Greenwald est-il le véritable whistleblower de la crise ?

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Greenwald est-il le véritable whistleblower de la crise ?

Un phénomène intéressant est en train de se produire sous nos yeux, notamment à l’occasion d’interventions publiques de Glenn Greenwald, dont deux très récentes interventions et l’une, la plus explosive, dans un talk-show de la chaîne ARD allemande, reproduite par le Spiegel. Il s’agit d’une sorte de substitution de facto du rôle de whistleblower, dévolu évidemment et primitivement à Edward Snowden, au profit du fameux journaliste US, résidant à Rio de Janeiro et travaillant en semi-autonome au sein du Guardian. Ces derniers détails, – USA, Brésil, Royaume-Uni comme points centraux caractérisant Greenwald, – donnent bien une dimension “globalisée” à Greenwald et à son action, et justifient d’autant le rôle qu’il acquiert dans la gigantesque crise Snowden. Cette transformation subtile et pourtant très profonde, est d’une importance considérable en contribuant à “éclater” encore plus la crise Snowden en plusieurs “sous-crises” ou “crises parcellaires” de la crise principale, avec l’idée que certaines de ces “crises parcellaires” peuvent jouer un rôle plus important que la crise centrale.

(C’est un peu ce que nous laissions entendre dans notre texte du 15 juillet 2013, pourtant en ne réalisant pas la portée des remarques que nous faisions, qui impliquaient la transmutation éventuelle de Greenwald dans le véritable whistleblower de la crise ... «On comprend alors également qu’il tend de plus en plus à y avoir deux “affaires Snowden”, ou deux “crises Snowden” spécifiques au niveau des publications : celle qui se développe publiquement, telle qu’on la voit et qu'on en lit les effets, et l’autre, qui concerne les “autres” documents du “fonds Snowden”, les “documents explosifs” dont Greenwald a parlé à ‘La Nacion’. Il ne nous paraîtrait pas étonnant si ces deux “crises“ se développaient de plus en plus séparément l’une de l’autre, la seconde tendant éventuellement à prendre de plus en plus d’importance, notamment si des désaccords apparaissaient entre Snowden et certains de ces soutiens sur l’opportunité de ne pas publier ou de publier ces documents, – comme on le voit déjà, avec l’avis de Greenwald sur les processus de fonctionnement de la NSA, contraire à celui de Snowden... A notre sens, la “crise Snowden”, dans sa mesure la plus large, est loin, très loin d’être finie.»)

Les deux interventions de Greenwald, à deux jours d’intervalle (les 17 et 19 juillet) apportent toutes les deux des détails très intéressants sur les diverses conditions de l’aspect des révélations en cours de la crise, et des conditions qui les accompagnent. Ces deux interventions confirment évidemment l’activité extrêmement puissante et suivie de Greenwald dans cette crise.

• Le premier texte est un rapport de Russia Today d’une intervention de Greenwald faite auprès de NBC.News le 17 juillet. Le texte cité ici est du 18 juillet 2013. On notera d’une façon préliminaire ce point important que Greenwald, évoquant le nombre grandissant d’actions légales lancées par des personnes et des associations, aux USA, contre le Federal Intelligence Security Act en mettant en doute sa constitutionnalité, observe : «There a lot of encouraging and gratifying trends», en laissant ainsi entendre également que l’action générale entreprise par Snowden et relayée par lui-même bénéficie d’un nombre grandissant de concours et d’aides diverses. D’autre part, Greenwald parle principalement, dans cette intervention, du rôle et de la position de Snowden et, par conséquent, des siens propres. Il s’agit bien de la confirmation d’un effacement complet de Snowden, dans tous les cas pour l’instant et pour les raisons qu’on connaît bien, et de la prise en charge complète du développement des publications dans cette crise par lui-même (Greenwald).

