France et Europe, paralysies convulsives

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France et Europe, paralysies convulsives

Il faut reconnaître à Jacques Sapir une opiniâtreté digne d’éloge. L’économiste qui se réclame loyalement et sans discontinuer de la gauche conduit, avec Michel Onfray, le philosophe “qui se réclame loyalement et sans discontinuer de la gauche”, l’essentiel d’une réflexion publique constructive. Ils sont tous deux régulièrement voués aux gémonies.

Cette situation est complètement paradoxale. Ces deux hommes de gauche interviennent avec régularité et une résilience remarquable contre le sectarisme de la gauche “institutionnelle”, dont le véritable statut devrait être définie comme la gauche-Système (l’aile gauche du Système), tenue par ses démons idéologiques et surtout la pensée emprisonnée qui va avec (cette gauche-là dans laquelle il faudrait décidément se décider, si les choses continuent comme elles vont, à mettre un Mélenchon, ce qui serait d’une extrême tristesse et procurerait un grand désappointement). Ces deux “hommes de gauche” sont donc principalement, sinon exclusivement critiqués, dénoncés, attaqués jusqu’à la diffamation par la gauche. Ces mêmes deux “hommes de gauche” recommandent, ouvertement pour l’un (Sapir), implicitement avec l’autre (Onfray) une sorte d’“union nationale”, ou de “front” c’est selon, dont le thème de rassemblement serait la référence principielle fondamentale du souverainisme (souverainisme de gauche et souverainisme de droite), et qui s’adresse en partie à la droite hors-Système ou antiSystème puisque cette droite-là existe. “En face d’eux” justement, cette droite-là est pourtant absente du débat, non qu’elle soit inexistante ciomme on l'a dit mais parce que les voix essentiellement ou éventuellement souverainistes se taisent ou sont étouffées c’est selon, par désenchantement du jugement ou par “diabolisation” de situation. Rarement on vit une situation aussi hystériquement bloquée, aussi convulsivement paralysée en France, où personne n’est plus capable d’établir, et encore moins de maintenir une situation de contrôle combinant projet cohérent et pouvoir effectif, à commencer par les partis-Système (type-UMPS pour garder l’ancienne identification si chantante) qui gardent serrés les débris du pouvoir effectif et totalement inopérant, et n’ont strictement plus aucun projet cohérent de quoi que ce soit, sinon celui de combiner l’entraînement du navire à vau l’eau et la navigation du susdit à la dérive.

Mais revenons-en à Sapir plus précisément. C’est certainement lui qui, par goût et par situation, s’agite avec le plus d’alacrité pour tenter de forger une ouverture qui puisse conduire à la possibilité de l’établissement de ce qu’il nomme expressément “un front”. C’est lui qui a l’esprit le plus ouvert “à gauche” pour conduire une critique extrêmement précise et constructive des positions des différentes gauches “institutionnelles” d’une part, des prétentions antiSystème d’une certaine gauche qui se voudrait effectivement antiSystème mais qui ne résiste pas à l’“institutionnalisation”, qui est simplement un faux-nez pour une acceptation de l’emprisonnement dans le Système. Il le fait, qui plus est, dans une optique européenne en considérant les récentes tentatives d’organiser une sorte de rassemblement connu sous le nom de “Plan B”, qui semblerait se constituer en une déclaration commune d’hostilité à l’euro à la suite de l’affreuse et terrible crise grecque mais qui s’avère surtout être l’occasion de mettre en évidence nombre de confusions et de malentendus.

C’est lui aussi, Sapir, qui a l’esprit le plus large et la conception la plus réaliste pour tout l’éventail politique, sachant parfaitement que le problème français central, ultime, évident, est de concilier l’existence et l’évolution du Front National avec l’idée de constituer un front souverainiste ayant comme principal mot d’ordre tout ce qu’il y a d’évidemment antiSystème dans cette démarche (sortir de l’euro, reconsidérer toute la position de la France vis-à-vis de l’UE, prendre ses distances des USA et éventuellement sortir de l’OTAN, établir de meilleures relations avec la Russie, etc.) ; parce qu’il est évidemment acquis qu’un tel “front”, pour exister d’une façon utile et peser d’une façon efficace sur la politique, ne peut se passer de l’énorme poids populaire du FN. Qu’une telle idée puisse provoquer tant de réactions frisant la crise de nerfs et ce déferlement d’affectivisme permet de mesurer quel obstacles considérables restent à être levés pour parvenir à un résultat qui soit le début de l’esquisse de l’entame d’une évolution satisfaisante du problème envisagé.

