Jupiter & son Diable-bouffe

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Jupiter & son Diable-bouffe

Il y a un demi-siècle t des poussières de cela, – qui semble aussi long qu’un millénaire ou deux, jusqu’à l’empire de Rome, – une visite d’État d’un président français à Washington, avec discours devant le Congrès en plus de la pompe de la Maison-Blanche, précipitait des commentaires d’un certain intérêt et découvrait des symboles qui pouvaient susciter une réflexion historique. C’était enrichissant ou c’était nostalgique, mais il y avait place pour le débat de la politique. Chacun pouvait proposer son rangement, affirmer son ordre. L’époque n’était pas grandiose (c’était déjà la modernité) mais on faisait bonne figure.

Aujourd’hui, les images écrasent tout et l’on peut craindre qu’elles ne soient qu’images, c’est-à-dire quelque chose de l’ordre de l’effet du simulacre au premier degré et rien derrière. S’il y a symbole, il s’agit d’images symboliques qui n’ont rien à voir avec le voyage, la rencontre, les protagonistes et la politique, et tout avec une représentation nécessairement caricaturale de l’époque : le symbole représente l’époque, et nullement l’événement où il est censé se placer. Dans le texte de Jacques Sapir ci-dessous (Spoutnik-français, le 28 avril 2018), que nous avons choisi pour le sérieux du commentaire, où le commentateur s’est donnée comme mission impérative (nous ajouterions dans le ton de notre commentaire : “malgré tout”)  de parler de politique, les conclusions embrassent malgré tout et inévitablement le côté-bouffe (un “sommet-bouffe”) de la rencontre. Cela est évidemment au désavantage du président d’un pays qui non seulement (le pays) ne sait plus tenir son rang mais qui ne sait plus qu’il a un rang et que sa mission est de le tenir. Ayant jugé Macron selon une appréciation bouffonne inspirée nécessairement par ces images (« Emmanuel Macron est parti nu aux États-Unis. Il en revient “une main derrière, une main devant” comme on dit dans le midi de la France ! »), Sapir termine par cette imagerie inéluctablement bouffonne...

« ... voire cette photo, assez dramatique quant à l'image qu'elle transmet, ou Emmanuel Macron est pris par la main par Trump comme un petit enfant par son père, resteront dans les mémoires. Les français se sentiront, et se sentent déjà, humiliés par le comportement de leur Président. Ce sentiment d'humiliation n'avait pas été pour rien dans le désamour profond qui s'était installé entre les français et François Hollande. Emmanuel Macron glisse rapidement sur la même pente. »

L’ancien président Hollande, qui faisait une sortie parisienne, politique et télévisuelle après presque un an de pénitence, eut une remarque sur le “sommet-bouffe”, sur le comportement de Macron dans le cadre d’un jugement général sur leur comportement à eux deux, ainsi rapportée par un tweet à-propos : « Que représentent les gestes/tapes à répétition entre Macron et Trump ? “C’est un comportement étrange du côté de Trump. Macron est plutôt passif dans le couple” envoie François Hollande » Dans cette époque où un tweet fait office d’événement dont le poids peut être comparable à celui de l’attentat de Sarajevo et du “putsch des généraux”, la chose eut aussitôt sa réplique, venu de l’ami et porte-parole du président Benjamin Griveaux agissant également par tweet, soit ès-qualité ou personnellement c’est selon : 

« EmmanuelMacron"passif" dans le couple Trump-Macron selon @fhollandeinvité à @Qofficiel? “C'est de l’humour gras et avec une touche d'homophobie. Cela ne lui fait pas honneur…”, condamne @BGriveaux#DirectAN#QDI »

Bref, dirons certains avec sarcasme et amertume, nous volons haut en-dessous du plancher... Mais comment faire autrement, lorsque le plafond est bouché comme disent les aviateurs, lorsque la pseudo-hauteur est vers les abysses et le cul par-dessus tête ? On aurait presque tendance, au-delà des commentaires politiques qui gardent leur valeur, ou bien “en même temps” comme dit l’autre, on serait tenté d’observer : après tout, que voulez-vous qu’ils fassent d’autre car en vérité que peuvent-ils faire d’autre sinon se servir de l’image en se mettant au service de l’image ? Ce que nous retiendrons donc de ce voyage, d’abord et avant tout, c’est cette impression d’enfermement dans le diktat de l’image, comme on enferme les pauvres animaux dans un zoo, où se trouvraient donc ces piètres créatures politiques ; le diktat de l’image, c’est-à-dire le diktat de la communication lorsqu’elle est réduite à son seul effet de l’affectivisme. Dans ce cadre d’emprisonnement, le bouffon du roi est roi, par conséquent Trump ne pouvait que l’emporter : le bouffon du roi est devenu le roi des bouffons parce que l’obligation de sa fréquentation qui est l’acte-dévot absolument nécessaire de leur servilité volontaire fait d’eux des bouffons bien entendu... 

