La filière du Complexe

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La filière du Complexe Militato-Industriel

Pour illustrer les récentes nouvelles concernant le sort du député Randy Cunningham et les menaces pesant contre ses amis Duncan Hunter et Jerry Lewis, — et, notamment, la nouvelle parue ce jour dans notre Bloc Notes, — nous vous présentons un extrait de la rubrique Journal de nos éditions du 10 janvier 2006 de La Lettre d'Analyse de defensa (Volume 21, n°08).

 

La filière du Complexe

Au début décembre 2005, un drame s'est joué à San Diego. Convaincu de corruption à hauteur de $2,4 millions, le député Randy Duke Cunningham a démissionné et a été inculpé. Cet ancien as de la guerre du Viet-nâm (cinq victoires aériennes en 1972 dans son Phantom de l'U.S. Navy) avait le défaut d'afficher un peu trop sa bonne fortune: yacht personnel, somptueuse villa, Rolls, etc. Cunningham a reçu pendant des années de l'argent de contractants de défense, y compris des contractants de la CIA émargeant aux budgets secrets du renseignement. La position de Cunningham à la Commission des Forces armées et à la sous-Commission du renseignement de la Chambre lui donnait une assise idéale pour recueillir de tels avantages.

Ce sont des articles du journal San Diego Union Tribune qui sont à la base de la chute de Cunningham. Depuis, courant et fin décembre, le Union Tribune a publié des articles sur d'autres personnalités de la Chambre spécialisées dans les questions de défense: les députés Duncan Hunter et Jerry Lewis notamment, qui ont joué et jouent un rôle prépondérant pour les attributions budgétaires du Pentagone, auprès de contractants industriels du complexe militaro-industriel. Le Union Tribune met en évidence des pratiques en apparence légales, en réalité dans une zone grise entre légalité et illégalité, qui risquent de déboucher (comme dans le cas de Cunningham) sur l'illégalité pure et simple. Il s'agit de pratiques de soutien financier et de campagne. Hunter et Lewis sont de la même filière que Cunningham, et des amis (surtout Hunter) du député déchu. Il apparaît évident qu'il y a là toute une filière de corruption, s'exerçant au niveau des questions de défense, principalement au niveau du parti républicain (Cunnigham, Hunter et Lewis sont républicains).

Le destin de Cunningham: “how the stuff works...”

Une histoire connue par les initiés à l'époque fut celle de l'affrontement entre le lieutenant-colonel Robert Scott et le général Harry Hap Arnold. Scott avait été pilote de chasse en Chine, dans les Flying Tigers de Claire Chennault (1940-41), puis dans l'U.S. Army Air Force officielle, en 1942, après l'entrée en guerre des USA. Au début 1943, il avait été rappelé aux USA alors qu'il était le premier des as américains au palmarès, avec 13 avions japonais abattus. Il rencontra Hap Arnold, le général commandant en chef de l'USAAF, qui le chargea d'une mission délicate: faire la promotion de l'USAAF (l'Air Force dépendait alors de l'U.S. Army) pour préparer une offensive de relations publiques aboutissant à une USAF autonome (ce fut chose faite en 1947). Scott écrivit un livre (superbe: Dieu est mon Co-Pilote) puis suivit le tournage du film extrait du livre, un épouvantable navet hollywoodien de propagande primaire où les Japonais semblent être des chimpanzés demeurés. Furieux, à cause de cela et de bien d'autres choses, il revint à Washington et demanda à Arnold de le renvoyer au front. Arnold refusa. Il y eut des échanges violents. Scott se rappelait, 35 ans plus tard, dans une interview àWings, que « this guy [Arnold] fought the war just to push USAAF to become an independant USAF ».

Scott ne suivit pas les règles du jeu, notamment il refusa une proposition de faire de la politique en se faisant élire député (« It's how the stuff works... », lui avait dit un délégué du parti républicain). Randy S. Duke Cunningham n'a pas suivi la voie de Robert Scott. Premier as américain au Viet-nâm, il entra rapidement dans les circuits d'influence washingtoniens après son retour du Viet-nâm puis sa décision de quitter la marine. Sa célébrité dans les milieux militaires et dans les milieux conservateurs lui permit d'abord de devenir un consultant bien payé de firmes d'armement diverses, dans les années 1980. Cette même réputation, qu'il sut entretenir, en faisait un candidat parfait, surtout en Californie du Sud où sont implantées nombre de sociétés aérospatiales et d'armement. Il entama sa carrière politique à la fin des années 1980. Il avait le soutien de l'industrie d'armement. A partir de là, Duke Cunningham détint une place de choix, avec des amis très puissants qui le soutenaient, tel Duncan Hunter, président de la Commission des Forces Armées de la Chambre. Comme on l'a vu, Cunningham fut un des patrons de la Sous-Commission du renseignement. Il maîtrisait complètement des contrats de la CIA avec l'industrie que personne d'autre ne contrôlait du point de vue budgétaire. On imagine les avantages qu'il sut tirer de cette position, évalués à $2,4 millions par le tribunal. Cunningham se fit donc une petite fortune, qu'il afficha d'une façon un peu trop voyante. C'est notamment un des éléments qui attira l'attention de journalistes locaux sur lui, ce qui devait le conduire à sa chute.

