L’Église orthodoxe russe et le Goulag électronique global

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L’Église orthodoxe russe et le Goulag électronique global

1er août 2013 – C’est une des interventions les plus intéressantes de la crise Snowden/NSA, plus par le niveau auquel cette intervention hausse cette crise que par les effets directs et immédiats à en attendre, sans doute d’importance négligeable pour les événements courants de notre quotidien. (L'intervention a d'ailleurs eu fort peu d'écho.) L’intervention est de l’Eglise orthodoxe russe, elle soutient avec enthousiasme la position russe de refuser de livrer Snowden aux USA, – ce qui est une façon de rendre encore plus improbable que les Russes finissent tout de même par céder aux demandes USA en “sacralisant” si l’on veut ce refus, en le haussant à un niveau spirituel... Ce dernier point est d’ailleurs largement confirmé par une autre dénonciation que prononce l’Église orthodoxe, qui est une tendance totalitaire qu’elle affirme considérer et discuter depuis plusieurs années, de la perspective d’un “camp d’emprisonnement global, électronico-totalitaire”. Pour rester dans le cadre de la Russie, de son histoire, etc., on parlerait alors d’une sorte de “Goulag électronique globalisé”, et cette dénonciation confirme effectivement le sens spirituel de la démarche en conduisant implicitement à observer que cette dénonciation concerne le sort de l’essence même de la civilisation.

C’est une incursion remarquable de l’Église orthodoxe dans une crise extrêmement sensible, ultra-politique, interférant directement dans les relations entre les USA et la Russie mais touchant également un problème de civilisation, et, plus droitement dit pour notre compte, s’inscrivant dans la crise civilisationnelle engendrée par ce que nous nommons la “contre-civilisation” (à partir du “déchaînement de la Matière” et opérationnalisée par le Système). Cette intervention de l’Église orthodoxe constitue un nouveau tournant important de la crise Snowden/NSA, par l’agrandissement qu’elle confère à cette crise.

Voici l’essentiel de cette intervention telle que la rapporte Russia Today le 30 juillet 2013. On doit évidemment la lire en s’ôtant de l’esprit, pour en juger, toute idée ou prise de position ayant trait à la religion, – pour ou contre, qu’importe, – en concentrant exclusivement son jugement d’évaluation sur le seul aspect des rapports avec le Système et de l’action antiSystème. (La même chose, cela va sans dire mais mérite qu’on le dise, pour ce texte de commentaire, certes.)

«Archpriest Vsevolod Chaplin has praised Russian authorities for not caving in to pressure from abroad, saying granting asylum to US whistleblower Edward Snowden would help prevent the establishment of a ‘global electronic prison camp’. “It is encouraging news that Russia is demonstrating its independence in this case as it has in many others, despite the pressure” said the head of the Holy Synod’s Department for Relations between the Church and Society. Vsevolod Chaplin added that the Snowden saga has been broadly discussed both on the domestic and international level, with Russia’s position potentially bolstering its image as a country upholding “the true freedom of ideals.”

»The Russian cleric further argued that Snowden’s revelations confirmed the existence of a pernicious problem discussed by Orthodox Christians for many years – “the prospective of a global electronic-totalitarian prison camp”. “First they get people addicted to convenient means of communication with the authorities, businesses and among each other. In a while people become rigidly connected to these services and as a result the economic and political owners of these services get tremendous and terrifying power. They cannot help feeling the temptation to use this power to control the personality and such control might eventually be much stricter that all known totalitarian systems of the twentieth century,” Interfax news agency quoted Chaplin as saying.

»The church official added that in his view true democracy remained an unreachable ideal. “Any political system fixes the domination of a few over many. In the twentieth century the harshest forms of such political power used brute force, but now they are using soft power, through total data collecting and through soft persuasion of people, first through slogans but then through legal acts,” Chaplin explained. He noted that currently the soft power system was promoting such topics as declaring the western political system as the only viable option, making religion a marginal trend, and sidelining both criticism of market fundamentalism and leftist political platforms.

»Chaplin urged Russian authorities to defend “real freedom, the freedom from the global ideological dictate and from the electronic prison camp.” The cleric also offered a possible solution – the development of its own electronic communications system that would be independent from foreign-based mediums. “The nation has the brains for this and I hope we will also have a will,” Chaplin declared.»

