La guerre, une vocation par défaut

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La guerre, une vocation par défaut

Depuis les attentats du 5 janvier et plus encore après ceux du 13 novembre, le site internet dédié  au recrutement pour l’armée enregistre un nombre trois fois plus important de demandes d’engagement. Cet engouement de la jeunesse française pour la vocation militaire est symptomatique des effets mobilisateurs de la ‘déclaration de guerre’ énoncée par le chef de l’exécutif. Il marque également le manque de débouchés pour nombre de demandeurs d’emploi, une opportunité nouvelle vient de s’offrir à eux, car 170 000 intégrations pourraient être enregistrées pour 2015. Ces candidats peu ou pas qualifiés, en plein désarroi, tentent de construire un sens à leur existence en portant l’uniforme, dans une vie réglée par la discipline militaire.

Ce dispositif de Service militaire volontaire s’apparente davantage à un CDD avec formation au sein d’une caserne. Il peut cependant aboutir à une carrière sous les drapeaux. Il laisse présager d’une petite inflexion dans le programme de démantèlement de l’armée entrepris sous le mandat présidentiel précédent, l’une des dernières activités régaliennes non encore concurrencées par le secteur privé.

Au mieux, ils iront défendre les intérêts de transnationales dont le siège est hébergé en Françafrique. Ils interviendront dans des contrées en voie de paupérisation accélérée malgré (grâce à) une croissance à deux chiffres avec les mêmes potentats qui sévissent à leur tête depuis plusieurs décennies car soutenus par une diplomatie musclée de l’ancien colonisateur. Les pays des Grands Lacs n’oublient pas le rôle du gouvernement Mitterrand dans le génocide du Rwanda en 1994 alors que le Burundi est actuellement en situation pré-génocidaire vingt ans après.

Après chaque opération, des scandales de viols d’enfants perpétrés par la soldatesque sont étouffés.

Au pire, ils seront commis à surveiller avec ostentation certains lieux de culte et feront des rondes dans les gares de la capitale.

Dans les deux cas, de désemparés, ils risquent de verser dans un cynisme désespéré.

La guerre sans vocation

Aux Us(a), près de 22 anciens soldats se suicident par jour.

L’étude épidémiologique qui conclut à plus de huit mille morts par an a certes été contestée, mollement.

Entre 2005 et 2011, le taux des adultes qui se donnent la mort est significativement plus élevé parmi les anciennes recrues par rapport à une cohorte comparable dans la population civile et ce pourcentage a connu un accroissement entre les années étudiées.

Le PTSD, syndrome post-traumatique n’est pas en cause car plus de la moitié des soldats  n’ont même pas été déployés et 85% n’ont jamais livré de combat.

Simultanément, la prescription de psychotropes par les psychiatres de l’armée, et donc leur usage au sein de l’institution militaire, a connu un bond spectaculaire depuis 2003.

Le Pentagone consacre un budget considérable, 2 milliards de dollars, à la santé mentale, tandis que le département en charge des anciens combattants a vu la part versée aux maladies psychiatriques passer de moins de 3 milliards en 2007 à plus de 7 en 2014.

L’emploi sûrement abusif de psychotropes s’il entraîne une pharmacodépendance – et génère un chiffre d’affaires considérable pour les laboratoires concernés – n’est sans doute pas responsable de cette épidémie d’autolyse. L’un des facteurs de surexpression est peut-être lié au mode de recrutement dans l’armée US. On se souvient des difficultés de l’armée de terre qui a souffert d’un nombre insuffisant de ses effectifs, toujours en déficit de 25% de fantassins. Des campagnes de séduction dans les collèges ne convainquaient pas les étudiants. Les critères de recrutement sont devenus moins exigeants si bien qu’ont été intégrés  d’anciens détenus de droit commun, d’anciens toxicomanes alors qu’un passé psychiatrique n’était plus rédhibitoire

Il a fallu des séances de conditionnement psychique avec déshumanisation de l’ennemi pour que soient induits puis tolérés les comportements de torture et d’humiliation observés sur les prisonniers de guerre à Abu Ghreib.

Le même problème d’addiction à des substances modifiant la conscience se retrouve chez les opérateurs qui manient les drones dans le Texas à plusieurs milliers de km de leurs cibles.  Leur imprégnation majore les erreurs de frappe liées à la nature imprécise de leurs tirs. D’assassiner froidement sous l’empire de la cocaïne et de l’alcool des civils qu’on les force à considérer comme ennemis ou animaux  les plonge dans des syndromes dépressifs majeurs.

