Le monde de GW

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Le monde de GW


27 juin 2002 — Le discours de GW fera date, celui où il annonce qu'Arafat n'existe plus. (Réponse d'Arafat : j'existe toujours, je serai même candidat en janvier.) Certes, voilà un discours singulier. GW livre aux Palestiniens la recette d'une grande nation jeffersonienne, la façon de s'organiser, comment tout cela doit marcher, la recette de la justice, de l'égalité, de la liberté, etc. L'événement est assez étrange, par exemple si on imagine ceux qui entendent la péroraison au milieu des ruines de Jenin, ou bien qui l'entendent bien mal à cause du cliquetis des chenilles du char israélien qui patrouille pendant ce temps dans la rue à côté. Nous ne sommes pas là en train de ricaner un peu facilement mais bien en train de nous interroger : tous ces gens-là appartiennent-ils au même monde ?

Les réactions extérieures ont été à peu près unanimes. Même Blair qui, ces temps derniers, semble plutôt s'essouffler, qui constate aujourd'hui qu'il ne peut plus aller jusqu'à forcer son soutien à GW. L'incident est sérieux, même une rencontre entre les deux hommes n'a pas résolu le désaccord et l'on a même été jusqu'à exprimer celui-ci en public. Partout ailleurs, pays arabes, Europe, même en Israël, c'est la même réaction. On va de la rancoeur à la colère en passant par le sarcasme, l'ironie et ainsi de suite. On trouve aussi des prudents, qui parviennent à trouver du positif dans le discours (Moubarak, par exemple), mais le fait que Blair n'ait finalement pas adopté cette ''lecture'' (alors que, dans ses premiers commentaires, il semblait y sacrifier) est très significatif.

Y a-t-il quelque chose d'autre à dire ? Essayons, en nous arrêtant à trois réactions d'ores et déjà dûment publiées.

• Gideon Samet, de Haaretz, nous dit que GW ne pense qu'à ses élections à venir (novembre 2002, novembre 2004), qu'il veut être bien vu de l'électorat juif américain (celui qui a coûté sa réélection à son père). Bon. C'est une thèse, fort justement et précisément résumé par le titre (« A Step For Nowhere »), qui résume l'aspect nihiliste de ce comportement politique où seuls les moyens de se maintenir au pouvoir semblent intéresser ceux qui s'y trouvent déjà.

• Hugo Young, du Guardian. Pour lui, GW est impeccablement logique avec lui-même. Il ne pense qu'à la guerre contre le terrorisme et, dans ce cadre, son discours est logique. Young développe longuement cette thèse d'un GW, avec son administration, avec le Congrès, avec les Américains, percevant le monde selon une vision apocalyptique qui est peut-être plus proche de la réalité qu'on ne croit. Un océan de différence avec ce que croient les Européens, Tony Blair compris.

« Read through Bush's recent speeches and this becomes ever clearer. He and his intimates, especially Defence Secretary Rumsfeld, return to it again and again. Nearly 10 months on from 9/11, that's something most Europeans still do not understand. For Americans, in the political class and a long way beyond, the war against terrorism is directed at an enemy that looms as large as the Soviet Union once did, and has made itself felt much closer to home. Everything, including Israel/Palestine, is subordinate to that. Telling Yasser Arafat he must go, and laying his terroristic guilt ineradicably on the line, far exceeds in relevance the pettifogging democratic details about how his departure will happen and who might replace him.

» Europeans, by contrast, still live in the old world where change occurs, nominally at any rate, through more familiar modalities. Political process rather than licensed Israeli militarism continues, in this quarter, to be the way forward in the Middle East; and here Mr Blair, for all his bridge-building reassurance, has to be a European not an American. Europeans have not absorbed The Shield of Achilles, the key text by Philip Bobbitt, a security intellectual and former Clinton intelligence chief, which describes at prescient length the new dealing-room of international relations and the brutal terms of trade that America will dictate there as a matter of survival.

(...)