L’intervention mérite plusieurs commentaires, à différents niveaux. Cette profusion du commentaire est elle-même une illustration directe de ce que nous observons depuis près de deux mois (la crise Snowden/NSA a commencé le 6 juin), et notamment avec l’interrogation fondamentale d’envisager que cette crise constitue effectivement un “modèle” de la crise d’effondrement du Système, pouvant éventuellement constituer un détonateur direct pour une phase nouvelle, peut-être décisive, de cette crise d’effondrement.

On a pu observer jusqu’ici comment cette crise Snowden/NSA a évolué aux USA, après un début assez confus sur son orientation, en devenant depuis une grosse semaine, de façon directe et peut-être décisive, une crise intérieure avec la mise en cause de plus en plus radicale des pratiques de contrôle systématique de la population US par espionnage électronique des réseaux, des communications téléphoniques, etc. (La dernière péripétie à cet égard est l’annonce-surprise [le 31 juillet 2013] de l’annulation des auditions anti-NSA à la Chambre, auxquelles devait participer Greenwald. C’est Greenwald lui-même qui l’a annoncé à Politico.com, mettant en évidence l’étonnante “manœuvre” de l’administration Obama, qui ne prend plus aucune espèce de précaution pour lutter par tous les moyens contre l’offensive anti-NSA, montrant son état de panique à mesure, dans ce débat  : «But Greenwald now tells Politico that the hearing has been canceled due to Obama's decision to meet with House Democrats. “Obama developed a sudden and newfound interest in House Democrats and scheduled a meeting with them for that same time,” he wrote in an email, adding that the committee was trying to re-schedule the meeting to take place before congress goes on recess.»)

Cette dimension de l’entreprise de contrôle et de manipulation de la population US par la NSA aujourd’hui directement et publiquement débattue aux USA, et notamment au Congrès, est évidemment et largement inscrite dans l’idée de la constitution d’un “Goulag électronique”, que l’Eglise orthodoxe russe substantive en étendant cette idée à toute la planète, sans aucune limitation temporelle d’aucune sorte, liant alors le développement US à un développement général de la perception de la crise, avec la dimension spirituelle évoquée plus haut. Ces deux éléments additionnés en à peu près une décade rendent compte de l’importance de la crise Snowden/NSA.

Les commentaires qu’on peut faire de l’intervention de l’Église orthodoxe russe sont, à notre sens, à classer en quatre catégorie, dont deux, les deux premiers directement traités ci-dessous, sont essentiellement de niveau politique et, disons, “temporel”.

• Le premier de ces aspects est sans aucun doute politique et concerne la situation politique en Russie et, par conséquent, les effets sur la position de la direction russe vis-à-vis du traitement de l’affaire Snowden. Bien qu’aucun élément ne l’indique ni dans un sens, ni dans l’autre, il nous paraît plus juste de considérer que l’Église orthodoxe a agi sans consulter Poutine. Son intervention intervient en effet comme une contrainte extérieure sur la politique de Poutine, qui n’aura en plus aucun avantage d’apaisement vis-à-vis des USA. (Les USA, repliés sur leur seule perception des clichés d'un américanisme psychologiquement totalitaire, n’ont pas l’habitude de prendre en compte cette sorte d’intervention, d'abord parce qu'ils ne croient pas, selon l'image caricaturale qu'ils se font de la Russie, à une quelconque indépendance de quelque force que ce soit par rapport au pouvoir ; ils y verront donc une manoeuvre de Poutine manipulant l'Eglise à son compte, et rien d'autre.) Notre analyse est que l’Église orthodoxe, qui sait et qui voit que Poutine est un “centriste“ prudent, qui repousse (jusqu’à présent) les pressions des USA mais sans prendre d’attitude décisive, veut aider à se renforcer une situation où il deviendra de plus en plus difficile, sinon impossible, au président russe de songer à des concessions vis-à-vis des USA. Disons qu’il s’agirait d’une précaution qui serait en même temps un soutien à Poutine et une incitation à conserver sa position actuelle.