Nous allons emprunter à Sapir deux textes qui traitent de ces deux problèmes ainsi mis en évidence. Ces textes permettent de situer l’état actuel de la situation, aussi bien dans les évènements que dans leurs principes. Le premier concerne donc l’opération européenne “Plan B” dont il (Sapir) détaille combien elle met d’abord en évidence les divergences des acteurs de ce rassemblement, ainsi que leurs différences de position. Sapir pondère sans aucun doute son jugement d’une approche extrêmement mesurée et rationnelle, mais il ne peut empêcher la perception que l’union de certaines forces (“de gauche”) qui s’était faite au moment du paroxysme de la crise grecque tend à s’enliser dans l’absence d’un but clair et précis. Les acteurs tels qu’ils sont considérés restent prisonniers de contingences politiques, économiques et sociales qui diffèrent d’un pays à l’autre. Il n’existe pas chez eux une identification claire et précise de l’adversaire qu’ils doivent affronter, c’est-à-dire ce que nous nommons le Système, qui est un bloc monolithique, qui ne s’embarrasse en aucun cas de nuances et d’à-peu-près.

Tous ces partenaires ont sans aucun doute des velléités antiSystème louables mais tous gardent plus ou moins un pied dans le Système, certains en fonction des contraintes de la démocratie qui est toute entière manipulée par le Système, d’autres à cause de la singularité de leurs positions, et ainsi aucun n’a pleinement réalisé ce que cela signifie que d’être antiSystème d’un point de vue opérationnel, c’est-à-dire d’afficher clairement comme but la reconquête de leur souveraineté par leurs pays. L’absence de cette référence principielle fondamentale constitue, selon Sapir et selon une logique qui rencontre complètement nos analyses courantes, une terrible faiblesse pour ces divers combattants européens. Leur détermination en souffre, et plus encore l’unité qui est nécessaire pour une telle bataille. Le “Plan B” en est là, et il est certain qu’il faudra au moins un “Plan C”, et même au-delà dans l’alphabet avant de parvenir à constituer ce que Sapir nomme un “front” ... Et encore ne s’agit-il que d’un “front des gauches” tant il est vrai que même entre les gauches européennes, où l’on s’aime bien pourtant, il est aujourd’hui impossible de constituer un “front”. (Ce premier texte est sur Sputnik-français, le 21 septembre 2015.)

Le second texte, qui est directement sur le blog de Jacques Sapir le 24 septembre 2015, est, sous forme d’une réponse à un article d’un dénommé Bruno Roger-Petit, l’illustration de l’extrême difficulté, non pas de s’allier au FN, non pas de se rapprocher du FN ou de constater que le FN évolue d’une façon qui perme de penser qu’on peut s’en rapprocher, mais simplement l’illustration de l’extrême difficulté sinon l’impossibilité de parler du FN en un langage autre que celui de l’anathème et de l’hystérie de la pensée et des mots, développés d’ailleurs, ou parfois, dans une sorte de neutralité d'automate, tout cela composant la manifestation majeure de ce que nous nommons affectivisme ; c’est-à-dire cette chose, cette pandémie de la psychologie qui a complètement investi la réflexion et subverti la raison, qui ne garde de politique que l’artifice de la présentation. Cette réalité totalitaire de la vie publique en France depuis une bonne trentaine d’années n’a cessé de se renforcer, ce qui constitue un phénomène inhabituel où l’usure du temps et où l’excès d’usage n’ont aucune prise et semble même aiguiser la forme ; jusqu’au résultat actuel d’une monstruosité indescriptible de ce qu’on a de la difficulté à qualifier de “débat public”,  sinon, pour mieux en rire de dérision, de “débat–citoyen”. Même dans les affirmations de “banalisation”, de “dédiabolisation” du FN qu’on entend par périodes depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, on trouve cette même forme active d’affectivisme, avec anathème et hystérie, même chez ceux qui ne sont pas nécessairement opposés à cette “banalisation” et à cette “dédiabolisation”. Cela conduit à admettre que la raison n’a aucune prise sur cette sorte de discours, et celle de Sapir, avec tous ses arguments mesurés et logiques, ses propres actes et les faits qu’il rappelle tous aussi incontestables, n’a strictement aucun effet. C’est une situation intéressante, bien illustrée a contrario par le texte de Sapir, parce qu’une telle situation ne renvoie plus à une campagne anti-FN, à un aspect même extrême du débat politique, mais bien au débat interne aux forces du Système en France qui se déroule comme un déchaînement d’affectivisme dans la salle de détente de l’hôpital psychiatrique.

