La France et le seuil de la violence

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La France et le seuil de la violence

La situation française actuelle est très incertaine et singulièrement inquiétante, un an après l’élection de Macron. Le nouveau président français a entamé son “œuvre de réforme”, dont le véritable but est de mettre la France aux standards de la globalisation et de l’ultra-libéralisme en déstructurant son appareil social et sa psychologie collective et historique. On doit reconnaître à Macron la vertu de la clarté : son attaque ne dissimule rien de ses intentions, et elle se fait avec une violence extrême ; il a d’ores et déjà acquis le titre de “président des riches”, voire de “président des très-riches”(selon Hollande qui, par ce mot, a montré une utilité qu’il nous avait cachée durant son quinquennat).

Tactiquement, cette sorte d’action, et notamment la violence de la pression et la rapidité qui la caractérise, a un sens : Macron veut profiter du choc qu’a constitué son élection et de l’absence de forces politiques puissantes à la suite de cette victoire et de l’effet dit “de dégagisme” des électeurs français balayant les vieilles structures politiques. Il en résulte qu’il n’y a pas d’opposition politique organisée contre l’attaque de Macron et des réactions sociales qui ont mis du temps à s’organiser et sont loin de présenter un ensemble structuré et puissant, de la sorte dont on pourrait dire qu’elle constituerait un obstacle considérable pour l’action de cette direction politique si complètement acquise à la mise en place des conditions voulues par le Système. 

Pour autant, le climat montre une tension et une lourdeur remarquables qui créent une atmosphère étrange, installant un malaise puissant malgré l’absence d’évènements justifiant vraiment ce malaise, comme on l’a compris dans les lignes qui précèdent. Il est possible d’ailleurs qu’en cette matière, la psychologie précède la politique, la prépare en un sens, et que ce malaise soit une sorte d’anticipation d’événement à venir possibles alors qu’elle est d’habitude la conséquence de l’arrivée de ces évènements.

D’autre part, dans les jours qui viennent de s’écouler certains signes, peut-être certains évènements ont-ils justement apporté un début d’éclaircissement à ce malaise qui semble (semblait) sans cause précise. On peut penser que c’est la thèse de Jacques Sapir dans son texte d’aujourd’hui 8 mai 2018, où il observe la possibilité d’un “renversement du rapport des forces” en même temps qu’il met l’accent sur la violence de l’action du capitalisme que Macron est en train d’installer, – cette violence, elle, jouant évidemment sa part dans le malaise que nous signalons comme étant ressentie d’une façon indistincte mais de plus en plus marquée. Sapir plaide pour la thèse qu’il a mise en avant depuis plusieurs années, qu’il développait déjà au moment de la liquidation de la Grèce par l’UE en 2015, qui est un rassemblement inédit des forces populistes en un mouvement politique puissant qui efface la répartition pseudo-antagoniste droite-gauche dont le Système se sert depuis si longtemps pour faire triompher ses agressions et ses structures. Un homme a une responsabilité politique sinon historique particulière dans cette occurrence, et c’est bien entendu Mélenchon s’il parvient à surmonter ses réflexes idéologiques quasiment pavloviens ; une référence a un sel tout aussi particulier dans l’argumentaire de Sapir, qui est le fameux discours dit “de la main tendue” du dirigeant du PCF Maurice Thorez d’avril 1936.

Le texte de Jacques Sapir, sous la rubrique RussEurope en exildans le site LesCrises.fr est donc du 8 mai 2018. Le titre original est « Mouvement social, État fort et renversement du rapport des forces » 

dde.org

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Mouvement social, État fort et rapport des forces

Deux événements, également importants mais qui se situent dans des registres différents, viennent de se produire en cette fin de semaine. Le premier est, et les réactions de la presse ne s’y trompent pas, le résultat du « référendum » d’entreprise lancé à Air France. Avec un taux de participation extrêmement élevé (80%) des 46000 employés de la compagnie, le rejet du plan de la direction à 55% vaut validation de fait de la grève des pilotes. Cela montre que, dans une entreprise où la direction fait régner un climat particulièrement délétère – et ce n’est pas pour rien si les grévistes mettent en cause la DRH – un bloc majoritaire s’est retrouvé pour rejeter ces propositions. Le second est le succès de la Fête à Macron organisée à l’initiative de François Ruffin par la France Insoumise qui a eu lieu samedi 5 mai, de l’Opéra à la Bastille. Les « comptages » sont évidemment sujets à caution. Et ceux d’une officine pro-gouvernementale nommée Occurrence encore plus. Mais, la place de la Bastille étant noir de monde, et les boulevards y arrivant étant aussi remplis, il est évident qu’il y avait bien plus que les 39 800 personnes que des « journalistes », et ce mot est à mettre évidemment en guillemets, si ce n’est à prendre avec des pincettes, prétendent avoir comptés. Il est évident que cette « fête » est un succès politique notoire.

