Facebook, le truc bidon à plusieurs milliards

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Facebook, le truc bidon à plusieurs milliards

Deux creux et pas de remontée prévisible

Pour la deuxième fois cette année, Facebook a connu une dégringolade en bourse.

Un employé de la firme Cambridge Analytica a dénoncé la manière qu’elle a eu d’aspirer les données de 82 millions de comptes du réseau social afin de les exploiter et d’influencer le choix électoral de leurs utilisateurs. Cela se serait produit à deux reprises, lors des élections de 2016 pour la présidence des Usa et lors du referendum du Brexit.

En deux jours, au mois de mars, la valeur du titrea perdu 11%,  en deux semaines la chute a été de 17,8% et en deux mois de 32%. Les “investisseurs” se sont précipités pour s’en débarrasser car ils ont craint qu’à cette occasion les politiques viennent réguler la monétisation intense des données privées et ne restreignent les profits de l’entreprise dont c’est l’unique source de revenus. Les intentions de l’Union européenne de taxer de 3% le chiffre d’affaires des entreprises du numérique pouvaient constituer la seconde raison de cette désaffection. 

Pour l’heure, aucune de ces deux risques ne s’est réellement concrétisée. 

Au moment même où Lord Zuck était auditionné par une commission du Sénat américain et s’expliquait de manière embarrasséede cette affaire, l’action a recommencé son ascension au lieu de dévisser pour sanctionner les torts avoués par le patron. Le fléchissement a très vite été effacéaprès la publication des résultats du premier trimestre fin avril qui annonçaient une progression des revenus publicitaires de 50%, et cette même journée du 26 avril le titre s’est ‘envolé’ de 8%. En peu de temps, la cotation de Facebook dépasse le chiffre du début de l’année, faisant plus que rattraper le cours antérieur.

Fin juillet, l’annonce de résultats moins prometteursqu’espérés, 1,47 milliards d’utilisateurs actifs quotidiens versus les 1,49 attendus et un chiffre d’affaires de 13,23 milliards (+42%), moins que les 13,36 escomptés par les analystes, a fait s’effondrer de nouveau l’action, cette fois-ci de près du quart de sa valeur. 130 milliards de dollars de capitalisation se sont évaporés en quelques minutes, plus que le PIB du Maroc du Venezuela ou de l’Ukraine.  

Mark Zuckenberg a vendu un gros paquet d’actions trois mois avantqu’elles ne soient malmenées en bourse et il ne pouvait ignorer que ses déclarations aux analystes boursiers, d’énormes investissements en vue et pas de rentabilité en perspective dans les deux ans, allait affecter négativementle cours fin juillet 2018.

Cette transsubstantiation, passage de la matière vers le néant, n’est qu’apparence, une fiction. 

Une bulle ou un appendice du Rien

Depuis 2008, la Fed (et la BCE à sa suite à partir de 2015) a procédé au rachat massif de dettes privées et publiques irrécouvrables par le procédé Quantitative Easing.  Ceci équivaut à une création de monnaie sans  production de richesse. Cette manipulation monétaire a conforté les établissements financiers menacés de banqueroute et a relancé les activités spéculatrices habituelles avec des taux directeurs très bas. 

De l’argent fictif a été investi dans des activités fictives comme celle de Facebook. 

Cette plateforme informatique d’échange instantané d’informations entre étudiants s’est étendue à plus de deux milliards d’utilisateurs qui s’y confient et livrent bénévolement aux développeurs de l’application tout ce qui les concerne. Après la bulle dot.coma grossi celle des GAFA. Les annonceurs payent des pages publicitaires ciblées sur des internautes criblés par des logiciels faits d’algorithmes qui cernent la personnalité et les goûts des 2,5 milliards de personnes qui passent des heures à poster et lire sur la plateforme. Une étude a montré la relative inefficacitéde la publicité en ligne, d’abord parce que les plus gros annonceurs le font à perte, leur clientèle serait venue à eux de toutes les façons. De plus, si elle est informative, elle n’incite pas à l’achat. 

Par ailleurs,  une faille de taille existe dans ce système de rémunération, c’est la fraude aux clicsdont les modes opératoires sont variés. Le rapport de l’enquête de l’ANA (Association of National Advertisers) en a dénoncé l’ampleur en 2015, et quelques plaintes pour escroquerieaboutissent. Inutile dans le meilleur des cas, inefficace et surfacturée, la teneur  du revenu de Google et de Facebook est sans consistance et n’a pas de contrepartie réelle. Ce qui a commencé de se produire, c’est le retour au pur néant de ce qui aurait ne jamais en sortir, un quasi-néant initial. 

Ce réseau social est doué d’une toxicité réelle. Très chronophage,  il fonctionne selon le mode de récompense et crée une réelle addiction chez ses usagers.