L’Église orthodoxe russe peut d’autant plus agir de cette façon, et avec un poids politique conséquent, qu’elle ne cesse d’être confirmée par Poutine, par le pouvoir russe, etc., comme une force essentielle en Russie, et bien entendu une référence spirituelle fondamentale dans ce temps de crise générale. De ce point de vue, l’Église orthodoxe est d’autant plus à son aise pour intervenir qu’elle place directement l’affaire Snowden dans une considération générale d’un grave danger menaçant les peuples et la civilisation dans son ensemble au XXIème siècle. Elle est tout à fait dans son rôle, et un rôle plusieurs fois confirmé par les autorités russes. Bien entendu, ce type d’intervention n’a rien à voir, par exemple, avec une situation comme celle de la République islamique d’Iran, où le pouvoir religieux assume la responsabilité politique suprême, mais elle n’en est pas moins d’une importance politique capitale en situant tel problème politique spécifique (le cas Snowden) dans un contexte civilisationnel très large où l'Église orthodoxe russe a toutes les compétences requises pour en juger, plaçant ainsi le pouvoir politique devant ses responsabilités directes.

• On observera, comme deuxième enseignement, que l’attitude de l’Église orthodoxe diffère grandement de l’attitude de l’Église catholique. Avancer l’argument national dans le cas de l’Église orthodoxe (russe) est évident, mais il n’est objectivement pas pertinent dans le cas de l’urgence eschatologique, dans une époque diluvienne où toute une civilisation est effectivement menacée par sa propre course d’autodestruction. Autant l’Église orthodoxe assume ses responsabilités temporelles, et celles-ci, aujourd’hui, dans le contexte qu’on connaît, ne peuvent être qu’antiSystème, ce qui est le cas ; autant l’Église catholique élude ses responsabilités temporelles, et se trouve de ce fait, par la simple logique des position et des exigences d’affrontement, dans une situation de complicité objective du Système. (C’est la situation que nous décrivons dans notre deuxième Parie du Tome II de La grâce de l’Histoire, mis en ligne le 20 juillet 2013, et que nous explicitons plus précisément sur ce sujet précis de l’irresponsabilité de l’Église catholique dans notre crise actuelle, le même 20 juillet 2013.)

Entendre le pape François dénoncer les conditions faites aux pauvres ne conduit en aucune façon à y voir un acte de responsabilité dans une situation aussi tendue et rupturielle que celle qu’on connaît, ou aucune critique ne vaut si elle n’est strictement accompagnée de l’identification de la source de l’acte ou de la situation critiquée. Dans ce cas d’une telle institution, chargée d’une responsabilité morale considéarable, il s’agit d’une tangente de l’irresponsabilité. Cette orientation est renforcée ou illustrée, ou prolongée, par des attitudes incertaines comme, par exemple, une évolution d’ouverture du pape vis-à-vis de la “question” des homosexuels, dans le chef de la possibilité d’une approche nouvelle, plus tolérante. Même si la démarche se comprend évidemment dans un contexte général, dans les conditions présentes le cas ne peut être perçu que dans le cadre de la question sociétale du “mariage gay”, qui doit d’abord être considéré comme un acte déstructurant du Système (voir le 30 avril 2013). L’irresponsabilité est, dans ce cas, illustrée par la tentation de la démagogie recommandée par la bureaucratie du Vatican et ses services de relations publiques, et constituant un tribut ainsi rendu par l’Église de Rome à la modernité, – c’est-à-dire au Système.

Un “modèle” antiSystème

Les deux autres types de commentaire s’éloignent du domaine conjoncturel pour envisager toutes les implications sur la crise elle-même (Snowden/NSA), et sur la situation générale. Pour ce faire, nous nous référons essentiellement à l’aspect “spirituel” nécessairement caractéristique de la démarche de l’Église orthodoxe. Comme on l’a déjà suggéré plus haut, il est manifeste que cette intervention, et l’introduction de cet aspect “spirituel”, élèvent le débat autour de cette crise, le rendent plus pressant, plus tragique, et correspondent mieux à ce que l’on ressent intuitivement d'elle (cette crise).