Le texte de Sapir nous fait comprendre qu’il n’y a rien à faire dans le sens où lui-même voudrait voir une action politique se développer, avec toute la mesure et toutes les bornes qu’il prend bien soin de décrire, mais qu’il existe au contraire une situation qu’on peut difficilement décrire tant elle est sans précédent, qui n’a rien à voir ni avec la droite, ni avec la gauche, ni avec le pseudo-néo-fascisme ou autre gâterie du genre, et tout avec une pathologie de la psychologie qui touche les élites-Système en France. C’est pourquoi nous plaidons souvent l’hypothèse que la “question du FN” ne pourrait être résolu que par un événement de rupture, qui frapperait d’abord et même essentiellement les psychologie, avant d’être politique, et malgré qu’il puisse être politique, et bien entendu sans savoir en aucune façon où tout cela conduirait. (Nous citons souvent l'hypothèse de l’élection à la présidence de Le Pen, non comme évènement politique mais comme événement dans le domaine fondamental des effets psychologiques imprévisibles que susciterait à l’instant même de sa connaissance cet événement.)

Voici donc les deux textes de Sapir, qui font finalement partie de la description d’un paysage complètement figé, soit lunaire, soit désertique si l’on veut, qui est celui de l’Europe et de la France, – mais un paysage lunaire et désertique secoué sourdement, hystériquement, convulsivement, par d’énormes tensions telluriques dont nul ne sait rien précisément et contre lesquelles nul ne peut absolument rien.

dedefensa.org

 

Une fête pour rien ?

La crise d’orientation s’approfondit au Parti de Gauche. La réunion du samedi 12 septembre à la Fête de l’Humanité en a fourni une nouvelle, et décisive illustration. Incapable de préciser sa position sur la question de l‘euro mais aussi de la souveraineté, le Parti de Gauche reste prisonnier d'alliances électorales aléatoires qui rendent sa ligne politique toujours plus illisible.

L'idée de réunir des protagonistes européens du fameux « plan B » était au départ excellente. Et le débat de samedi après-midi, en dépit de la pluie, fut fort intéressant. Mais il s'agissait avant tout d'une réunion visant à populariser l'idée de ce « plan B ». Pourtant, quand on regarde la substance des discours qui ont été tenus, et tout en accordant à chacun le bénéfice d'une qualité dans ce qui a été dit, il est clair que cela n'offre nul débouché politique.

Les participants, de Jean-Luc Mélenchon à Yannis Varoufakis, en passant par Stefano Fassina et Oskar Lafontaine, ne se situent pas au même niveau politique. Seul, Mélenchon dirige un parti politique. Lafontaine a été marginalisé au sein de Die Linke qu'il a pourtant contribué à créer, Varoufakis est aujourd'hui une personnalité isolée en Grèce (largement de son propre fait), et Stefano Fassina a quitté le Parti démocrate.

