Être progressiste & antiSystème dans le chaos...

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Être progressiste & antiSystème dans le chaos...

Comment être progressiste et antiSystème à la fois ? C’est une des grandes questions, difficiles et passionnantes à la fois, de notre époque. La gauche US qui se dit “dissidente” et presque antiSystème, qui juge avoir trouvé sa référence conjoncturelle avec Bernie Sanders, avait réuni The Left Forum ce week-end à New York. Ce fut un beau charivari dimanche, avec l’intervention, en clôture, du philosophe néo-marxisto-postmoderne, le Slovène Zizek. Nous avons donné récemment une interview de lui faite par RT où il était très largement question de la crise migratoire (dont il fut question également dimanche à New York) ; Zizek montrait un point de vue assez peu conforme à celui que développent les autorités-Système et les élites-Système en Europe :

« D’autre part, mais sans quitter aucunement le sujet, il est vrai que dans “tragédie-bouffe”, il y a aussi le mot “tragédie”, et les affaires mêlant Erdogan au destin européen, qui portent sur la crise migratoire, ont également un aspect tragique. C’est de cette façon que le philosophe Slavoj Zizek, de tendance alternative, néo-marxiste, post-structuraliste, post-et anti-lacanien, et par conséquent perçu comme une des grandes voix de la gauche antiSystème, envisage la question de la crise migratoire. Il a donné une interview à RT, sur ce sujet précisément, où il développe certaines idées qui ne sont pas nécessairement en phase avec l’opinion de la gauche postmoderniste sur les migrants, tout en se référant à des valeurs assez conformistes du champ politique (les “valeurs” postmodernes,  l’Europe “mais pas la ‘démocratie anonyme’ de l’Europe de Bruxelles”, etc.). [...] Sur la pseudo-politique européenne, Zizek a une position intéressante en qualifiant l’attitude générale des élites-Système européennes vis-à-vis des migrants, de “néocoloniale” et finalement, et paradoxalement, de “raciste”. Zizek dénonce donc indirectement le climat de “repentance” qui submerge la bienpensance-Système européenne, lorsqu’il développe ce thème, dans un sens qui est effectivement loin d’être sans intérêt. »

RT donne une version assez chaotique de l’intervention de Zizek à la fin du grand rassemblement du Left Forum, qui fut chaotique et très agitée. Du “Comment a-t-on pu inviter ce type ?” à “Je ne peux pas supporter ça, je m’en vais” (interprétation plutôt que traduction mot-à-mot), les interventions furieuses volèrent fort bas. Il est vrai qu’il ne s’est pas fait que des amis avec certains aspects choquants pour nombre d’oreilles vertueuses de ses précédentes déclarations sur les réfugiés ; ainsi commença-t-il effectivement : « Si vous voulez que nous commencions par un échange d’insultes, je vous dirais que je peux être extrêmement brutal et que je gagne toujours. Mais peut-être pourrions éviter cela, au moins aujourd’hui... »

Il est vrai également que Zizek était venu leur dire, comme on l’entendit ensuite, notamment que « la menace évidente, qu’il y a parmi les réfugiés aussi des terroristes, des violeurs, des criminels, et je dis cela d’un point de vue complètement neutre, bien sûr qu’il y en a, et alors ? » [...] « Vous sous-estimez gravement l’horreur de la pauvreté, la véritable horreur de la pauvreté touche également et gravement l’étique, et je suis au regret de vous dire que la pauvreté ne fait pâs de l’homme une noble créature. La crainte de l’invasion des réfugiés atteint les proportions d’une paranoïa... »

Ci-dessous, des extraits du texte de RT du 23 mai :

« Slavoj Zizek, “the most dangerous philosopher in the West,” stirred the melting pot Sunday as the closing speaker at Left Forum 2016 in New York City, making controversial comments about the refugee crisis. The Slovenian academic was heckled during his epic three-and-a-half hour session at the conference titled ‘Rage, Rebellion, Revolution: Organizing our power’ held at the John Jay College of Criminal Justice and streamed live throughout the weekend on RT.com.

» Zizek was already labeled a “racist,”“antisemite,” and “misogynist” before he hit the stage, which perhaps is why he started his speech by saying, “If you want to start exchanging insults, I can be extremely brutal, I always win. But, let’s not do it today, maybe.” That truce with his friend and critics on the left was temporary, after his subsequent words ignited a firestorm that continued to burn on social media Monday. “The obvious threat, that there are among refugees also terrorists, rapists, criminals, I mean this in a totally neutral way, of course there are but so what?” he said, when discussing reasons behind the “catastrophe” in Europe.

» While a more conservative or mainstream audience might have been shocked by his blasé “so what?” attitude towards what they perceive to be a global threat, his comments seemed to ‘trigger’ something else in this left-wing crowd, angry over what they interpreted as “xenophobic” characterizations. The feed ends with an always fascinating, sometimes heated Q&A, cutting off just as someone expressed how offended she was by a Zizek anecdote during his speech. Forum organizers told RT the unexpectedly long event outlasted the camera's memory, but they are attempting to edit together other video and audio recordings after the cut.