Cunningham est l'illustration parfaite des connexions existantes entre les activités militaires, le sens des relations publiques, les positions de choix dans la vie parlementaire et l'industrie de défense. Il s'agit d'un réseau complexe mais bien coordonné qui passe, dans ses positions finales, par le verrouillage des puissantes commissions du Congrès qui tiennent les clés du budget, — donc les décisions de contrats entre les agences et services de sécurité nationale et l'industrie. Les trois personnes déjà attaquées par le San Diego Union Tribune (qui semble une survivance locale du journalisme indépendant d'investigation) forment la chaîne parfaite de corruption-influence du système américaniste: Cunningham est celui qui tient les manettes de l'action directe au niveau des contrats, puisqu'il était surtout efficace au niveau des sous-commissions traitant les problèmes en détails. Duncan Hunter tient une place plus dominante, puisqu'il préside la très puissante Commission des Forces armées, qui contrôle une myriade de Sous-Commissions. Jerry Lewis, lui, occupe depuis janvier dernier la très puissante présidence de la Commission des Appropriations de la Chambre, qui gère la répartition d'un budget fédéral de $900 milliards par an, dont celui de la défense.

Les trois hommes reçoivent (recevait pour Cunningham) le “soutien” sous forme de contributions légales de certaines firmes de défense peu connues, dont l'activité dans la “philanthropie” politique est gérée par un cabinet de consultance mis sur pied par un ancien parlementaire, ami de Lewis, Bill Lowery. Il s'agit d'un système parfaitement au point, qui évolue complètement et dans une complète impunité dans la sphère privée. Pour l'instant, le seul grain de sable, — mais il est de taille non négligeable, — semble avoir été le comportement fastueux et l'appétit d'argent de Randy Cunningham. Sa chute pourrait en entraîner d'autres.

La décadence du système, c'est d'abord la décadence de ses fraudeurs

On mesure l'état d'un système à la hauteur des vertus de ceux qui devraient lui résister. En 1943-45, le lieutenant-colonel Robert Scott, héros de la guerre en Chine, résista aux sirènes de la bureaucratie et de l'industrie. Le héros tenait encore bon. Cela ne signifie pas que le système était vertueux. Il était déjà corrompu, puisqu'il l'est, en fait, dès l'origine, — comme nous en instruit une lettre fameuse de Thomas Jefferson, alors premier secrétaire d'État des États-Unis, au premier président des USA, George Washington, en mai 1791.

Lorsque Scott se rebelle contre les exigences d'Arnold, le complexe militaro-industriel est déjà bien en place et il a déjà ses parlementaires. L'aide de camp de Harry Truman déclara dans un documentaire datant de 1995 (Le soleil noir) que le Président aurait risqué d'être destitué (par le Congrès) s'il n'avait pas utilisé la bombe atomique contre le Japon, et que c'était là l'une des principales causes de la décision d'emploi. L'influence du Complexe était déjà si importante qu'elle suscitait une opposition presque unanime à une politique qui n'aurait pas utilisé l'arme principale produite durant la guerre, dont le statut et la puissance d'image devaient conforter irrésistiblement le Complexe dans l'après-guerre, en même temps qu'ils structureraient la position stratégique des USA contre toute autre puissance.

Certes, le Complexe était puissant et l'argent coulait à flot, mais l'on savait se tenir. Le maccarthysme montra cela. C'est une coalition de pressions des militaires (principalement l'U.S. Army) et de certains parlementaires (le sénateur Symington, ancien secrétaire de l'Air Force et resté l'homme de l'Air Force au Sénat) qui eut raison de Joe MacCarthy en 1954. Un peu trop porté sur la bouteille et sur les accusations débridées (il en était arrivé à faire de George Marshall un agent communiste), — ceci expliquant cela, d'ailleurs, — le sénateur du Wisconsin faisait désordre. Il fut promptement liquidé car le Complexe savait se tenir.

Aujourd'hui, le héros ne se tient plus et ne tient plus rien du tout. Cunningham, héros de la guerre du Viet-nâm, se précipite dans les bras des sirènes et en fait tellement qu'il en vient à être mis à mort par un journal local pour des faits de corruption qu'il a imprudemment et vaniteusement exposés. Cela s'appelle la décadence. Par ailleurs, on comprend que le sort de Cunningham n'est qu'une illustration à peine dramatique d'une situation générale du système, du monde washingtonien et du Congrès (« The most corrupted Congress in History » dit Harry Reid, sénateur et chef de la minorité démocrate de la Haute Chambre, — sous-entendant d'ailleurs que l'essentiel de la corruption concerne le parti républicain).

Au-delà du problème éthique et du problème politique, il y a un problème pour le fonctionnement du système à un moment crucial. On comprend bien que la mise à jour de ce qu'on pourrait nommer “le réseau Cunningham” menace l'équilibre et le bon fonctionnement du système parlementaire de contrôle et de gestion du budget du Pentagone. Le moment est crucial parce que le Pentagone est à la dérive et tend plutôt à passer la main devant les problèmes épouvantables qui se posent à lui, — et à passer la main au Congrès, qui a retrouvé toute son alacrité et a fait savoir ces derniers mois qu'il entendait avoir son mot à dire, peut-être plus que son mot, dans les décisions nécessaires à prendre. (On sait par exemple que le cabinet du député Duncan Hunter, l'un des parlementaires mis en cause, travaille sur sa propre version de la QDR 2005 et qu'il l'opposera à la QDR 2005 que doit proposer le Pentagone, avec un retard qui témoigne de ses hésitations). La question qui se pose alors est de savoir dans quel climat, dans quelle direction, selon quelles orientations, les parlementaires vont se conduire alors qu'ils se trouvent in fine mis en cause dans de si délicates affaires, — alors que, cerise sur le gâteau, on se rapproche de l'échéance électorale de novembre 2006 dans un climat déjà très difficile pour le parti républicain qui traîne la présidence Bush comme un boulet. La conclusion impose une observation: il s'agit bien, autour du Pentagone, du “perfect storm” annoncé, avec la crise du Pentagone elle-même et toutes les crises des divers partis et forces en présence ayant leur mot à dire et une autorité à faire jouer.

 

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