe tarctique : une réaction de satisfaction très limitée de l’antiSystème pour empêcher que naisse le sentiment d’une victoire décisive contre le Système qui pourrait susciter une démobilisation de l’antiSystème.) C’est une petite partie du masque du Système qui a été arrachée, alors qu’il est désormais acquis qu’il faut arracher le masque dans son entièreté, 9/11 et le reste qui est considérable, car le but n’est absolument plus “la vérité sur 9/11” mais bien “Delenda Est Systema.

... En attendant, il y a le constat que le système de la communication, au travers de l’épuisement qu’il suscite dans la psychologie du Système à cause de l’activité considérable de son effet-Janus, a liquidé la pseudo-légitimité de l'accusation selon laquelle le “complotisme” entre guillemets est sacrilège et hérétique. Le complotisme sans guillemets subsiste, bien entendu, et il est à la disposition de qui veut en faire usage, y compris les malheureux défenseurs du Système.

 

Mis en ligne le 20 juillet 2016 à 09H42