La question qui est maintenant posée et de savoir si la combinaison de ces deux succès sera suffisante pour inverser le rapport des forces, dans une situation qui est de plus en plus tendue du fait de la politique du gouvernement.

Peut-on parler de bascule du rapport des forces?

Ces deux événements surviennent alors que se poursuit la grève à la SNCF et globalement un mouvement social important mais qui reste fragmenté. Emmanuel Macron voit sa popularité baisser selon un sondage BVA. Pour discutable que soit ce sondage, il fournit cependant des informations importantes. Sa popularité chute, mais cette chute est moins forte dans les agglomérations de taille moyenne (de 20 000 à 100 000 habitants) avec –13% que dans les zones rurales et les communes de moins de 20 000 habitants (–20%) et dans les grandes villes dont l’agglomération parisienne où il perd 29%. S’il maintient sa côte de popularité chez les cadres, celle-ci s’effondre chez les ouvriers et employés mais aussi chez les retraités, qui formaient le gros des bataillons qui l’avaient élu le 7 mai 2017.

Emmanuel Macron a été élu si ce n’est sur un quiproquo du moins sur une ambiguïté. Du reste, près de deux Français sur trois ne veulent pas qu’il se représente en 2022, ce qui dit aussi l’ampleur du rejet qui le frappe. Il pouvait néanmoins se targuer de succès comme avec le passage des ordonnances réformant le Code du Travail. Le mouvement social, exprimant les intérêts d’une société française que la Président ne cesse de brutaliser depuis un an, peinait à engranger des succès. Les grèves se développent néanmoins, et pas seulement comme le prétendent certains journalistes à gages dans les services publics. Il y a des grèves notables dans la restauration, la grande distribution, et le secteur des services. Mais ces grèves restaient trop souvent isolées. Elles manquaient de succès leur permettant de se rendre visibles dans l’espace médiatique.

Avec le rejet du « référendum » à Air France ces grèves ont marqué un point symboliquement important. Il faudra voir si cela se traduit par un sursaut de la grève à la SNCF, après l’échec de la réunion avec le Premier-ministre, lors des nouvelles vagues de la semaine qui vient. Mais, les réactions des biens pensants sont déjà, à cet égard, très symptomatiques. Les discours fleurissent sur le « suicide » que représenterait ce vote, ce qui est une manière d’admettre que la fonction des « référendums » d’entreprises, une procédure pourtant vantée par l’actuel gouvernement, est en réalité de plébisciter des propositions patronales. Nous voici donc revenu à la pratique politique du Second Empire, le développement industriel et la souveraineté en moins !

Un autre point a été marqué avec le succès de la « fête » organisée par la France Insoumise. La question n’est plus de savoir s’il y avait 60 000, 80 000 personnes ou plus de 100 000 ce samedi 5 mai après-midi. Le succès est indéniable. Il contribue lui aussi à modifier le contexte politique, ce que ne comprennent pas les auteurs de littérature de gare – et l’on met dans cette catégorie, voire dans ce même sac, Marlène Schiappa, la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes – qui ergotent sur le « à » à la place du « de ». Ces gens là sont, on le devine, bien plus à l’aise dans les bars d’hôtel de luxe ou dans les cafés friqués et snobinards qu’avec le populo à la Fête à Neuneu…En tous les cas, et Jean-Luc Mélenchon l’a bien senti, le lien avec le vote à Air France était évident.

La violence, stratégie du pouvoir ?

Cette « bascule » dans le rapport des forces, qui est peut-être en train de se produire, est d’une immense importance. Le gouvernement – et notre Président – ne s’y sont pas trompés. En témoignent les commentaires faits, depuis le Pacifique où il était en voyage, par Emmanuel Macron.