»Europeans, for their part, think Bush exaggerates. And even if he doesn't, they think his answers, whether in Israel or Iraq, are counter-productive. That may be so. But there's one thing he is not. He is not crazy but, by his own lights, quite rational. He and his people have their eye on a purpose. The danger they run is that they think they can achieve it, if necessary, alone. They're the most grudging of multilateralists, the stance that most distinguishes them from Clinton. But they take a harsher, more apocalyptic view than Europeans, including the British, of the possibilities ahead, and no one can say for sure they are mistaken. That view does not allow for equal treatment as between Israel and unreformed Palestine. In reality it does not give prime place to a Middle East peace process at all. Instead it says that the prime enemy is terror - and it doesn't much care whether anyone else agrees. »

• Une autre appréciation intéressante est celle de Jonathan Freedland, le 26 juin dans le Guardian. C'est celle d'un GW complètement hors de la réalité, faisant un discours sans rapport avec les questions qu'il prétend traiter, et provoquant les effets contraires à ceux qu'il devait (sans doute ?) vouloir atteindre. Ce texte est intéressant aussi, si on le met à côté de celui de Young, autre chroniqueur du même journal. Comment deux chroniqueurs travaillant côte à côté peuvent-ils avoir une perception si différente, — on ne parle d'une opinion différente mais bien d'une perception différente.

« That was a fantastic speech. [...] It bore so little relation to reality that diplomats around the world spent yesterday shaking their heads in disbelief, before sinking into gloom and despair. Our own Foreign Office tried gamely to spot the odd nugget of sense in the Bush text - but, they admitted, it was an uphill struggle. Israelis committed to a political resolution of the conflict were heartbroken. Even Shimon Peres, foreign minister in Ariel Sharon's coalition, reportedly called the speech ''a fatal mistake'', warning: ''A bloodbath can be expected.''

» The core of the president's message was that the Palestinians must embark on a sweeping process of internal reform before they can even think about getting back to the negotiating table. They must transform themselves into a democratic market economy, free of corruption and with a separate judiciary and legislature if they are to be considered eligible for statehood — which, when it comes, will be merely provisional.

» Shall we count the ways in which this is completely absurd? George Bush is demanding that Palestine become Sweden before it can become Palestine: it must be stable, prosperous and boast constitutional arrangements which still elude Britain — our judiciary and legislature are not separate — let alone the Arab world before it can become even a state-in-waiting. »

Une politique étrangère et des comportements qui ne semblent destinés à produire qu'un seul effet : une sorte de pérennisation de la dynamique du désordre

Le compte y est, finalement. Nous nous trouvons dans une situation où l'important n'est plus de juger une politique étrangère, fût-elle la plus dommageable, la plus irrationnelle, ou n'importe quoi d'autre d'ailleurs, la meilleure possible éventuellement. L'important est désormais d'apprécier la mesure du désordre qu'introduit dans les esprits ce qui fait office de politique étrangère américaine et, plus généralement, le comportement US quasiment en toutes choses. Littéralement, l'Amérique nous livre, avec ces interventions d'un président dont nul ne dira jamais assez l'étrangeté qu'il y a dans son indifférence pour la substance des choses, tous les désordres, les contradictions, les tensions d'une situation intérieure marquée par l'absence totale de la moindre transcendance, d'un bien public capable d'imposer une orientation collective, et, par conséquent, les crises qui s'exacerbent devant ces absences.

Il est vain de discuter, de gloser sur la puissance américaine, évidemment pour finir par tomber en admiration, devant elle ou plutôt à ses pieds. Cette puissance n'a aucune importance dans un monde tétanisé par les images de la puissance que l'Amérique fabrique ; en vérité, cette puissance ne vaut pas grand'chose par rapport à ses prétentions (voir le rapport d'efficacité du dollar du Pentagone par rapport aux performances des militaires, ou les performances de Wall Street, ou l'état du capitalisme américain), — mais cela n'importe en rien puisque nous ne nous préoccupons que de l'image de la puissance que secrète le système de l'américanisme.

Il nous faut plutôt discuter de cette façon dont les Américains, aujourd'hui, se trouvent totalement impuissants à assumer les responsabilités de cette soi-disant puissance et, au lieu d'imposer un ordre qui serait celui de l'Empire, de distiller un désordre qui est proche du chaos général du monde. A côté de cela, les volte-face bimensuelles de GW sur l'orientation de l'évolution de la situation au Moyen-Orient doivent laisser indifférents. Elles n'ont aucun effet sur rien dans cette région, sinon de laisser se poursuivre le désordre comme la dynamique des forces en présence y pousse.

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