... Y a-t-il une autre dimension, qui serait malgré tout celle d’un symbolisme au second degré, un symbolisme dénaturé par les ors et les paillettes du show de la représentation mais néanmoins ayant son effet de symbolisme ?... Dira-t-on alors, employant la dialectique du président français lui-même en l’occurrence assez pauvre par rapport à sa situation réelle, celle que lui laisse la communication à laquelle il se soumet, – dira-t-on alors qu’il s’agit de Jupiter se fourvoyant à Washington, où se tient l’Empereur du moment qui n’est qu’une caricature d’Empereur ? ... On entend d’ici l’ami Bonnal glousser, en faisant remarquer que le film L’Avocat du Diable, où Pacino interprète le rôle d’un mystérieux avocat, un d’au-delà du barreau comme seul le Diable peut imaginer être lui-même, et nous reçoit dans un appartement aux proportions gigantesques, à la décoration à la fois sombre et éblouissante, aux contorsions étranges et sataniques, – et Nicolas de nous rappeler que Trump avait bien voulu prêter son appartement de la Trump Tower à l’équipe du film. Bien... Malgré la taille, Macron n’est pas Pacino : alors, qui était le Diable dans cette affaire ? Eh bien, le Diable-bouffe évidemment !

Mais si le Diable est bien celui-là, c’est aussi le bouffon du roi de l’aventure, et c’est parce que tous les acteurs ont accepté qu’il en soit ainsi. Pour Trump, on le comprend évidemment parce qu’il s’agit de la seule “méthode“ où il peut figurer à son avantage, justement étant bouffon du roi, – Diable lui aussi bien différent de Pacino et bouffon du roi avant tout, et par conséquent Diable-bouffe. Pour Macron, il ne pouvait en être autrement dans les conditions d’une “époque si étrange” puisqu’il choisissait de voir le bouffon du roi en premier au lieu d’aller voir Poutine en premier puisque c’est entre les deux qu’on juge aujourd’hui la détermination régalienne d’un chef d’État. Ce n’est pas d’un choix politique que l’on parle mais d’un choix symbolique ; ou bien disons que, oui, c’est pourtant bien un choix politique dans une époque où la politique est cul-par-dessus tête puisque la venue à Washington de Macron pour établir des “relations spéciales” avec le roi des bouffons suivait son engagement en Syrie, pour prendre le dernier événement en cours, où il s’était révélé, volens nolenscomme le serviteur-bouffe se soumettant à son désir intense de servitude volontaire (voilà qui devrait satisfaire le psychanalyste-vachard quoique pseudo-homophobe François Hollande...).

Il n’y a qu’en une époque si étrange que la nôtre où l’inspiration puisse proposer de telles réflexions à l’occasion d’une rencontre politique se constituant en même temps en sommet-bouffe. Le contraste entre la situation de cette rencontre entre deux États dont la présence historique est indéniable et le spectacle qui nous est ainsi offert est d’une puissance unique, sans aucun doute jamais vu auparavant. D’une certaine façon, l’esprit oscille entre le commentaire “sérieux” et le jugement expéditif du dérisoire soudain promu au rang de l’essentialité du moment politique. Ce fait même, lui, n’est pas dérisoire. Il pose la question de savoir si la communauté des humains est encore capable d’enfanter des dirigeants capables de s’extraire du dérisoire après avoir identifié le dérisoire, de s'extraire du simulacre après avoir mesuré le simulacre...

Trump, au moins lui, sert à quelque chose : par son comportement qu’on pourrait juger délibéré pour la facilité de la démonstration et en lui faisant crédit d’une certaine lucidité sur son comportement qui est sans aucun doute sa nature même, il est une référence du dérisoire qui lui permet de figurer comme il faut dans une telle époque, lorsque l’image dit tout, lorsque les mots n’ont plus aucune substance, lorsque les principes ne pèsent plus que le poids de bulles destinées à éclater en silence, comme simulacres de bulles de savon. Trump l’emporte sur tous les autres, bouffon du roi devenu roi des bouffons, parce qu’il est parfaitement le bouffe de son époque

Ces gens ne sont-ils pas en train de dévier vers la folie, – folie douce et doucement narcissique, folie de l’affectivisme, folie complètement inspiré des temps et à l’image des temps, – eux qui sont les opérateurs d’un Système qui nous rend fous ? La caractéristique du fou est sans aucun doute qu’il ne peut pas savoir, par définition, qu’il l’est... Sont-ils fous, pour poser  de telles questions ? interroge le fou. Il est temps de briser, de rompre, d’anéantir, et il nous reste à apprendre comment sans plus nous interroger à leur propos.