Ils attendaient sans doute ce point de retournement depuis plusieurs semaines, et ils le préparaient par un recours sans cesse plus évident à des méthodes d’une grande violence. L’instrumentalisation de ceux que l’on appelait dans l’après-1968 les « casseurs », cette mouvance qui s’appelait « autonome » dans les années 1970 et qui aujourd’hui se nomme les Blacks Blocs, n’est pas une chose nouvelle. C’est même une très vieille méthode pour chercher à décrédibiliser un mouvement social. On les a vu à l’œuvre lors de la manifestation du 1er mai. Cela impliquait une réaction. Hélas, les réactions immédiates de Jean-Luc Mélenchon, mettant en cause l’extrême-droite, ont été pathétiques. C’est une réaction qui fait, au mieux, plus appel au réflexe qu’à l’intelligence …Il a, par la suite, corrigé le tir dans le Huffington Post. Cependant, au-delà de ces manipulations, car le gouvernement et le Président ont de la politique une conception profondément manipulatoires, il y a bien ce retour de la violence comme force dominante dans la vie politique. Mais, il convient de bien l’identifier, et de ne pas confondre les méthodes qui relèvent de la tactique avec ce qui, en réalité, relève d’une véritable stratégie. Cette violence, ce n’est pas tant l’emploi disproportionné de la force à Notre-Dame des Landes, ou contre les occupations d’universités ; ce ne sont pas, non plus, les déprédations des centaines de casseurs lors de la manifestation du 1ermai ; non, cette violence, elle est bien plus diffuse, et elle se manifeste que ce soit dans les discours de criminalisation de toute opposition ou dans la volonté de contrôler toujours un peu plus l’expression de la presse indépendante (et on pense à la trop fameuse loi dite « anti fake-news » que prépare le gouvernement), ou encore dans les pratiques politiques visant – sous prétexte d’économies – à organiser un charcutage électoral massif lors de la réduction du nombre de députés et de sénateurs.

Ce retour de la violence, c’est aussi tout ce qui s’exprime derrière cette arrogance inouïe d’un gouvernement des riches, par les riches et pour les riches. Ce sont les licenciements massifs, permis par la réforme du Code du Travail. C’est aussi la suppression de « l’exit tax », un impôt instauré par Nicolas Sarkozy, qui de fait passe pour un dangereux révolutionnaire, pour pénaliser les investissements purement spéculatifs et la fraude fiscale. Cette mesure prend alors – après de nombreuses autres mesures fiscales tout aussi injustes – une dimension emblématique.

Le blocage de l’Etat Fort

Si l’on n’est pas affirmatif quant à l’existence de ce point de bascule, ce n’est pas tant du fait de la stratégie de violence du gouvernement. Cela tient à la structure institutionnelle du pouvoir en France, ce que l’on appelle « l’État Fort ». Ce dernier se caractérise par des mécanismes majoritaires permettant à des groupes minoritaires d’exercer le pouvoir – ce qui en soit n’est pas scandaleux car un pouvoir soumis à toutes les alliances comme dans un système proportionnel intégral se révèle aussi injuste – combinés avec une structure du pouvoir qui l’isole autant que faire se peut de la société et lui permet de prendre des décisions par des dispositifs particuliers, comme les ordonnances. L’État Fort découle en réalité de la combinaison d’une règle électorale majoritaire ET de mécanismes concentrant alors le pouvoir dans le gouvernement issu de ce l’application de ces règles et lui permettant de s’affranchir, s’il le souhaite, de toute opposition. A la différence de ce qui peut se passer par exemple en Italie, une force minoritaire dans l’opinion, comme l’est LREM, peut exercer un pouvoir sans partage ni limites. Cet État Fort avait pour but d’isoler le pouvoir de la contestation sociale afin de donner au bloc dirigeant les mains libres pour prendre des mesures antisociales. Bien entendu, cet État Fort peut basculer si une force politique est capable d’acquérir la majorité absolue. Mais, cet État Fort se conjugue alors à des mécanismes de contrôle sur les principaux médias, mais aussi sur la justice, qui assurent au pouvoir en place sa domination de longue durée.

Le mouvement social, dès lors, ne peut se contenter d’une simple convergence objective des luttes. Il faut que cette convergence trouve aussi son expression politique et puisse paralyser le pays, confrontant alors le gouvernement au choix d’utiliser des mesures extrêmes, qu’il serait en mal de justifier, ou d’écouter la contestation sociale. Pour l’instant, il confronte le mouvement social à un choix qui, lui, est insoluble : reconnaître sa défaite ou se lancer dans une surenchère sociale qui lasserait l’opinion et l’isolerait toujours plus. C’est là l’un des principaux problèmes auxquels se heurte le mouvement social, et c’est là qu’intervient le choix stratégique du gouvernement d’instrumentaliser la violence.

