La SSB, une structure clandestine globale

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La SSB, une structure clandestine globale


24 janvier 2005 — Le Washington Post du 23 janvier 2005 annonce et détaille l’existence (depuis deux ans) de la Strategic Support Branch (SSB) sous le contrôle de Donald Rumsfeld et du Pentagone. Cet organisme d’espionnage et d’intervention clandestine doit être perçu in fine comme un acte décisif d’affirmation de puissance du Pentagone; on compléterait cela en y voyant également, à la lumière des événements plus récents, un acte décisif de prise de pouvoir par rapport à la CIA et à la bureaucratie de la sécurité nationale. L’existence de la SSB confirme la description que fait Seymour Hersh du nouveau rôle de Rumsfeld et du DoD au sein de l’exécutif US; et la situation présentée par Hersh implique une extension décisive de la SSB au-delà des compétences habituelles du DoD.

De ce point de vue, la SSB s’insère dans un schéma dont le discours de GW est un autre facteur constitutif: GW annonce la nouvelle politique hégémoniste des USA qui s’exprime désormais sans la nécessité d’un “ennemi” pour la justifier (exit le terrorisme, qui n’est pas mentionné). La SSB en deviendrait l’outil principal. Une conséquence de cette nouvelle situation est qu’il ne faudra plus attendre aucune restriction dans l’action des Etats-Unis, puisque cette action ne serait plus justifiée par aucun acte extérieur (c’était encore le cas avec le terrorisme). Les alliés traditionnels des Etats-Unis comme les pays arabes du Moyen-Orient ou n’importe quel rogue state seront sur la liste si cela est jugé nécessaire, utile ou profitable à Washington. (A cet égard, l’interprétation du discours de GW qu’il faut retenir est celle de David North, de WSWS.org.)

La description que fait le Post de la SSB est assez classique, parce qu’arrangée selon l’éclairage de la lutte contre le terrorisme.


« Military and civilian participants said in interviews that the new unit has been operating in secret for two years — in Iraq, Afghanistan and other places they declined to name. According to an early planning memorandum to Rumsfeld from Gen. Richard B. Myers, chairman of the Joint Chiefs of Staff, the focus of the intelligence initiative is on “emerging target countries such as Somalia, Yemen, Indonesia, Philippines and Georgia.” Myers and his staff declined to be interviewed.

» The Strategic Support Branch was created to provide Rumsfeld with independent tools for the ''full spectrum of humint operations,'' according to an internal account of its origin and mission. Human intelligence operations, a term used in counterpoint to technical means such as satellite photography, range from interrogation of prisoners and scouting of targets in wartime to the peacetime recruitment of foreign spies. A recent Pentagon memo states that recruited agents may include “notorious figures” whose links to the U.S. government would be embarrassing if disclosed.

» Perhaps the most significant shift is the Defense Department's bid to conduct surreptitious missions, in friendly and unfriendly states, when conventional war is a distant or unlikely prospect — activities that have traditionally been the province of the CIA's Directorate of Operations. Senior Rumsfeld advisers said those missions are central to what they called the department's predominant role in combating terrorist threats. »


Il est impératif de dégager cette description du “terrorisme” ou de tout autre sollicitation/justification externe. Si la SSB existe depuis deux ans, il faut l’apprécier dans toute sa transformation, à la lumière de l’article de Hersh autant que du discours de GW. Cet exercice d’interprétation s’impose parce que la CIA est éliminée de la scène. On voit alors s’imposer le schéma d’un “bras armé” de la politique hégémonique américaniste, confié au plus fidèle et au plus efficace, — selon GW, — au sein du gouvernement américain, — Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense.

Cette transformation de la SSB ressemblerait alors à la décision de juin 1948 de créer l’Office of Policy Coordination au sein de la CIA. L’OPC coordonnait toutes les actions clandestines et subversives US, et contrôlait l’activité du DoD, du State department, du Joint Chiefs of Staff dans ce domaine. L’OPC, sous la direction de Robert Wisner, s’était très rapidement développé: un effectif de 302 à 2.812 personnes du début 1949 au début 1952, sans compter 3.142 “contractuels” non-US (agents recrutés); le nombre de stations hors-USA passa de 7 à 47; le budget passa de $4.7 millions début 1949 à $200 millions début 1953. On peut estimer que la SSB a pris la même orientation, tant au niveau budgétaire que du personnel. Actuellement, son budget devrait très largement approcher les $5 milliards et figurer sans doute dans les black programs.