«Edward Snowden is unlikely to make new revelations since “he doesn’t want to end up in a cage like Bradley Manning”, said The Guardian journalist Glenn Greenwald, adding that he himself decides what to publish from the thousands of leaked documents. “I think there’s a real misconception over whether he’ll continue to leak,” Greenwald, who helped publish the leaks made by Snowden, told NBC News. “He turned over to us many thousands of documents weeks and weeks ago back in Hong Kong and we’ve been the ones deciding which stories get published and in which order. As far as I know he doesn’t have any intention of disclosing any more documents to us,” the Brazil-based journalist continued.

»Greenwald confirmed he has thousands of documents from Snowden in his possession, but so far no government agency has requested that he turn them over. “I don’t think that the US government thinks trying to pressure us or me out of continuing to publish these stories will do them any good, and so as far as I know, there hasn’t been any kind of pressure like that,” Greenwald said.

»The Guardian journalist explained why Snowden had to flee the US and seek political asylum in countries that can stand up to the US in the international arena. [...] “Of course he has to go somewhere. There are very few places in the world willing to stand up to the United States and demand his rights under the law be protected,” the journalist said.

»“Obviously he isn’t going to Venezuela or Ecuador or Bolivia or Nicaragua or Russia or wherever he ends up because he thinks they’re bastions of civil liberties protections,” Greenwald added. “He’s going there because as Daniel Ellsberg said in a Washington Post Op-Ed, this country is no longer safe for whistleblowers.” The journalist pointed out that Snowden’s “choices are very limited and he’s trying to make sure that he doesn’t end up like Bradley Manning, put in a cage, rendered incommunicado. He wants to participate in the ongoing debate that he helped provoke and that’s what’s guiding his choices.”»

• La seconde intervention est rapportée le 19 juillet 2013 par le Spiegel allemand. Greenwald y parle beaucoup moins de Snowden, et beaucoup plus de lui-même, cela indiquant combien ses divers interlocuteurs des médias s’intéressent de plus en plus à lui plus qu'à Snowden et, par conséquent, entérinent de facto le rôle qu’on tente d’analyser ici. Bien entendu, on comprend que Greenwald est totalement libre d’agir au contraire de Snowden, mais cette totalité de “liberté d’action” qui le conduit à cette position du substitution de Snowden l’expose également de plus en plus, à tous les risques possibles. D’une part, on voit confirmée la question fondamentale de la sécurité de Greenwald pour lui-même ; d’autre part, on obtient pour la première fois des informations précises sur la masse de documents qu’il possède, désormais comptabilisée au-delà de la vague indication de ”milliers de documents” : de 9.000 à 10.000... Enfin, l’annonce d’une nouvelle livraison explosive, surtout pour l’Allemagne. (Ce dernier point, on le comprend, ne va pas arranger les affaires de Merkel.)

«Are new revelations from the NSA data trove going to drop in the next few days? Speaking on a political talk show on German public broadcaster ARD on Thursday night, Glenn Greenwald said he expected stories to appear in the coming days that would be even “more explosive” in Germany than reports previously published about cooperation between the National Security Agency and German intelligence authorities. [...] He told host Reinhold Beckmann that he and journalist Laura Poitras had obtained full sets of the documents during a trip to Hong Kong, with around 9,000 to 10,000 top secret documents in total. Greenwald said they had been in possession of the data for around seven weeks and had not had a chance to analyze all the material, noting that some of the documents were extremely complicated. “We're working on it,” he said.

»Asked by the host about his own security, Greenwald said he felt “threatened in the sense that there are very prominent American politicians and even American journalists who have called for my arrest, who have called me a criminal.” He added, “There's a very robust CIA presence where I work, in Rio de Janeiro,” and when you have very secret documents from the world's most powerful government, “you definitely think about your security.” He told Beckmann he carries the data with him at all times, but also that other copies have been stored on the Internet.

»Greenwald said he maintains regular contact with Snowden using encrypted chat technologies. Snowden, he said, “knew that the choice he was making” when he leaked the data “would submit him to serious risks and would make him the most wanted man in the world.” Still, he said Snowden is convinced “it was the right choice.” Snowden is currently in the transit area of Moscow's international airport awaiting a decision on his application for temporary asylum in Russia.»