Les désaccords entre ces personnalités sont cependant évidents et nombreux. Fassina et Lafontaine sont désormais sur une position clairement anti-euro. C'est bien moins clair pour Yanis Varoufakis, qui se pose en défenseur d'un « euro démocratique », et c'est confus en ce qui concerne Jean-Luc Mélenchon en fonction du contexte et de ses déclarations. Qu'est-ce qui pouvait donc unir ces quatre hommes? Bien entendu, l'opposition aux forces dominantes de la gauche, qu'il s'agisse du SPD en Allemagne, du PS en France, du Parti Démocrate en Italie, les rassemble. Tout comme les rassemble leur opposition à la politique de l'Union européenne. Mais, cette opposition à bien du mal à se concrétiser sur un projet clair.

Cette réunion a donc été un moment de débat, dont l'avenir seul nous dira s'il fut ou non fructueux. Mais, elle ne peut cacher des incohérences de ligne politique, qui ont été rendues évidentes par la décision du Parti Communiste de s'allier plutôt avec le PS et la volonté d'autonomie d'EELV. Le problème de l'orientation politique du PG est posé: s'inscrit-il dans une critique acceptable par le PS, comme le font les supposés « frondeurs » de ce parti ou dans une critique radicale? Cette critique intègre-t-elle la question de la souveraineté et de l'Euro? Et si cette critique est réellement radicale, quelle logique d'alliance doit-on en tirer? Nous voici revenu à la question des « fronts » qu'avait évoquée Stefano Fassina cet été.

Cette crise de stratégie n'est d'ailleurs pas nouvelle au Parti de Gauche. Car, la question actuelle n'est plus celle du modèle allemand, ou plus exactement du modèle que l'Allemagne cherche à exporter en Europe, mais bien celle de la souveraineté. Le point sur lequel on attendait Jean-Luc Mélenchon était donc celui de la souveraineté, soit pour en avoir le cœur net soit infiniment brouillé.

Tout le monde aujourd'hui comprend que la question de la souveraineté est aujourd'hui la question centrale du débat politique en France. Elle l'est à plusieurs niveaux, que ce soit par rapport à l'exercice concret de la démocratie ou que ce soit à un niveau plus fondamental par rapport à ce qui concerne la constitution d'une communauté politique. Mais, la souveraineté importe pour d'autres raisons aussi. L'histoire nous apprend que la formation de l'Etat se fait dans un double mouvement de la formation de la Nation, comme entité politique, et du Peuple comme acteur collectif. C'est la question du double mouvement de constitution et de la Nation et du Peuple qui est en réalité posée. Et c'est pourquoi la souveraineté est aujourd'hui un concept fondamental et décisif dans les combats politiques de l'heure.

La question alors se pose de la cohérence entre les actions qui se déroulent dans le temps politicien et celles qui se placent dans le temps politique. On le répète, il ne faut y voir nulle critique quand à des alliances transitoires. Que de telles alliances soient à un moment nécessaires est indiscutable. Mais, si elles se font au détriment de la cohérence politique, il y a là un véritable problème. Or, si l'on comprend bien la proximité qui peut exister entre la notion d'écosocialisme et les thèses d' EELV, on reste perplexe devant une alliance entre des européistes (EELV) et un parti qui, certes de manière maladroite et incomplète, se réfère néanmoins à la souveraineté.

Disons aussi que ce manque de cohérence semble être une maladie qui frappe l'ensemble de la classe politique française. Ce n'est pas, et de loin, une exclusivité de la gauche radicale. Parfois même, cette incohérence s'accompagne d'une immense hypocrisie, comme sur la question des réfugiés et des migrants, où l'on condamne les barbelés hongrois alors que l'on en érige à Calais, et que l'on est fort heureux de ceux construits par l'Espagne à Ceuta et Melilla.

La question de la souveraineté impose à ceux qui en parlent de faire preuve de cohérence. On peut, certes, renoncer à cette notion. Mais, alors, sachons qu'en réalité nous renonçons à la Démocratie et à l'ensemble des luttes sociales. Ou alors, affirmons clairement notre attachement à cette notion, même si on peut en faire différents usages. Mais, la notion de souveraineté est appelée aujourd'hui à faire frontière.

