La Bête de l'Apocalypse, selon Pierre Jovanovic

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La Bête de l'Apocalypse, selon Pierre Jovanovic

Pierre Jovanovic est un homme étrange. Il a beaucoup écrit, mais dans des domaines très loin de ceux qui sont les nôtres ici: la Bible, l'Apocalypse, les démons, les anges. Il y fait preuve d'une culture considérable concernant l'histoire des grands mythes chrétiens, comme les méandres de la Papauté actuelle. Croyant lui-même, se dit-il, il rencontre un grand succès auprès de ceux qui s'intéressent, à tort ou à raison, à l'influence des forces occultes sur le monde actuel. Les athées, tout en admirant sa vaste culture, ont pour beaucoup été prompts à le classer parmi les conspirationnistes – étant entendu que le conspirationnisme se manifeste dans toutes les sociétés et au sein de toutes les forces politiques. Le terme est souvent utilisé pour déconsidérer ceux qui ont suffisamment de sens critique pour ne pas accepter les propagandes officielles (les doxa) et qui voient par conséquent avant les autres les réalités profondes de la vie politique.

Mais Pierre Jovanovic a pour nous un autre mérite. Sa culture économique est considérable, notamment en ce qui concerne l'histoire de la finance. Il s'inspire de documents officiels souvent jusqu'ici peu connus ou dissimulés. Il a par ailleurs toujours refusé les mots d'ordre de ce que l'on nomme les atlantistes, c'est-à-dire les Européens qui oubliant leurs valeurs se sont fait depuis la 2e guerre mondiale les «laquais» (comme l'on disait jadis à l'Huma) de la superpuissance américaine. Ces laquais sont aujourd'hui plus agressifs que jamais, en refusant d'admettre l'accumulation des catastrophes que provoquent dans le monde entier les conflits initialisés par Washington. Aujourd'hui, notamment en France, dans le cas de l'offensive multiforme menée par l'Amérique contre la Russie, les atlantistes ont totalement subverti les hommes politiques, les médias et une large partie de l'opinion. La Russie est plus que jamais l'ennemie, l'Amérique et son dollar les alliés.

Or le dernier livre de Pierre Jovanovic, « 666 », (Le jardin des livres, 2014), apporte des éléments de preuve généralement inconnus du public, montrant comment depuis des décennie la conjonction de la diplomatie américaine, de la CIA et des grands banquiers de Wall Street a mis le reste du monde sous tutelle. Beaucoup, dont nous sommes, le disent et le répètent, mais un peu dans le désert (Vox clamat in desertow). Les démonstrations concrètes fournies par « 666 », devraient suffire à emporter la conviction de tous ceux qui en Europe ne sont pas sous le contrôle de ce que nous nommons pour notre part la diplomatie du dollar et des services secrets. Même sans références bibliques, le lecteur du livre se convainc facilement que la nouvelle Bête de l'Apocalypse menaçant le monde entier avec ses sept têtes, est effectivement le système monétaire international reposant sur le dollar et imposé aujourd'hui par l'Amérique au monde entier, y compris à ce jour, malgré leurs efforts pour s'en défaire, à la Chine et à la Russie.

L'or s'efface au profit de la monnaie de singe

Toutes les références à l'or ont été exclues par les banques centrales nationales, y compris aujourd'hui la Banque centrale européenne en ce qui concerne l'euro, à la suite du coup de force imposé par Richard Nixon le 15 août 1971. Il faut se souvenir qu'en 1944, les accords de Bretton Woods avaient mis en place un système de changes fixes entre les mon­naies et l’or ou le dollar, la clé de voûte du système étant la pos­si­bilité de convertir, selon une parité fixe, le dollar en or (35$ l’once d’or). Cependant, à partir des années 1960, ce système a été progressivement combattu par les Etats-Unis, compte tenu de leur déficit extérieur. Dans la suite de l'explosion de leurs dépenses militaires, ils importaient plus qu’ils n’exportaient et devaient financer la dif­fé­rence par création de dollar. Les réserves d’or de la Fed (la banque cen­trale des États- Unis) se révélèrent vite insuf­fi­santes pour garantir une conversion des dollars en res­pectant la parité officielle.