A travers cette instrumentalisation, il cherche à rendre impossible la traduction politique de la contestation sociale, sachant que le cadre institutionnel dans lequel il opère lui garantit de pouvoir résister à cette contestation. C’est pourquoi le choix de la violence, et plus précisément de l’instrumentalisation de cette dernière n’est nullement anodin, ni même critiquable seulement à partir de critères moraux. Il s’agit en réalité d’un choix réfléchi et pensé, qui découle de la structure institutionnelle. En créant délibérément une situation qui peut mettre le mouvement politique susceptible de porter la traduction du mouvement social en porte-à-faux, il sait qu’il joue gagnant. Les intellectuels qui se gargarisent de la « convergence des luttes » et qui ne voient pas ce problème s’illusionnent et s’aveuglent. Le mouvement social ne vaincra pas par une addition des luttes, mais par la constitution de cette addition en une alternative politique susceptible de désarticuler politiquement et idéologiquement le bloc au pouvoir. On passerait alors de la crise sociale, qui dans l’État Fort n’est pas mortelle pour les dirigeants, à la crise de régime qui entraînerait la paralysie rapide des principales institutions et qui libèrerait policiers et soldats de leur indispensable loyauté non pas au pays mais à ses dirigeants. Cette crise de régime, parce qu’elle remettrait brutalement en cause la légitimité à exercer le pouvoir de ceux qui nous gouvernent inverserait les termes du choix. Dès lors, c’est lui qui apparaîtrait comme la cause des désordres, tant sociaux que politiques, et il ne pourrait mobiliser les forces de la loi car il serait devenu largement illégitime. En fait, et on le voit bien, tout tourne ici autour de la question de la légitimité du pouvoir.

La force du populisme

Mais, la constitution d’une alternative politique ne peut se faire que dans un cadre large, visant délibérément à conquérir la majorité et donc sortant du cadre traditionnel de l’affrontement gauche/droite, et non dans un cadre fermé sur lui-même. C’est là que la stratégie politique populiste s’impose et c’est ce qui la justifie. Le populisme, c’est la capacité à construire une solution politique qui unisse les Français et qui, par contrecoup, présente ses adversaires comme des « non-Français » ou des agents de l’étranger. Un exemple nous en est fourni, très paradoxalement mais anticipant ce que fut dans les faits la Résistance, par le discours du 17 avril 1936 de Maurice Thorez, alors secrétaire du PCF. Ce discours est passé à la postérité à cause de la « main tendue » aux catholiques. Mais cette vision est réductrice. La main tendue va bien plus loin, que l’on en juge : « Nous te tendons la main, volontaire national, ancien combattant devenu croix de feu parce que tu es un fils de notre peuple que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux comme nous éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe. » Ce discours, par ailleurs, ne se limite pas à cela. Il fait appel à une vision politique (et littéraire) de l’identité française. Au début de son discours, Maurice Thorez, pour stigmatiser les « 200 familles » qui contrôlaient la Banque de France fait cette référence à Anatole France : « Dans un de ses chefs-d’œuvre ‘L’île des Pingouins’ Anatole France observe ironiquement : “Après s’être soustraite à l’autorité des rois et des empereurs, après avoir proclamé trois fois sa liberté, la France s’est soumise à des compagnies financières qui disposent des richesses du pays et, par lemoyen d’une presse achetée, dirigent l’opinion.” Puis, il ajoute : « La France depuis 130 ans a connu trois révolutions, elle a changé cinq fois de régime politique. A travers ces vicissitudes diverses, ces naufragés et ces bouleversements, seuls les maîtres du pouvoir financier sont demeurés immuables, incarnant la domination constante du capital. » L’idée de la continuité du corps politique représenté par la peuple est ici évidente.

C’est donc dans cette stratégie qu’il faut à tout prix s’inscrire et non dans on ne sait quelle stratégie d’union des gauches. Jean-Luc Mélenchon s’est exprimé sur ce point dans l’interview qu’il a donné à la revue Le Vent se lève il y a de cela seulement quelques jours. Il doit impérativement prendre des initiatives qui concrétiseront cette stratégie et – pourquoi pas – prononcer à son tour, au parlement ou dans la rue, un discours qui fasse écho à celui de Maurice Thorez par sa capacité de rassembler politiquement contre un adversaire commun.

La question de la violence

Il n’en restera pas moins que la question de la violence se pose. Et cette question n’est pas à traiter à la légère.

La violence appelle la violence. Bien entendu, nos marquises et nos marquis poudrés et enrubannés ont des vapeurs et défaillent à la vue d’une banderole au texte un peu brutal, ou d’un pantin symboliquement pendu. Leurs glapissements couvrent les pages et les ondes de la presse aux ordres. Mais, d’autres violences se préparent. L’un des enjeux pour la France Insoumise, et un enjeu majeur, décisif tant pour l’avenir du mouvement que pour celui de la France Insoumise, sera de les contrôler, de les maîtriser, de faire en sorte que jamais on ne cède à la dangereuse illusion de croire que la violence puisse être une réponse politique globale, que jamais on ne tombe dans le piège d’une fascination pour la violence, ce piège dans lequel se complaisent justement les Blacks Blocs, ces petits (ou grands) bourgeois qui se donnent le frisson de l’illégalité sans se rendre compte que leurs actes servent ceux qu’ils prétendent combattre..