Jacques Sapir

 

Mensonges

Monsieur Roger-Petit n’aime pas ce que j’écris. C’est son droit le plus strict. Mais cela ne lui donne pas le droit de mentir, ce qu’il a fait dans les dernières colonnes du magasine Challenges qui appartient au même groupe que le NouvelObs. Ces mensonges pourraient n’être qu’anecdotiques. Ils sont communs dans une partie (et une partie seulement) de la gens journalistique. Mais ces mensonges viennent dans un contexte qui n’est pas sans conséquences. La question de la souveraineté est posée, et avec elle celle de la légitimité d’un pouvoir électoralement aux abois. Il est d’ailleurs savoureux de constater que le P« S » nous ressort une variante du « moi ou le chaos » que Mitterrand en son temps dénonçait à la veille d’élections régionales qui promettent d’être catastrophiques. De ce point de vue, ces mensonges sont symptomatiques.

Revenons sur le contexte immédiat. L’article de Roger-Petit se veut une réaction à une interview de Thomas Guénolé publiée sur FigaroVox. L’argument de Guénolé est assez simple, mais efficace. Il constate que le débat public autour des idées de Michel Onfray et des miennes traduit un retour en force de la gauche du « non » au référendum de 2005. Et c’est bien cela qui énerve Roger-Petit. Seulement, tout à son énervement, il passe la ligne que tout journaliste devrait s’interdire de franchir. Il le fait avec des précautions de jeune pubère de 12 ans devant sa première femme ; que l’on en juge : « Guénolé ne dit pas autrement que Michel Onfray, qui lui-même ne dit pas autrement que Jacques Sapir, économiste réputé proche du Front de gauche et qui aujourd’hui déclare que si l’on est de gauche, il faut s’allier au FN, au nom du souverainisme salvateur ». Remarquons la construction alambiquée de la phrase « Guénolé dit ce qu’Onfray dit ce que Sapir dit… ». A votre âge, Monsieur Roger-Petit, les testicules sont bien descendus dans les bourses que l’on sache. Quitte à mentir, faites le plus directement. Car, je n’ai jamais écrit nit dit « (qu’) il faut s’allier au FN, au nom du souverainisme salvateur ». Ce que j’ai dit, que ce soit dans l’interview accordée à FigaroVox ou dans différentes notes sur le carnet RussEurope est très différent. J’appelle, à la suite de Stefano Fassina, à un front des opposants à l’Euro. J’en exclus aujourd’hui le FN mais, considérant les évolutions de ce dernier, ce qu’un autre journaliste de Challenges semble avoir lui aussi remarqué, je dis aussi qu’à terme cette question se posera à l’évidence. (1) Dire cependant qu’une question est posée n’induit pas sa réponse, sauf à adopter la logique inquisitoriale qui est celle, visiblement, de Roger-Petit. Quand j’écris sur la version de l’interview publiée sur Russeurope que « La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. A terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée », je ne fais qu’énoncer une vérité. Oui, la question des relations avec le FN ou le parti lui succédant sera posée (notons le futur) mais le dire n’implique rien quant à la réponse qui pourra être donnée à cette question. Et ceci pour la bonne raison qu’aujourd’hui nous ne savons pas quelles seront les évolutions futures de ce parti.

Notons aussi que le sieur Roger-Petit ne comprend visiblement pas la différence qui existe entre une « alliance » et un « front ». Pourtant, s’il se donnait la peine de lire, il verrait que j’explique très précisément ce qu’il faut entendre par un « front » : « Un « front », et tout particulièrement un « front de libération nationale », implique la participation de courants extrêmement divers. La formule des « fronts de libération nationale » s’applique si l’on considère que le pays est en voie d’assujettissement par une puissance étrangère. Il est évident qu’elle implique des divergences importantes entre ses membres,… L’alliance du Parti Communiste chinois avec le Guomindang dans le « front uni antijaponais » (1936-1937 à 1945) est au contraire un exemple de cette logique des « fronts de libération nationale »…. C’est ici clairement un « front » entre anciens ennemis. »

