L'écume soulevée par la performance

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L'écume soulevée par la performance

L’écume soulevée par la performance (*) de la rencontre du 12 juin 2018 entre Kim Jung-Un et Donald Trump est retombée. Elle est déjà effacée par les clameurs des amateurs du sport-spectacle mobilisés autour du Mondial 2018.

La déclaration signée n’est ni un traité ni une feuille de route en vue de la réalisation des objectifs proclamés. Les termes du texte paraphé reprennent ceux entérinés par les Présidents des deux Corées lors de leur rencontre le 27 avril 2018, à savoir la complète dénucléarisation de la péninsule coréenne. Loin d’être le projet d’une Dénucléarisation Totale, Vérifiable et Irréversible de la seule Corée du Nord (DTVI), le document commun fait une référence implicite à la présence d’armements nucléaires étasuniens que les exercices annuels conjoints entre le Japon, la Corée du Sud et les Usa mettent en jeu. Des avions portant des charges nucléaires sont alors déployés et font des sorties simulant des bombardements.  

Les arguments d’un dialogue

Le programme d’acquisition de l’arme nucléaire par Pyongyang s’est accéléré après que l’administration Bush soit revenue sur l’ouverture faite par celle de Clinton. Les deux parties se sont engagées pour qu’une une aide financière et technique soit prodiguée à la Corée du Nord en échange du gel de sa production de plutonium. En 2002, la Corée du Nord a été déclarée comme l’un des pays de l’Axe du Mal contre lesquels les Usa se proposent d’appliquer une agression permanente soit leur guerre préventive sans fin. Face au B52 stationnés sur l’île de Guam, aux 600 000 soldats sud-coréens bien entraînés et dotés et aux 28 000 éléments des troupes étasuniennes positionnées en Corée du Sud, le choix stratégique de se prémunir d’une destruction telle que celle de l’Irak est rationnel. La disparition de 20 à 30% de la population de la Corée du Nord (3 millions de morts) pendant la guerre de 1950-1953, assimilée à un génocide, a clairement été revendiquéepar le Général étasunien qui dirigeait la Commandement aérien stratégique. 600 000 tonnes de bombes ont détruit le pays et n’ont laissé que décombresà la place de la moindre de ses villes. Aucun Nord Coréen ne peut l’oublier.

Le tir nord-coréen réussi du missile balistique intercontinental, fin novembre 2017, effectué à la verticale, a atteint une hauteur inédite de 4500 km. Il laisse présager que sa portée en tir à angle normal serait de 13500 km, bien plus que la distance pour arriver à Washington. Il réalise une forme de réponse consistante aux imprécations de Trump.  A la tribune des Nations Unies en septembre 2017, le Président à la Mèche menaçait la Corée du Nord d’une destruction totale par le feu et la fureur. Il a annoncé dans la foulée un nouveau train de sanctionscontre ce pays, estimant (sans preuves mais c’est parole de Président étasunien) qu’il soutient le terrorisme international. 

L’Homme Orange à la Mèche est alors resté plutôt coi.

Sa ligne de communication (le babillage par tweeter) est restée muette, la capacité dissuasive des centaines de bases étasuniennes venait de s’évanouir devant une démonstration d’autant plus sobre et élégante qu’elle se passe d’explicitation inutile.

Le travail d’inter-connectivité en Asie allait reprendre.

En amont.

Désir de souveraineté et développement économique

La Corée du Sud, vitrine du capitalisme étasunien en Asie est parvenue à devenir une puissance bien placée parmi les économies émergentes, elle concurrence par ses prouesses technologiques les firmes étasuniennes. Elle développe l’ambition de pénétrer le marché de son voisin du Nord, un peu à la manière d’une Allemagne de l’Ouest, propulsée par le plan Marshall, qui a fini par récupérer dans son giron celle de l’Est.

Les deux entités, Allemagne fédérale et Corée du Sud, nées à la faveur d’un affrontement Ouest-Monde communiste ont réussi au terme d’un développement garanti par l’aide étasunienne, prêts bancaires versus présence militaire sur leur sol de leur bailleur, à s’affranchir relativement de leur parrain et mener leur propre politique internationale.

L’actuel président sud-coréen a été porté au pouvoir par des élections anticipées très largement gagnées, organisées dans le sillage de la destitution de son prédécesseur pour corruption et trafic d’influencesde sa conseillère. 