Il est clair, aujourd’hui, que les manifestations devront à l’avenir être protégées, à la fois contre les « casseurs », les divers provocateurs et les nervis à gages, mais aussi contre des forces de police que le gouvernement et le Président instrumentalisent tout autant que les soi-disant « Blacks Blocs ». De ce point de vue, il doit être clair que l’ennemi est au Ministère de l’Intérieur, voire plus haut. Ce n’est pas le fonctionnaire de police, un fonctionnaire qui – comme beaucoup  – ressent ce que lui coûte cette instrumentalisation, ressent ce que lui coûtent les politiques que sa loyauté envers un pouvoir légitime lui imposent de défendre. De ce point de vue, l’objectif n’est pas, ainsi que le disent les décérébrés qui taguent les murs des université de « casser du flic », mais d’obtenir leur ralliement, tout comme se rallièrent au mouvement des viticulteurs (1) les fameux soldats du 17èmede Ligne. (2) Pour cela, il faudra combattre toute une culture infantile et gauchiste qui reste très présente, hélas, dans le mouvement social.

Il est aussi clair qu’il faudra s’unir pour affirmer la défense de la liberté d’opinion et la liberté de presse et ce sans aucune exclusive, cette fois contre les menées liberticide du gouvernement et contre d’autres nervis à gages qui sévissent parfois dans des salles de rédaction et qui rédigent leurs textes avec l’équivalent intellectuel des pieds-de-biche et des barres de fer. Sur cette question, aussi, mettre des exclusives, ne pas chercher à faire l’unité la plus large serait une erreur tragique. Enfin, il faudra aussi s’unir pour défendre notre pays que ce gouvernement et ce Président vendent à l’encan.

Mais, la violence dont le mouvement social devra faire preuve se doit d’être avant tout défensive.

L’enjeu de la stratégie

L’articulation d’une expression publique pacifique et d’une violence politique défensive est incontestablement un défi, il faut en avoir pleinement conscience, pour tout mouvement politique. Donne-t-il la priorité à la première et il se met dans une position d’extrême vulnérabilité face à ses adversaires. Non seulement il accepte de voir son expression limitée dans les faits, mais – laissant ses sympathisants et ses militants sans défense contre les menées violentes de l’ennemi – il désarme politiquement ses propres forces et conduit au découragement. Met-il trop l’accent sur la seconde, et il prend le risque de se voir dénoncé pour menées factieuses par ses adversaires, leur offrant aussi de nouvelles possibilités d’engager de nouvelles violences, cette fois ci judiciaires, à son encontre.

L’intégration d’une violence défensive et sa maîtrise rigoureuse à un projet politique implique une stratégie globale qui ne soit pas moins rigoureuse. Le plus grand risque que puisse courir le mouvement social, en ce moment précis, provient de que justement il se cherche une stratégie. La France Insoumisehésite entre une stratégie classique d’union de la gauche, qui est défendue par certains soit par calcul électoral mesquin soit par véritable conviction, et une stratégie véritablement populiste. On a vu, plus haut, que Jean-Luc Mélenchon penchait pour cette dernière. C’est un point important mais un point nullement suffisant.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur ce sujetLa stratégie d’union de la gauche correspondait à un contexte précis. Elle est aujourd’hui irrémédiablement dépassée et elle enferme la FI dans une impasse. Plus vite le choix pour une véritable stratégie populiste sera pris, plus vite le mouvement social pourra se doter d’une véritable doctrine de violence défensive, et en tirer une définition tant des ennemis réels (et non imaginaires) que des tactiques permettant de gérer le niveau de violence.

Jacques Sapir

 

Notes

(1) Qui, suivant Jaurès, « préparaient dans les cuves de la République le vin de la révolution sociale » [Dins la tina de la Republica, preparatz lo vin de la Revolucion sociala].!http://gardaremlaterra.free.fr/article.php3?id_article=61

(2) Ralliement immortalisé par la chanson « Gloire au 17ème », https://www.youtube.com/watch?v=jh0blLPg3z0 Mémoire de la chanson, 1100 chansons du Moyen Âge à 1919 réunies par Martin Pénet, éditions Omnibus, 1998 – Imprimé par Normandie Roto Impression s.A. 61250 Lonrai, France – n° d’impression 982703. p. 1049.