Fin de la McPeace Theory et de la globalisation

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Fin de la McPeace Theory et de la globalisation

L’un des instruments les plus efficaces de la civilisation américaniste, de la popular culture de la globalisation, l’une des marques les plus profondes et les plus pesantes du génie de notre époque, ce fut, à part des années 1990 où la bataille de la transformation du monde était engagée, le “McDo”, contraction sympathique et attrayante de la bouffe la plus affriolante du monde. Bovet, du temps de ses moustaches encore conquérantes, désignait cela comme la “malbouffe”, et les élites américanistes étaient très fières de pouvoir affirmer l’empire américaniste avec un produit d’une telle vulgarité qu’il n’était pas nécessaire d’expliquer plus avant ce qu’était l’américanisme. Bref, on était entre nous, et l’“hyperpuissance” à-la-Védrine pouvait rugir de satisfaction vaniteuse. McDo avait si bien réussi son coup de RP qu’il nous avait fait avaler, entre deux produits de la finesse que l’on sait, sa théorie de la paix universelle, – la McPeace Theory.

... Le 12 août 1996, le gros Thomas Friedman, le plus fameux et le plus influent des éditorialistes du New York Times, et prédicateur des temps nouveaux avec une plume d’une lourdeur légendaire et ses maximes à mesure, avait effectivement écrit que nous entrions dans une ère de Pax Americana marquée par le triomphe de McDo : «So I've had this thesis for a long time and came here to Hamburger University at McDonald's headquarters to finally test it out. The thesis is this: No two countries that both have a McDonald's have ever fought a war against each other.» La “paix par McDo”, la McPeace Theory ! Le 28 mars 1999 dans le New York Times Magazine, on avait une avancée de plus de cette fine pensée grâce à une “critique” du dernier livre de Friedman sur la globalisation (The Lexus and the Olive Tree: Understanding Globalization). Le gros Friedman ajoutait ce codicille qui allait être parfaitement illustré par l’attaque contre le Kosovo («Give war a chance», écrivait Friedman le 23 avril 1999) : «The hidden hand of the market will never work without a hidden fist [...] McDonald’s cannot flourish without McDonnell Douglas, the designer of the U.S. Air Force F-15. And the hidden fist that keeps the world safe for Silicon Valley’s technologies to flourish is called the U.S. Army, Air Force, Navy and Marine Corps.» La formule raffinée était donc McDo + McDo, ou la paix par le hamburger et les bombes intelligentes...

Ainsi comprend-on quelle force symbolique McDonald représente dans l’arsenal américaniste qui ne se limite pas au Pentagone. C’est dans ce contexte expressément globalisé qu’il faut placer la procédure judiciaire entamée contre McDonald en Russie, où autour de 400 magasins McDo sont installés, comme autant de reliques des années 1990 où la Russie semblait montrer toutes les vertus du monde globalisé...

Russia Today, le 13 août 2014 : «Russia is taking McDonald's to court for allegedly violating the country’s sanitary norms. Moscow’s Tverskoy Court is set to view the complaint by the Russian consumer watchdog on Wednesday. The first checks took place in the northwestern city of Veliky Novgorod in May. “The Caesar roll and vegetable salad have been found to contain microbe pollution with E.Coli bacteria and 10 times the safe level of microbes,” the watchdog said in a statement. ‘This attests to the fact that the staff breached personal hygiene rules, and the corporate sanitary disinfection regime.”

»Rospotrebnadzor have carried out inspections at several McDonald’s restaurants in the country, and said that some of McDonald’s most popular sandwiches, Filet-o-Fish and Chicken Burger, don’t correspond with what the consumer watchdog considers nutritional meals. When the reports first emerged, a media and online storm followed, with claims that the food chain might be shut down for good...»

On imagine aisément, effectivement, le retentissement que cette procédure va avoir, face à un objet aussi symbolique de l’américanisation et de la globalisation, – cette répétition n’étant après tout rien de moins qu’un pléonasme. D’ores et déjà, des éditorialistes politiques se sont emparés de cette affaire, effectivement jugée comme hautement symbolique, et ont commencé à lui donner une dimension qui dépasse largement le sort de l’industrie sous-alimentaire de l’américanisme triomphant.

Voici le cas d’Ann Applebaum, le 8 août 2014 (dans le Washington Post), alors que venaient d’être annoncées les “contre-sanctions” de la Russie et les premières nouvelles concernant l’attaque contre McDo. (Applebaum est une personne d’autant plus intéressante que, neocon notoire quoique parcourue de certains élans de paroles hérétiques, elle est l’épouse du ministre polonais des affaires étrangères Sikorski, autre “neocon notoire quoique [parcouru] de certains élans de paroles hérétiques” [voir le 24 juin 2014]. Bref, un couple de neocon turbulents qui laissent parfois passer quelques “vérités de situation” pas piquées des vers.)