Mais, le sieur Roger-Petit n’a visiblement pas le temps de lire. Baste, mentir prend du temps ; cela occupe…Car ce mensonge n’est pas le seul. Au paragraphe suivant de son papier cet auteur écrit : « Relisons ce que préconisent Guénolé et ses camarades du “Non de gauche” en guise de programme économique et social : sortir de Schengen, pratiquer l’immigration choisie, sortir de l’Euro… C’est le programme du FN, ni plus, ni moins ». Sauf que la sortie de Schengen est demandée par d’autres partis que le FN, que l’immigration choisie figure dans le programme de l’ex-UMP rebaptisée « Les Républicains » et que la sortie de l’Euro figure au programme de très nombreux groupes et mouvements. Mais, il faut ici comprendre ce qui se passe dans la cervelle retorde de Roger-Petit. C’est un raisonnement d’amalgame, assez plaisant pour un auteur qui ne cesse par ailleurs de dire « pas d’amalgame ». Si le FN dit qu’il fait beau un bon matin, tous ceux qui ferons la même constatation seront nécessairement d’accord avec le FN. Sophisme admirable ! Et dont on voit bien l’utilité politique immédiate. Alors que se profilent des élections que les sondeurs prévoient catastrophiques pour le P« S », on cherche à déconsidérer toute opposition réelle ou potentielle à ce parti aux abois. En un sens, Roger-Petit se situe au même niveau qu’un Cambadélis, quand ce dernier prétend organiser un « référendum sur l’unité de la gauche ». Il n’est plus journaliste, il est devenu un simple militant politique.

Ce n’est pas moi qui lui en ferait le reproche, ayant été pendant une partie de ma vie militant politique. Mais, ce qu’il faut lui reprocher, c’est de se couvrir du nom de journaliste pour faire sa propagande. Qu’il aille donc la faire dans un bulletin ou un tract du P« S ». Au moins, là, les choses seront claires.

Cela pose la question de savoir ce qui fait la propagande du FN, et ce qui est susceptible de lui attirer des voix. Ce ne sont nullement ce que disent, ou sont supposés dire, des intellectuels. Il faut donc rappeler des vérités que j’ai affirmées le 21 septembre sur les ondes de RMC devant Jean-Jacques Bourdin. Ce que j’ai dit que je le répète est qu’il y a aujourd’hui trois raisons très profondes qui peuvent pousser nos compatriotes à s’en remettre au vote FN.

La première raison, c’est la politique de ce gouvernement qui se prétend « de gauche » mais qui applique l’une des pires politiques de droites que la France ait connue depuis bien des années. C’est là l’origine réelle de la « confusion » dont beaucoup de gens parlent mais dont bien peu osent affronter la réalité. Le démantèlement du droit du travail tout comme des mesures économiques et sociales qui sont réactionnaires au premier sens du terme, seront tout ce qui restera de ce gouvernement.

La seconde raison est que l’ex-UMP n’apparaît pas comme une alternative à cette politique. Et pour cause ; outre les scandales multiples que ce parti traine derrière lui, outre le bilan catastrophique de son exercice du pouvoir sur lequel aucune autocritique n’a été faite (par exemple sur la Libye…), ce qu’il propose c’est d’aller plus loin, de faire encore pire, que ce que fait le gouvernement actuel. Les électeurs le sentent bien, ainsi que le militants qui se détournent de ce parti rebaptisé « Les Républicains », que ce dernier n’est nullement une alternative au pouvoir actuel.

La troisième raison est que la seule force d’opposition à gauche, le Parti de Gauche et le Front de Gauche, qui a pourtant un véritable boulevard devant lui, s’avère incapable de le prendre en raison de ses incohérences et de ses inconséquences. La responsabilité de l’opposition de gauche est à la mesure de ses taches historiques. En refusant de s’y confronter véritablement, et d’assumer clairement la question de la souveraineté comme question centrale de la période politique, elle est aussi responsable de la montée électorale du FN.

Jacques Sapir

Note

(1) J’écris ainsi dans un note datant du 23 août : « …on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front » du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher. Cette question ne peut être tranchée aujourd’hui. Mais il faut savoir qu’elle sera posée et que les adversaires de l’Euro ne pourront pas l’esquiver éternellement. Elle impliquera donc de suivre avec attention les évolutions futures que pourraient connaître ce parti et de les aborder sans concessions mais aussi sans sectarisme ». Sapir J., « Sur la logique des fronts » in RussEurope.

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