Moon Mai In a gagné sur des promesses de réforme des conglomérats sud-coréens liés au scandale présidentiel et de réformes sociales de lutte contre les inégalités et de chômage de masse des jeunes. Il a aussi triomphé de la ligne conservatricemenée par dix ans par son pays contre la Corée du Nord qui n’a « en aucun cas arrêté le programme nucléaire » de leur voisin. Cet ancien avocat des Droits de l’homme, fils d’un ouvrier réfugié de la Corée du Nord, avait dès sa campagne annoncé sa volonté de rouvrir la zone intercoréenne fermée en 2016.

Depuis 2014, la Corée du Sud s’est vu imposer l’augmentationde sa participation au coût de la présence militaire étasunienne sur son territoire dans la perspective étasunienne de réorienter ses forces en Asie du Sud Est. Une lassitude vis-à-vis des crimes impunis des soldats américains (viols et comportement arrogant) s’installe. Elle s’additionne d’un sentiment de souveraineté frustrée, l’extrémité de la péninsule est protégée de son ennemi communiste mais pour cela occupée militairement. Le déploiement en septembre du bouclier antimissile américain THAAD, retardé autant que possible par Moon qui a argué de raisons environnementales pour le suspendre, a suscité une vague de protestationvigoureuse parmi la population sud-coréenne. Pékin s’est senti menacé par une telle installation et avait pris des mesures de rétorsion économique vis-à-vis d’entreprises sud-coréennes comme Hyundai.

La perpétuation du traité de défense mutuelle entre la Corée du Sud et les Usa signé en 1953 qui transforme toute la Corée du Sud en base militaire étasunienne est de plus en plus contestée. Des voix s’élèventcontre la perte de souveraineté du pays.  

Le parallèle avec l’Allemagne peut encore être souligné. A l’heure où les Usa exigent des contributions de plus en plus fortes à l’OTAN pour réaliser leur politique chaotique et interventionniste, l’Allemagne se propose de développer son propre budget militaire en dehors de l’alliance atlantique.

Après l’essai nord-coréen de la bombe H, Moon est allé exposer ses griefs à Poutine à Vladivostok en septembre 2017 en marge du forum économique de l’Est. Ils jugeaient tous deux urgent d’apaiser les tensions. Poutine n’a cependant pas accédé à la demande de Moon de majorer les sanctions à l’égard de Pyongyang. Selon le président russe, il ne faut pas acculer celui que l’on souhaite amener à la table des négociations.

Routes, ceintures et voies ferrées

Ce qui restera après la dissipation du bruit et de l’écume.

Même au plus fort de la crise suscitée par les essais nucléaires de Pyongyang, la Russie n’a cessé de militer pour une intégration économique de la Corée du Nord comme meilleur moyen de pacifier la région. Les projetsde connexion ferroviaire de la Corée du Sud avec le Transsibérien passe par la Corée du Nord, comme le pipe line gazier traversera la moitié nord-coréenne. 

Le sort de la paix dans la région a été scellé à Vladivostok entre la Russie, la Corée du Sud et le Japon qui ont convenu de faire cesser un discours hystérique belliciste pour tisser des liens économiques et construire des ponts. Moon propose pas moins de neuf ponts. On s’est même pris à évoquer lors de ce forum un pont qui relierait le Japon, archipel d’îles nombreuse, au continent eurasiatique !

Sans tarder, la porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères de Russie a exprimé la nécessité d’une levée rapidedes sanctions unilatérales exercées contre la Corée du Nord dans les suites de la rencontre et de la déclaration commune des présidents Kim et Trump.

Le substrat de ce format 5 (+1), Les deux Corées, Chine, Russie et Japon est bien sûr géographique, les cartes indiquent que la péninsule coréenne est un appendice situé comme une visière sur le front d’une masse chinoise face au Japon et au Sud du vaste Orient de l’immense Russie. Le (+1), ce sont les Usa qui ont castré militairement le Japon et la Corée du sud et ont ainsi endigué la Chine communiste.

Le (+1), c’est un pays qui consacre officiellement une bonne part de son budget fédéral au Pentagone, plus du tiers, proportion en augmentation constante, en 2014 la part des dépenses militaires s’élevaient à près de 17%.

Il est vrai que l’on ne peut valablement consacrer tant d’efforts dans l’élaboration d’une énorme machinerie destinée à détruire sans être tenté de l’employer, ne serait-ce que pour justifier de tels investissements. Au reste du monde est dévolu le modeste rôle de construire avec certes de bien moindres moyens. De construire et consolider la paix.

Badia Benjelloun

Note

(*) L’art contemporain désigne sous ce terme une œuvre d’art définie par un événement, située dans le temps et l’espace et ainsi éphémère.