Il n’empêche, ce fut donc un sommet historique... Un sommet-bouffe, où l’image l’emporta si complètement sur la substance qu’elle la réduisit en poussière, qu’elle entropisa littéralement toute velléité de substance.

(Un dernier mot en forme de P.S. : on ne dira pas un mot du “sommet” (oups) Trump-Merkel, qui fut un non-sommet, Merkel étant définitivement fixée dans une posture aussi bien archaïque d’ancienne correspondante de la Stasi, que potsmoderniste de super-fan du globalisme qui profite tant à l’Allemagne puisqu’il est l’ennemi du souverainisme, de l’identitaire, du régalien et du protectionnisme. Elle ne pouvait en aucun cas apprécier les attouchements fougueux du “roi des fous”, lui-même, le “roi des fous”, n’ayant d’ailleurs guère de penchant pour quelque attouchement élaboré et sérieux que ce soit, ni de penchant pour la Kaiserin von Europa elle-même. Voyez le résultat des deux visites européennes de la semaine : Trump accusant l’UE d’avoir été créée pour “arnaquer les USA”. Un triomphe diplomatique des deux leaders de l’UE.)

dedefensa.org

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Une visite désastreuse ?

Derrière les flonflons et les déclarations tonitruantes, l’ovation au Congrès des États-Unis, la visite d’Emmanuel Macron pourrait bien s’avérer désastreuse. Car Macron est parti en position de faiblesse, face à un Président américain, Donald Trump, qui était conforté par les premiers résultats de sa politique.

Il s'avère qu'Emmanuel Macron a été dans l'incapacité d'obtenir gain de cause sur quelques grands dossiers que ce soit. De ce point de vue, cette visite est un échec. Mais il y a pire. En matière d'image, cette visite a été une catastrophe. Les photos montrant le Président français soit dans une position ridicule soit dans une position de soumissionface à son homologue américains, même si elles ne traduisent pas nécessairement une réalité, circuleront massivement. Emmanuel Macron a commis, avec ce voyage, sa première faute majeure.

L'accord avec l'Iran

Sur l'accord avec l'Iran, où les enjeux étaient de taille, Emmanuel Macron a subi un échec évident. Cet accord avait, pourtant, stabilisé la situation (1). Qu'il y ait eu des points complexes, et des points de compromis, dans cet accord est une évidence. Mais, il en va de même dans tout accord (2).

L'important était qu'avec cet accord on avait une garantie que l'Iran ne deviendrait pas une nouvelle puissance nucléaire, un acte potentiellement déstabilisant qui pourrait pousser l'Arabie Saoudite et l'Egypte à faire de même, mais qui pouvait aussi se comprendre quand on sait qu'Israël est un proliférateur clandestin massif, avec un arsenal estimé entre 150 et 250 têtes nucléaires. En acceptant de ne pas poursuivre l'enrichissement de l'uranium jusqu'à la qualité militaire, tout en se réservant le droit de poursuivre cet enrichissement pour une qualité civile l'Iran avait accepté le cadre global d'une surveillance internationale.

Donald Trump avait annoncé, dès sa campagne, qu'il voulait sortir de cet accord et le remettre en cause. On en saura plus le 12 mai. Sur ce point précis, la France était sur la même position que la Russie, dont le Ministre des affaires étrangères, M. Lavrov, a déclaré il y a peu que si Donald Trump sortait de l'accord, il pourrait bien être le père du nucléaire iranien. La déclaration de Trump, sur laquelle Macron a donné son accord, de « renégocier » l'accord montre qui a gagné sur ce point. Une « renégociation » est toujours extrêmement difficile sur des sujets aussi délicats que la question du nucléaire. De plus, les derniers actes des États-Unis, et hélas de la France, comme les frappes en Syrie, ne peuvent que convaincre les dirigeants iraniens que seul un armement nucléaire les mettra à l'abri des foucades des pays occidentaux. De ce point de vue, on n'a hélas pas fini de mesurer ce que cette action, illégale au regard du droit international, aura comme conséquences en matière de prolifération. Dans ces conditions, on peut penser que les dirigeants iraniens seront beaucoup moins flexibles dans toute nouvelle négociation qu'ils ne l'avaient été de 2013 à 2015, lors de la négociation de l'accord. Surtout, l'idée même d'une « renégociation » implique que le traité existant est caduc.