Sous la pression de Wall Street, le pré­sident Richard Nixon a donc décidé en 1971 de sus­pendre la conver­ti­bilité en or du dollar, puis de le dévaluer à plu­sieurs reprises. En mars 1973, une nou­velle crise des changes a conduit au flot­tement géné­ralisé des mon­naies : la plupart des mon­naies ont des taux de change « flot­tants », qui varient au jour le jour. En 1976, les accords de la Jamaïque ont entériné cet état de fait et l’abandon de toute réfé­rence à l’or dans le système moné­taire international. C'était le dollar qui devenait de facto l'unité de change internationale.

Le plus grand hold up du monde

Ce coup de force a rendu possible dès cette époque la réalisation de ce que Pierre Jovanovic qualifie à juste titre de plus grand hold up du monde. Maitresse du dollar, la Fed pouvait en faisant fonctionner la planche à billet fournir aux Américains toutes les devises dont ils avaient besoin pour mener leur expansion militaire et économique, achats de matières premières et d'entreprises. Dans un système ouvert, les autres pays, disposant de leurs propres réserves en or et en devises nationales, auraient pu refuser les dollars ainsi créés. Mais étant eux-mêmes assujettis au dollar et ne pouvant en créer pour leur propre compte, ils étaient obligés s'ils voulaient commercer entre eux ou avec les Etats-Unis d'accepter les dollars américains et les politiques économiques et diplomatiques menées par l'Amérique.

Aujourd'hui le même hold up se poursuit et s'amplifie. Alors que tous les Etats du monde se saignent pour rembourser leurs dettes, souscrites en dollars et auprès d'établissements financiers tous américain, Washington, qui lui aussi croule sous les dettes, n'a pas de soucis à se faire. Comme l'a montré la dernière crise financière, il suffit que le Président ordonne à la Fed d'émettre les billions de dollars (quantitative easing) nécessaires au paiement de ces dettes. Tous les producteurs de richesses du monde, en Chine notamment, se précipitent pour acheter les bons du trésor fédéraux et soutenir ainsi la suprématie américaine, n'ayant pas la possibilité d'épargner au plan international avec leurs propres monnaies.

Pourquoi les gouvernements de ces pays ne se rebellent-ils pas, en refusant par exemple d'acheter des US Bonds voire d'honorer leurs propres dettes? Sur ce point, Pierre Jovanovic apporte la seule réponse qui s'impose, réponse encore pudiquement ignorée par les analystes financiers. Parce que ces gouvernements sont contraints de le faire, sous la pression des moyens militaires de l'US Army en ce qui concerne les petits Etats, et sous celle des milliers d'agents de la CIA qui opèrent dans les plus grands Etats, notamment en Europe, et notamment en France, pour s'assurer que les dirigeants de ces Etats marchent droit. Sinon, la CIA suscitera les troubles politiques qui emporteront les récalcitrants (regime change). Jovanovic n'hésite pas à reprendre ainsi la rumeur selon laquelle Mai 68, en France, avait été organisé pour provoquer le départ de De Gaulle, le seul grand dirigeant européen qui avait le courage de s'opposer à l'Amérique. Ceux d'entre nous, suffisamment âgés pour cela, qui se souviennent avoir manifesté sur les barricades de mai, ne s'imaginaient pas alors qu'ils faisaient le jeu de la CIA.

Le Brics?

Mais comment sortir de la domination du dollar afin de s'affranchir de la domination américaine? Il faut se regrouper pour devenir suffisamment forts à l'échelle du monde. C'est ce que tentent actuellement de faire les dirigeants du Brics, en mettant en place une monnaie commune qui ne serait plus le dollar (dédollarisation), un fonds monétaire Brics et une banque mondiale Brics, de grands programmes d'investissements productifs Brics destinés à assurer leur développement. Pierre Jovanovic n'aborde malheureusement pas cette perspective dans son livre. Souhaitons qu'il le fasse dans un prochain ouvrage, avec les éclairages particuliers qui sont les siens. Pour notre compte, quel que soit l'appui que nous pourrons apporter à ces projets du Brics, rien ne nous permet encore d'affirmer qu'ils viendront à bout de la Bête de l'Apocalypse.

La Bête a suffisamment d'audace criminelle pour provoquer une guerre mondiale qui serait la fin de ses adversaires. La sienne propre sans doute dans le même mouvement. Mais la Bête blessée préférera sans doute périr elle aussi plutôt que céder un pouce de l'emprise qu'elle s'est donnée sur les corps et les consciences.

(• Pierre Jovanovic – Blog :http://www.jovanovic.com/blog.htm)

Jean-Paul Baquiast