» He warned that the more globalized capitalism becomes, the more walls of apartheid emerge and “people circulate less and less freely”. “Even if most of the Nazi claims about the Jews were true ... their anti-Semitism would still be pathological,” he said. “The true problem is not: Is this true or not? The true problem is why do the Nazis, in order to sustain their world view, need the figure of the Jew – and I claim it’s exactly the same with the growing fears of refugees and immigrants all around Europe”. After getting heckled for his “terrorists, rapists and criminals” comment, he responded, “You are underestimating the horror of poverty, the true horror of poverty is also an ethical one, I’m sorry to tell you poverty doesn’t make noble people. The fear of refugee invasion is reaching paranoia proportions.”

» Zizek’s presentation also covered the crisis in Greece, the gender bathroom debate, and Donald Trump, who he said is “disgusting” and “playing a certain opportunistic game.” A darling of the Occupy Wall Street movement five years ago, he closed with an affirmation for those progressive activists in the room. “We, the left, or whatever remains of it, are the only true defenders of simple, common decency. We are the moral majority... in practice,” he said. »

Il ne nous semble pas que cette lecture éclairera notablement le jugement du lecteur quant à ce qu’il pourrait sortir d’un tel rassemblement. Le caractère chaotique très réel et indiscutable de l’intervention de Zizek, en effet, loin de détonner et d’apparaître comme complètement déconnectée de l’assemblée qu’il semblerait agresser copieusement avant de la caresser dans le sens du poil, ou le contraire, reflèterait au contraire parfaitement, selon nous, l’état exact de ces esprits qui célèbrent les “valeurs” progressistes en jurant que cela fait d’eux des antiSystème. Pour une fois, par conséquent, le grand trou béant de l’Atlantique qui sépare les USA de l’Europe, selon le cliché convenu, était parfaitement comblé parce que le désarroi et la confusion des progressistes aux USA, alors qu’ils sont en train de réussir une formidable performance électorale avec Sanders, rejoint parfaitement ceux qu’on distingue chez les progressistes européens qui ne veulent pas se soumettre au Système et distinguent par moments la vertu d’être antiSystème tout en brandissant haut et fort les “valeurs” qu’ils chérissent et que le Système manipule à sa guise.

Ainsi, ce que l’on peut dire de la bataille colossale en cours aux USA vaudrait pour d’autres affrontements qui se préparent dans d’autres pays du bloc-BAO. Partout, la bataille est la même, partout elle se déroule (devrait se dérouler) selon des références absolument novatrices, – justement voilà qui devraient plaire aux “modernes” que prétendent être les progressistes, – c’est-à-dire les références du Système et de l’antiSystème, hors de toutes les idéologies, de tous les slogans, etc. (Ou bien, si l’on veut être encore plus net, en utilisant exactement comme l’on manipule, “idéologies”, “slogans”, etc., pour renforcer le parti qu’on a pris. Dans notre cas, certes, il s’agit d’être antiSystème, et pour cela, tout est bon ; dans une telle bataille, il ne peut y avoir de dilemme quant à la désignation de l’“ennemi principal”.)

Ainsi est-on conduit à observer que la grande différence entre Trump et les électeurs de Trump d’une part, Sanders et les électeurs de Sanders d’autre part, c’est que les premiers ne s’embarrassent pas vraiment dans leurs rapports réciproques de cohérence politique et idéologique tandis que les seconds fondent leurs rapports sur une cohérence politique et idéologique définie précisément par des “valeurs” dont on peut malheureusement craindre, – le phrasé est prudent, – qu’elles soient copieusement manipulées par le Système. D’un côté, – et on devine lequel, – il y a une souplesse tactique qui a le champ libre grâce à une stratégie qui n’a pour seule dynamique que la colère qui est l’autre nom de “populisme”, de l’autre il y a une tactique qui se trouve si souvent emprisonnée par une stratégie qui tend à une extrême rigidité et regarde avec mépris le terme de “populisme” qui la définit pourtant si bien dans les temps actuels qui ne ressemblent à aucun autre. Qui plus est et pour aller au bout du propos, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en aient conscience ou pas, les uns et les autres affrontent le Système et se doivent d’être antiSystème. On voit qui a le plus d’avantages et les meilleures munitions...

Il faudrait qu’une grande voix venue de l’Au-Delà leur fasse entrer là où cela peut germer l’idée que l’antiSystème prime tout ; évidemment, pour que cela marche, il ne faut pas être sourd aux conseils de l’Au-Delà, c’est-à-dire croire, ou faire semblant de croire que l’Au-Delà existe. On dit que le bon roi Henri n’hésita pas à dire que “Paris vaut bien une messe”, et la pirouette lui réussit au-delà de toute espérance... Mais cette analogie n’est qu’une pirouette pour terminer le propos, que les bonnes âmes se rassurent.

 

Mis en ligne le 24 mai 2016 à 18H14

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