Trump, Macron et le multilatéralisme

Sur cette question aussi, Emmanuel Macron a largement échoué à faire changer Donald Trump d'opinion. Ce dernier considère, et on ne peut lui donner tort, que ses déclarations fracassantes ont déjà produit des résultats. Et, de fait, on constate que la Chine commence à modifier ses tarifs commerciaux sur les automobiles. On a pu plaisanter sur la « politique Twitter » de Donald Trump; mais on découvre en réalité que cette politique donne des résultats. Et, l'image qui se dégage de Trump est bien différente de celle que nous servent à satiété, et jusqu'à l'écœurement, les grands médias, qu'ils soient français ou américains. Que le Président des États-Unis soit un personnage brutal, réactionnaire, avec un goût prononcé pour la provocation est certain. Mais il n'est pas l'imbécile ou l'irresponsable que se plaisent à décrire les grands journaux, de Paris ou de la Cote Est!

On savait le multilatéralisme commercial à l'agonie depuis l'échec du « cycle de Doha » impulsé par l'OMC dans les années 2000. C'était d'ailleurs l'une des raisons qui me faisaient pronostiquer un mouvement de démondialisation dès 2010 (3). Trump en a tiré froidement le bilan. Il ajuste la politique des Etats-Unis à la nouvelle situation. Nul ne peut dire à l'heure actuelle s'il obtiendra le grand mouvement de retour vers les Etats-Unis des industriels qui sont partis dans les années 1990 et 2000. Mais, il a clairement donné un coup d'arrêt au phénomène des délocalisations.

Une erreur d'échéancier

Si Emmanuel Macron a pensé qu'il pourrait se présenter en défenseur des « grands principes », il a manifestement erré. Car, la France est sur ce point isolée. Elle ne pourrait retrouver une certaine capacité de peser sur les décisions américaines que si elle s'associait aux puissances qui contestent aujourd'hui la politique des Etats-Unis, c'est à dire la Chine et la Russie. Et, de ce point de vue, on peut penser qu'Emmanuel Macron aurait bien mieux fait de commencer par une visite à Moscou avant d'aller voir Trump. Cette erreur dans l'échéancier des visites, car il est prévu qu'il rencontre Vladimir Poutine en juin, doit être expliqué. D'une part, Emmanuel Macron participe de cette campagne de certains des milieux occidentaux visant à « démoniser » la Russie. Il a cru renforcer sa position face à Vladimir Poutine, qu'il rencontrera probablement en juin. Mais, en fait, il se présentera, face à lui, affaiblie par ses échecs aux Etats-Unis.

Mais il y a une autre raison qui peut expliquer cette erreur d'échéancier. Emmanuel Macron nourri l'ambition de changer les institutions européennes. Le problème est qu'il s'est heurté à un mur. Privilégiant une relation avec l'Allemagne, il s'est détourné de l'Italie — un pays qui aurait pourtant intérêt à ce changement — mais aussi des pays de l'Europe centrale. Or, l'Allemagne, et il faut savoir que cela concerne tant la CDU-CSU que la SPD, n'a aucune raison, et aucune intention, de changer quoi que ce soit dans l'Union européenne. L'Allemagne profite largement des institutions existantes; elle les défendra sans faiblir. Isolé, sans alliés, sur la question de la réforme de l'UE, et on l'a vu lors de son discours devant le Parlement européen, Emmanuel Macron a cru trouver un allié de circonstances en la personne de Donald Trump. D'où cette calamiteuse visite et les images à laquelle elle donne lieu. Emmanuel Macron est parti nu aux États-Unis. Il en reviendra « une main derrière, une main devant » comme on dit dans le midi de la France!

Le choc des images

Reste les images que l'on peut avoir de cette visite. Elles sont déplorables, et surtout leurs conséquences seront lourdes. Les embrassades appuyées (surtout du côté de Macron), la scène assez ridicule où les deux hommes plantent le chêne offert en cadeau, voire cette photo, assez dramatique quant à l'image qu'elle transmet, ou Emmanuel Macron est pris par la main par Trump comme un petit enfant par son père, resteront dans les mémoires. Les français se sentiront, et se sentent déjà, humiliés par le comportement de leur Président. Ce sentiment d'humiliation n'avait pas été pour rien dans le désamour profond qui s'était installé entre les français et François Hollande. Emmanuel Macron glisse rapidement sur la même pente.

Jacques Sapir

 

Notes

(1) http://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/haidar-jamal-ibrahim/sanctions.pdf 

(2) Joyner D.H., Interpreting the Non-Proliferation Treaty, Londres, Oxford University Press, 2011

(3) Sapir J., La Démondialisation, Paris, Le Seuil, 2010.