(Les black programs sont les programmes secrets, dotés d’une enveloppe budgétaire non détaillée par le Congrès. Ils portent en général sur des programmes technologiques d’armement mais il faut désormais envisager qu’ils portent également sur des programmes bureaucratiques, d’unités secrètes, d’intervention, de corruption, etc. A la fin de la Guerre froide, les black programs dépassaient les $30 milliards annuels. Depuis trois ans, l’enveloppe a sans doute gonflé et on peut avancer une hypothèse de $40-$50 milliards. La comptabilité des black programs est complètement opaque. La question à propos de la SSB est de savoir si elle épouse complètement le statut des black, c’est-à-dire si elle est connue dans le détail de 1% des parlementaires, notamment les présidents des commissions de sécurité nationale, ou bien si elle échappe complètement au Congrès.)

Cette approche OPC-SSB est impressionnante. Maintenant, il y a les différences fondamentales par rapport à 1948, qui doivent nuancer la perception de la puissance potentielle de la SSB transformée.

• La SSB dépend de l’appareil militaire US, qui est dans un état d’épuisement accentué avec l’Irak. Cette situation conduit d’ailleurs à la remarque que deux ans d’activité de la SSB ne paraissent pas très convaincants quant à son efficacité.

• La SSB opère dans un environnement complètement différent de celui que connut l’OPC à partir de 1949. A cette époque, le combat anti-communiste ralliait un nombre important de pays et de personnalités, notamment en Europe. S’il l’était peu ou prou et s’il l’était évidemment sur le fond, l’OPC n’était pas vraiment perçu comme un instrument de l’hégémonisme américaniste. Les conditions actuelles sont radicalement différentes, avec l’anti-américanisme à un niveau jamais connu, la SSB désormais identifiée ainsi que les intentions subversives affichées de Washington à l’encontre de n’importe qui.

• La bureaucratie US est monstrueuse, l’inefficacité de gestion du DoD désormais légendaire. On voit mal comment la SSB échapperait à la guerre bureaucratique de Washington et à l’inefficacité du Pentagone. Cela doit peser sur le fonctionnement de la SSB, sur son efficacité, et plus encore si ses dimensions s’accroissent

• La publicité, signe de l’époque. L’existence de la SSB est aujourd’hui débattue publiquement, même si son budget n’est pas officiel. L’OPC fut créée en 1948 quasi-clandestinement, par une décision du NSC. Grande différence, qui mesure l’impunité de l’un, mère de son efficacité, contre l’exposition de l’autre au phare de la critique et de la contestation anti-américaniste, aux capacités d’enquête nourries par les batailles bureaucratiques de journalistes comme Seymour Hersh, voire aux curiosités de parlementaires comme John McCain.

• On trouve au cœur de toute cette agitation un homme comme le général Boykin, qui supervise la SSB, sorte de saltimbanque illuminé de l’extrémisme évangéliste. C’est là une bien curieuse faiblesse de l’équipe dirigeante US, et un signe convaincant de sa décadence. Elle est rongée jusqu’à la moelle par des croyances extrémistes qui frisent la magie noire, et la qualité du personnel est à mesure, et d’ailleurs reflet de GW lui-même. C’est une différence décisive d’avec 1948-49. Il s’agissait alors de la CIA, issue de l’OSS, avec un personnel de grande qualité, souvent des milieux universitaires et libéraux de la côte Est, avec un caractère élitiste indéniable. Avant on séduisait et on convainquait (ce fut souvent le cas avec la CIA à cette époque, surtout en Europe, comme l’a montré Frances Stonor Saunders avec “Who Paid the Piper ?” et comme on l’écrit encore aujourd’hui); aujourd’hui, on achète, assez grossièrement et, en général, des agents de mauvaise qualité. Le pathos intégriste des Boykin et la brutalité des mercenaires des forces spéciales exposent au grand jour la décadence de l’entreprise et, par conséquent, ses limites.


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