D’autre part, l’on comprend bien combien cette élévation rend compte d’un aspect essentiel de la potentialité de cette crise. On l’avait déjà mis en évidence, bien sûr, avec le texte F&C du 30 juillet 2013, où l’on décrit les fonctions “spirituelles” et la mission eschatologique de déstructuration et de dissolution que la NSA elle-même s’est attribuée en se constituant comme elle l’a fait, essentiellement depuis les années 1960, et décisivement depuis le 11 septembre 2001. Parallèlement, cette “spiritualisation” de l’affrontement touche le domaine de l’“agression douce” (voir notamment le 14 mars 2012) à laquelle la Russie est confrontée désormais directement, de la part du bloc BAO et des USA plus précisément, et donnant à ce domaine une dimension d'une extraordinaire importance. Le porte-parole de l’Église orthodoxe mentionne cela spécifiquement lorsqu’il dit : «In the twentieth century the harshest forms of such political power used brute force, but now they are using soft power, through total data collecting and through soft persuasion of people, first through slogans but then through legal acts...» Ainsi en vient-on nécessairement à assimiler, dans le même acte d’agression fondamental et en observant que cet acte prétend effectivement à une dimension spirituelle, les Pussy Riot, l’activisme en faveur du mariage gay et l’activisme de la NSA, et tout cela sans que les différents sapiens-figurants de cet affrontement, hormis de rarissimes exceptions, aient naturellement la moindre conscience de la dimension de ces actes et de leur participation à cette dynamique générale. (Tout au plus parlerait-on d'une “conscience” [?] complètement caricaturale et d'une confusion extrêmement grossière, navrante de pauvreté psychologique et de débilité intellectuelle, que ce soit dans le chef des Pussy Riot ou dans celui de la NSA).

D’une certaine façon, des prises de position comme celle de l’Église orthodoxe ont l’immense avantage de corriger certains énormes déséquilibres d’apparence entre des situation qu’on assimile dans une même dynamique (un phénomène comme les Pussy Riot et un autre comme la NSA), ou des situations qu’on trouve en état d’affrontement et qui semblent également si déséquilibrées (Snowden, jeune homme de 30 ans sans beaucoup de “poids” et d’une apparence presque dérisoire, et le tremblement de terre secouant l’énorme NSA qu’il a déclenché). La dimension spirituelle ainsi débusquée efface toutes ces différences qui tendent à détourner la raison d’une perception convenable et à contrecarrer le jugement au nom des apparences, et tend elle-même à rétablir la vérité des situations effectivement impliquées. Comme il est dit dans la citation qu’on vient de faire, il n’est plus question de l’usage d’une “force brutale” (en général celles du système du technologisme) qui mesure sa substance à son poids grossier, mais d’une “force douce”, évoluant au sein du système de la communication et trouvant sa substance véritable, non dans son poids réel mais dans sa représentation symbolique et son écho de communication. Une interprétation où entre une dimension spirituelle donne toute sa vérité à la représentation symbolique et influe à mesure sur l’écho de communication. Même l’énorme NSA, qui fait tout de même partie de la quincaillerie électronique, trouve sa place à sa juste mesure, celle qu’elle prétend se donner elle-même grâce à la représentation symbolique qu’elle s’est attribuée à elle-même.

Ces divers aménagements, ces diverses positions dans l’affrontement, décrits d’un point de vue spirituel par l’Église orthodoxe, renforcent évidemment l’hypothèse rappelée plus haut, et déjà évoquée en détails auparavant (voir «Choisir “sa” crise», le 22 juillet 2013). Il s’agissait de déterminer comment et en quoi la crise Snowden/NSA est une “crise première”, capable de figurer comme modèle de la crise d’effondrement du Système, voire comme son accélérateur ultime...

«D’une façon générale, nous traitons la crise Snowden/NSA comme un événement en soi, qui contient sans aucun doute, en lui-même, des facteurs essentiels d’aggravation ; qui développe une multiplicité d’aspects, certains inattendus, avec des ramifications complexes qui conduisent à des surprises, à des rebondissements ; qui met impitoyablement en lumière des comportements, des allégeances, des servilités, des révoltes, qui se signalaient jusqu’ici dans une latence incertaine permettant effectivement une certaine incertitude du jugement à leur égard. Nous comprenons qu’il y a une spécificité dans cette crise, qui la distingue de toutes les autres, qui la sort des standards et des séries qui conditionnent nombre d’autres crises. La crise Snowden/NSA est complètement unique dans l’état chronologique présent de l’infrastructure crisique, c’est une “crise pure”, ou ce que nous désignerions comme “crise première” ; elle pourrait, si elle se poursuit à ce rythme, déplacer le centre d’activité de la crise d’effondrement du Système, – dénommée opérationnellement “crise haute”, – de la situation crisique passée de l’Iran à l’entour de la Syrie vers une situation crisique autour d’elle-même (de Snowden/NSA)... [...]