Cambridge Analytica (CA)

C’est le New York Times, le Guardian et l’Observer qui publient le 17 mars 2018  les révélations d’un lanceur d’alertes concepteur de la partie technique de la la firme britannique Cambridge Analytica. Fondée en 2013,  elle est spécialisée dans le conseil en communication et l’analyse des données. CA a employé un informaticien, Aleksander Kogan, de l’université de Cambridge pour mener auprès d’un gros échantillon de 200 000 personnes un test psychologique rémunéré ‘à des fins scientifiques’. Au terme de l’étude, la rétribution devait transiter par le compte Facebook du sujet. C’est alors que ses données sont siphonnées ainsi que celles de centaines de ses contacts.

Une fois ce matériau acquis, le travail a consisté à établir des profils psychologiques de plus de trente à soixante dix millions d’utilisateurs selon un modèle empirique de définition de personnalités mis au point dans les années 50 pour l’US Air Force, Big Five, assez rudimentaire et contesté voire moqué. (Ouvert, Consciencieux, Névrotique, Extraverti et Affable.) 

Des messages élaborés pour influencer la proie selon son profil lui sont alors envoyés et lui créent un ‘environnement culturel’.

C’est l’utilisation des données des facebookers à leur insu qui a motivé l’indignation bien plus que les opérations de manipulation psychologique qui infléchit les opinions politiques et orientent le vote lors d’élections. CA aurait reçu 6 millions de dollars de l’équipe de campagne de Trump, Ted Cruz et Ben Carson ont également eu recours à ses services lors de la course à l’investiture en 2015. Elle serait intervenue pour la campagne Vote Leaveen faveur du Brexit avec le financement de conservateurs britanniques. D’anciens clients de Cambridge Analytica sont très sceptiques sur l’efficacité de ses campagnes psychologiques calibrées sur mesure.

Cependant, le Département d’Etat américain est un client de SLC groups dont CA est une filiale. Le but est l’analyse du public cible de potentiels terroristes et la « promotion de récits qui soutiennent les alliés et les intérêts des Usa ». Nafeez Ahmed décrit les liens touffus et complexes de Facebook et de toute une série d’entreprises, de l’immobilier, des hydrocarbures, d’institutions financières et de gouvernements, ici dans une traduction de les-crises.fr. Il attribue à Facebook une puissance supérieure à celle de la NSA, tant est fine sa capacité de ‘voir’ une bonne partie des habitants de la planète, même non utilisateurs de sa plateforme. A un certain niveau de puissance financière, les connexions et les connivences sont très denses comme l’a démontrél’étude de trois chercheurs de l’École polytechnique de Lausanne en 2011. 

Les Russes ? Oui les Russes auraient investi 200 000 euros pour acheter des publicités au travers de faux comptes, mais cela reste encore à prouverplus de deux ans plus tard. 

« ...l’essentiel est qu’ils y croient. » (*)

Concrètement, les manipulations médiatiques qui ont permis les  catastrophes majeures récentes, la destruction de la Libye, la guerre en Syrie et en Ukraine n’ont guère eu besoin du canal de Facebook qui est en passe de devenir démodé chez les jeunes au profit d’une de ses filiales, Instagram. Il est difficile d’évaluer si Facebook a influencé quelques électeurs pour porter au pouvoir Trump ou Macron. Les deux sont des produits façonnés par un laborieux travail de marketing qui a emprunté des voies assez classiques d’exposition de candidats présélectionnés  avec lissage des portraits et effacement soigneux d’éléments biographiques défavorables. Les journalistes européens officiant dans la presse la plus ‘sérieuse’ appointés par la CIA font de l’excellent travail. Assez curieusement, c’est toujours auprès des mêmes journaux que les repentis trouvent des oreilles compatissantes pour faire leurs aveux et leurs dénonciations.

L’affaire Cambridge Analytica révèle surtout la tendance des gouvernements occidentaux à privatiser le renseignement, le contre-espionnage et les officines de psy-ops. Elle confirme que les gouvernements et les partis politiques sont disposés à se faire berner, mystifiés par une fausse toute-puissance du net. Nix a été enregistré en train de dérouler les méthodes mafieuses d’intimidation et de corruption pour salir et discréditer les adversaires politiques. Les plus vieilles recettes fonctionnent bien mieux que le micro-profilage des cibles de messages persuasifs.  

Et comme pour l’affaire Benalla, cette pente agace certaines strates des États profonds qui ont quelques moyens de se faire entendre. 

Badia Benjelloun

 

Note

* Extrait d’une citation d’Alexander Nix, patron de Cambridge Analytica, maintenant liquidée mais prête à renaître sous une autre forme, le nouveau nom est Emerdata, même financeur et même direction administrative, Nix en moins. Sa citation complète : « Peu importe que ce ne soit pas vrai, l’essentiel est qu’ils y croient. »