Les GI’s  héroïnomanes qui revenaient du Vietnam avaient vécu l’enfer dans la jungle.

Dans les guerres étasuniennes actuelles menées dans l’Orient arabe, en Afghanistan et au Pakistan, les soldats sont éprouvés, toxicomanes et suicidaires, sans même avoir quitté le territoire.

La guerre, un aspect de sa machinerie

Le rôle de la CIA dans la production et la distribution des drogues psychoactives est bien décrit. Il est une partie intrinsèque de la machine de guerre étasunienne.

Moins documentée est l’ingénierie sociale du contrôle des ghettos urbains étasuniens par la libéralisation de ces substances parmi les populations marginalisées.

Le mouvement revendicatif des Noirs dans les années soixante en a été miné.

Un phénomène similaire d’introduction de drogues illicites s’est produit dans les banlieues françaises dans les années quatre-vingt et a affecté sa jeunesse. Une partie a été décimée, une autre a institué une libre entreprise de la délinquance organisée, petite et grande, et encombré les prisons. Les premiers consommateurs festifs étaient issus des classes aisées et c’est encore dans les beaux quartiers qu’il se consomme le plus de stupéfiants.

Si des études statistiques étaient menées dans quelques années, nous saurons peut-être si le taux de décès par suicide au sein de l’armée française parmi les prochaines recrues atteindra ou surpassera celui enregistré au sein de la police (38/100 000 versus 18/100 000 dans la population générale). Leur devenir psychique sera-t-il aussi celui des soldats étasuniens ?

Ainsi, une petite fraction de jeunes sans perspective sera enrôlée pour combattre et défendre le pays contre une autre infime partie, aussi mal lotie qu’elle. Pour toutes deux, leur destin peut s’achever par un suicide au cours d’un attentat.

La guerre, son centre, sa périphérie et sa nécessité impérieuse

Le système capitaliste post-moderne est désormais économe en vie humaine en son Centre, s’agissant des guerres qu’il est contraint de livrer en périphérie

En données cumulées depuis la Guerre froide, les chiffres des morts européennes sont très éloignés de ceux atteints lors des deux guerres mondialisées. Les morts périphériques ne sont pas pleurées, le demi-million d’enfants décédés lors du génocide irakien lié à l’embargo n’a pas mérité de minute de silence solennelle.

Le Centre, lui-même tiers-mondialisé depuis l’exubérance financière de son activité prédatrice, doit compter avec ses déprimés, ses anxieux et ses maniaques  délictueux ou criminels.

Les djihadistes de l’ouest européen qui gagnent la Syrie espèrent échapper à la dépression ambiante et connaître l’exaltation.

Des tonnes de pilules de Captagon les y attendent.

Ils sont allés rejoindre une armée faite elle aussi d’anciens détenus de droit commun en particulier séoudiens libérés pour l’occasion et de mercenaires engagés dans des mosquées tunisiennes surtout mais aussi égyptiennes et en Europe. La persuasion est obtenue aussi par la promesse de bonnes primes sous les harangues d’imams dépêchés depuis le Qatar et la Séoudie.

La récente mise à jour du document National Military Strategy publiée par le Pentagone en juin 2015 mentionne les  VEO (Violent Extremist Organization) comme son ennemi principal.

Le Pentagone se déclare plutôt à l’abri d’une guerre de type conventionnelle et insiste sur la densification de ses liens avec ses alliés, les premiers nommés, prioritaires étant en Asie du Sud Est, Australie, Japon, Corée du Sud, Philippines et Thaïlande, ceux qui enserrent la Chine.

Avec une sincérité désarmante, Martin Dempsey introduit le texte avec deux remarques d’importance. Les conflits (envisagés, actuels et à venir) seront de longue durée. L’hégémonie militaire étasunienne est en phase d’érosion.

C’est bien pourquoi elle utilise ses supplétifs pour créer et entretenir des foyers de basse intensité. La doctrine néoconsioniste du chaos destructeur et de la guerre perpétuelle préventive continue d’être appliquée.

Comme durant toute crise cyclique majeure du capitalisme, encore une fois, seule la destruction des biens et des personnes s’offre comme solution pour la sortie d’une surproduction et d’un contexte déflationniste. Depuis le 19ème siècle, les entre deux-guerres ne sont que de brèves accalmies.

Et s’il faut un ennemi, on le crée.

Depuis trente ans, c’est l’Islam(isme), pour le pétrole sous-jacent et parce qu’il est un puissant attracteur identitaire pour plus d’un milliard d’humains. Il faut le dissoudre comme le reste et à tout prix le stériliser de ses effets émancipateurs.

Badia Benjelloun

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