Hypothèses de campagne

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Hypothèses de campagne


27 avril 2002 — Raison ou tort ? En développant le 25 avril le scénario d'un Chirac triomphant grâce à son coup de 4/21, nous pensions à la fois interpréter une logique politicienne (pas politique, il n'y en a guère dans cette campagne) et répondre à une intuition. Des logiques et des intuitions, il y en a à foison dans cet entre-deux tours qui constitue l'une des périodes les plus inattendues de la scène politique contemporaine, et de la scène politique française de la Ve République. Cette complexité rend l'événement lui-même moins impérativement essentiel. Il n'est pas assuré que le résultat du second tour soit le point le plus important, que justement l'atmosphère étrange de la période et les enjeux dissimulés.

Cette introduction, pour nous conduire à signaler une, et même deux intéressantes interventions, hier soir 26 avril, à 19H30, dans Le vrai Journal de Karl Zéro, sur Canal +. Les citations que nous faisons rendent certainement compte de la substance de ces interventions. (Nous signalons que nous importe ici ce qui est dit et non pas les personnages qui parlent. Nous pensons cette précision utile, parce que le contraire semble être le système général d'intervention médiatique aujourd'hui en France.)

• La première intervention est de Lorrain de Saint Affrique, ancien conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen, devenu depuis, nous semble-t-il, anti-lepéniste. Saint Affrique affirme parfaitement connaître Le Pen, puisque ce fut son métier (« Je peux même dire que je connais Le Pen mieux que lui-même »). Saint Affrique est catégorique : « Le Pen a peur. C'est un homme seul, il n'a personne avec lui. Son rêve, ç'aurait été de terminer à 18.000 voix derrière Jospin, mais surtout pas de figurer au deuxième tour. » Ce que nous dit Saint Affrique en substance, c'est que Le Pen a peur de ce deuxième tour parce qu'il a peur d'une victoire éventuelle dont il ne saurait que faire. Cette appréciation nous semble très acceptable, et plus par intuition d'ailleurs, d'abord de ce que nous ressentons du comportement de Le Pen, ensuite de ce que nous croyons deviner de sa psychologie. (Eric Zemmour, toujours dans son livre L'homme qui ne s'aimait pas, donne de ces “fascistes” français, auxquels il donne fort justement des guillemets, cette remarquable définition psychologique : ils sont « >MI>les vaincus de toutes les guerres, qui ne pouvaient que perdre encore celle-ci [la bataille du traité de Maastricht], parce qu'ils sont génétiquement fabriqués ainsi, qu'une jubilation masochiste les pousse toujours à se suicider, comme par fidélité à eux-mêmes » Nous pensons que cette psychologie affleure également lorsque, interrogé sur RTL le 25 avril au soir, Le Pen déclare que s'il fait 30% des voix, ce sera déjà « un succès », et l'on peut également comprendre qu'il s'en satisferait aisément, prêt à partir pour une retraite heureuse où il égrainerait le souvenir de ses glorieuses batailles perdues.) Mais Saint Affrique va encore plus loin et c'est là qu'il devient extrêmement intéressant ; pour lui, Le Pen, malgré ce qu'il en a, peut fort bien gagner dimanche 5 mai, parce que son résultat du 21 avril est le signe que « le peuple français s'est emparé de lui, dans un élan révolutionnaire, pour mettre en cause le système à travers lui. Le peuple français a instrumentalisé Jean-Marie Le Pen pour en faire une machine contre le système. »

• Aussitôt après cette interview de Saint-Affrique, une interview du volubile Daniel Cohn-Bendit, à Bruxelles, en député (vert allemand) européen. Cohn-Bendit n'est jamais loin de la France dans ses pensées. Il recommande de voter Chirac. Il balaie toutes les objections qui ne cessent de tarauder les électeurs de gauche. « Il faut voter Chirac, parce que voter Chirac, ce n'est pas voter Chirac. C'est voter dans un référendum contre la haine. S'il y a 80 ou 90% de voix pour Chirac, ce sera en réalité contre Le Pen. Il faut instrumentaliser Chirac pour battre Le Pen. »

Évidemment, ce qui doit nous arrêter est la similitude des termes, du propos, de la conception. Il s'agit d'instrumentaliser les deux candidats, donc d'arriver à une situation inverse à celle qui est en général dénoncée : ce ne sont plus les hommes politiques qui manipulent les électeurs mais les électeurs qui manipulent les hommes politiques en leur faisant dire autre chose que ce qu'ils veulent dire, — un peu comme si la démocratie “renvoyait l'ascenseur” à ceux à qui elle est d'abord destinée. Ce sont des interprétations très intéressantes, malgré qu'un des intervenants (Cohn-Bendit) soit très idéologique et médiatisé, parce qu'elles battent en brèche les explications convenues du monde de la communication. Ce qu'il nous importe de mettre en évidence ici, en signalant ces deux hypothèses, c'est une hypothèse générale pour les coiffer et mieux en rendre compte : nous sommes dans une situation révolutionnaire, non à cause d'une situation politique donnée mais à cause du heurt frontal entre l'intense virtualisation de cette élection et la réalité du monde (du monde français). De langue de bois en langue de bois (celle de Chirac, celle de Le Pen, celles des commentateurs de Chirac et de Le Pen venues de la société médiatique et ainsi de suite), la confusion est telle que la virtualisation générale maintenue par le système commence à connaître des secousses sévères. Dans ces conditions affleurent des réalités jusqu'ici dissimulées et contenues. Concrètement, nous voulons dire ceci : il nous apparaît maintenant qu'en cas de victoire de Chirac, ce qui nous paraît rester l'hypothèse la plus probable, tout ne redeviendra pas comme avant. Un choc s'est produit, qui est devenu de plus en plus grand au fur et à mesure qu'on le réalisait, qu'il conviendra alors d'interpréter pour être prêt à en mieux observer les effets. Après avoir travaillé à interpréter 9/11, s'ajoute désormais le travail d'interprétation de 4/21, dans le cadre français mais surtout dans un cadre plus général car 4/21 a une signification qui dépasse la France elle-même.

(N.B. : c'est à partir de cette hypothèse de travail que nous allons développer notre réflexion dans notre rubrique de defensa, dans notre numéro 16, Volume 17, de notre Lettre d'Analyse de defensa.)

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