»...La question principale déterminant notre choix en faveur de la crise Snowden/NSA plutôt que la crise égyptienne est de savoir laquelle des deux crises se rapproche le plus du modèle qui pourrait à la fois s’avérer le plus proche du processus de la crise d’effondrement du Système d’une part, et qui contiendrait assez de potentialité pour faire éventuellement envisager qu’il y ait la possibilité (“possibilité”, rien d’autre pour l’instant) qu’elle (cette crise) apportât un élément décisif accélérant ou précipitant jusqu’à son apothéose la crise d’effondrement du Système d’autre part. La crise Snowden/NSA répond manifestement à la préoccupation exprimée par cette question.»

En plus de ces arguments, l’intervention de l’Église orthodoxe apporte un élément qui met en lumière la dimension eschatologique de la crise Snowden/NSA et contribue encore plus à la rapprocher du “modèle”, à en faire cette “crise première” qui pourrait servir effectivement à opérationnaliser la crise d’effondrement du Système. A ce point, il faut alors bien comprendre que nous sommes décisivement éloignés des affrontements courants, et que le rôle joué par l’Église orthodoxe dans ce cas ne signifie nullement qu’il faille voir la Russie à l’abri de cette crise d’effondrement, comme si le fait d’en débusquer les signes l’exemptait de ses obligations terrestres. Comme on l’a dit à plusieurs reprises à propos de ce pays, la Russie est certainement celui qui a le plus conscience de ce contexte de crise d’effondrement général où nous nous trouvons, et il fait ce qu’il peut pour en aménager les conditions, en apaiser les effets. Mais sur l’essentiel, la Russie ne peut rien de fondamental. Le processus d’effondrement du Système est évidemment quelque chose qui la dépasse, par définition, comme il dépasse tout ce qu’il y a d’organisé au niveau humain, y compris même et paradoxalement pour ceux qui organisent l’inversion dans notre civilisation devenue contre-civilisation.

Ainsi en déduira-t-on le paradoxe apparent, – et c’est là notre quatrième commentaire sur cette affaire, – que cette évolution de la crise Snowden/ NSA, avec les coups portés au Système, avec l’intervention de l’Église orthodoxe et la dimension spirituelle ainsi révélée, n’annonce rien de décisif comme cela serait le cas dans une bataille opposant des adversaires dans le même champ. Là encore, il s’agit d’écarter l’élément national qui marque évidemment l’Église national russe, dans une situation où les références nationales, de type politique ou géopolitique, même élevées de considérations spirituelles, ne sont plus pertinentes en elles-mêmes mais servent d’outils à un objectif, à un dessein nécessairement universel, – correspondant à l’universalité d’entropisation du Système, – et qui contient tous les autres. Observées objectivement, l’évolution que nous décrivons, et, dans ce cas, l’intervention de l’Église orthodoxe, sont remarquables en ceci qu’elles suscitent, au travers des coups portés au Système, un accroissement significatif du désarroi, du désordre à l’intérieur du Système lui-même. Il ne s’agit pas de vaincre, de triompher, mais bien de contribuer à “la discorde chez l’ennemi”, à la montée de l’aggravation des conditions internes de la situation du Système. Cela signifie que le Système, qui conserve cette surpuissance qui est ce qu’on pourrait désigner comme son essence même, est ainsi poussé à transformer de plus en plus vite cette dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction. C’est évidemment la seule chose que l’on peut faire, et que peut faire l’antiSystème, et d’ailleurs la seule chose que l’on doit faire dans une situation où aucun choix fondamental ne peut exister avant que le Système ne se soit lui-même autodétruit.

L’Église orthodoxe n’est pas en train de “sauver” la Russie, notion qui n’a pas de sens dans la situation telle qu’on la décrit, elle est en train d’accélérer un processus antiSystème dont l’effet ne peut être que d’alimenter la force autodestructrice du Système. Elle le fait, dans les termes où elle intervient, dans la capacité d’eschatologisation qu’elle impose, de main de maître, et se présente elle-même, en un sens, comme un “modèle antiSystème”.