• On ajoutera une nouvelle intéressante concernant Greenwald, venue de la publication où il travaillait avant de passer au Guardian, il y a près de deux ans. Salon.com annonce, le 18 juillet 2013 un livre de Greenwald sur la crise Snowden/NSA. Les dispositions sont déjà prises, contrat signé, etc., avec Metropolitan Book, pour une parution en mars 2014: «According to publisher Metropolitan Books, an imprint of Henry Holt, the book will “contain new revelations exposing the extraordinary cooperation of private industry and the far-reaching consequences of the government’s program, both domestically and abroad.”»

Glenn Greenwald est en train de créer une nouvelle catégorie de journaliste, enquêteur et commentateur à la fois, qui ramène au niveau du ridicule et de la banalité pompeuse les grandes plumes de la presse-Système, du type du gros Tom Friedman (d’ailleurs plutôt “grasse plume” que “grande”, comme on le voit avec quelques détails donnés notamment sur les rémunérations et la fortune de cette masse de médiocrité que représente Friedman, l’oracle du New York Times, vivant dans une maison évaluée à $9,3 millions, – à lire sur FAIR, le 1er juillet 2013). Le fric et la sottise distillant l’ennui et la platitude des journalistes en place au cœur du Système dégagent par complet contraste le nouveau type d’homme de communication que définit Greenwald : à partir d’une position antiSystème au sein d’un système de la communication avec sa tendance Janus, sa transformation en organisateur et homme d’action antiSystème, décidément dans le seul domaine qui compte aujourd’hui (la communication, certes) pour déplacer les capacités du pouvoir et donc de la puissance. Greenwald n’a rien d’un géopoliticien maniant les grandes hordes de la puissance toute entière amassée sur l’aspect quantitatif du technologisme, mais il dispose de l’influence bâtie sur un activisme antiSystème sans faille, sans compromission et exercé pour “l’amour de l’art” et par haine du Système, qu’il parvient à transmuter en des actes décisifs dans leurs conséquences. La différence est que la puissance géopolitique qui fait rêver les experts-Système passe de très longues et minutieuses années parcourues d’odes à la gloire d'elle-même, à ne pas attaquer l’Iran comme promis tous les trois mois et à ne pas faire tomber Assad de Syrie comme annoncé chaque semaine pour la semaine prochaine ; tandis que Greenwald se balade avec son I-pad bourré de documents qui sont rendus publics avec régularité et ne cessent d’ébranler le Système à coups de révélations qui sont autant de coups de boutoir. En d’autres termes, qui détermine l’essentiel aujourd’hui : l’U.S. Navy avec ses porte-avions qui n’attaquent pas et qui attendent les dernières nouvelles de la séquestration pour continuer à naviguer, ou Greenwald qui gère le “fonds Snowden” avec une maestria excellente ?

Pour cette raison, notamment et parmi tant d’autres, nous observons effectivement que tout se passe comme si Greenwald devenait le véritable whistleblower, suppléant à Snowden qui se trouve en position de paralysie. Le Système, lui, a choisi de foncer comme un buffle contre l’homme qui ne sert plus à rien, dans cette crise, sans comprendre que le danger pour lui a complètement changé d’identité. Le Système est toujours en retard d’une crise, et ceux qui restent fascinés par lui, même s’ils prétendent le combattre, en déduisent, que la crise Snowden-Greenwald est un montage, ou bien qu’elle en cache d’autres bien plus graves, ou bien qu’elle n’existe pas. Ils nous confirment par conséquent de c’est bien ici, avec Greenwald & Cie, que les choses se font, dans la crise d’effondrement du Système : il suffit de ne pas voir par où le Système s’effondre pour garantir son effondrement.


Mis en ligne le 20 juillet 2013 à 10H52