«While it lasted, globalization was a beguiling tale we told ourselves about the future. The world is interconnected and therefore getting not just richer but more peaceful... [...] At the height of this optimism, the “McDonald’s theory of international relations” was a thing one heard about quite frequently. The idea was that no country with a McDonald’s restaurant would ever go to war with another country with a McDonald’s restaurant, because in order to have a McDonald’s restaurant you had to be thoroughly integrated into the global economy, and if you were integrated into the global economy you would never attack another one of its members. This theory of “McPeace” was exploded, literally, by the U.S. bombardment of Belgrade, the city that in 1988 had opened the first McDonald’s restaurant in the whole of what was about to become the ex-communist bloc. But the hope that it might be true somehow lingered.

»This week, as Russia, a country with more than 400 McDonald’s, ramps up its attack on Ukraine, a country with more than 70 McDonald’s, I think we can finally declare the McPeace theory officially null and void. Indeed, the future of McDonald’s in Russia, which once seemed so bright — remember the long lines in Moscow for Big Macs? — has itself grown dim... [...]

»This week — as Russia bans all U.S., European, Canadian, Australian and Japanese agricultural products — globalization suddenly began to unravel a lot faster than anybody imagined... [...] In other words, a large country that contains internationally traded companies has decided it prefers a territorial war with one of its neighbors to full membership in the international economic system. A large country that contains plenty of people educated in global economics has also decided it can accept higher food prices in the name of national honor. It is not only possible to reject the “win-win” mantra of globalization in favor of different values and another sort of politics, it is happening right now. And if it can happen in Russia, it can happen elsewhere, too.»

... Ainsi assistons-nous actuellement à un “événement de communication” considérable, qui est la mise en cause de la globalisation au travers, d’une part de la mise en cause d’un de ses plus fulgurants symboles (McDo), d’autre part de la mise en doute de l’une de ses plus fulgurantes conquêtes (la Russie dans les années 1990). En effet, au moment où l’on suit le déchaînement antirusse extraordinaire qui se poursuit depuis quelques mois, au moment où l’on passe à un niveau de sanctions (et de contre-sanctions par conséquent) qui commence à laisser des marques, on commence également à découvrir que la Russie, outre d’être l’objet de cette haine déferlante que l’on mesure chaque jour selon ce que l’on imagine qu’elle est, est (était) également restée, dans un paradoxe incroyable, le signe le plus tangible, le plus fort, le plus rassurant, du succès de la globalisation, selon ce que l’on se rappelle qu’elle fut.

En d’autres termes se pose cette question impitoyable : l’étonnante aventure de McDo comme symbole de la Pax Americana de la globalisation, et la mort de la McPeace Theory que nous annonce lugubrement Ann Applebaum ne figurent-ils pas comme les apparats et le décor de l’assassinat de la Russie rassurante, conquise et soumise des années 1990, par la Russie furieuse et effrayante, comme le visage de Poutine selon le traitement médiatique du bloc BAO, des années 2000 ? Et quelle responsabilité avons-nous, pour parler au nom du Système et du bloc BAO, dans ce catastrophique développement ? (Cela nous conduit évidemment à cette citation d’un autre texte de ce 13 août 2014, ajoutée in extremis : «Qui dira la stupidité extraordinaire, alors que la Russie conduite par Eltsine-vodka et le capitalisme sauvage importé des USA était toute entière soumise au Système, d'avoir lancé en 1992-1993, dans le chef des USA bien entendu, une politique d'expansion de l'OTAN qui accoucha d'un Poutine et de la résurgence russe des années 2000 ?»)

Les événements vont vite, très vite, à l’ère de la communication. Avant de passer à la Troisième et ultime Guerre mondiale à cause de l’Ukraine avec toutes ses perspectives intéressantes qu’on imagine, nous avons l’épisode de la globalisation brutalement touchée en plein vol par l’attaque contre la McPeace Theory. Tout se passe comme si les F-15 de McDonnell (devenu Boeing) dont le gros Friedman annonçait la présence aux côté des bataillons de McDonald avaient été balayés du ciel par les terrifiants S-300 de Poutine. L’avantage de cette verve de communication, de cet emploi convulsif des images guerrières dans tous les domaines du profit, de la finance et du corporate power de la globalisation, c’est que la fonction de symbole est devenue d’une fragilité épouvantable et qu’elle communique cette fragilité à la perception des événements qu’ont nos dirigeants-Système. Après la réhabilitation du statisme et du souverainisme par Poutine, il y a deux jours (voir le 11 août 2014), nous avons aujourd’hui la mort de la globalisation, avec le terrible échec essuyé par “McDo”, son fils préféré et son plus beau fleuron. Pleure, ô ma doctrine bien-aimée...

 

Mis en ligne le 13 août 2014 à 17H24