Enquête sur les drones-tueurs

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Enquête sur les drones-tueurs

La “guerre des drones” est, pour l’instant, devenue, par la grâce du très-progressiste président Obama, la “tuerie par les drones”. Il s’agit d’une institutionnalisation de l’exécution sommaire, hors de toute légalité civilisée, l’équivalent gouvernemental et hautement sophistiqué de la pratique du “contrat” qui échoit aux tueurs du crime organisé. On ajoutera que le “contrat”, au contraire des tueurs de la Cosa Nosta qui savent ce qu’ils font et le font d’une manière professionnelle, est réalisé par une technologie aveugle, c’est-à-dire une sophistication du phénomène du “déchaînement de la Matière” avec l’assassinat collatéral qui touche des innocents qui se trouvaient là par les hasards de la vie, et en général victimes de la stupidité de la Matière, de l’ineptie du renseignement, de l’aveuglement des sapiens réduits à la fonction de robots exécutant des ordres issus de l’activité de professionnels qui ne savent même plus être ce qu’ils devraient être (par “contrats”, eux aussi), – par conséquent, tueurs professionnels qui ne savent même pas être professionnels… Tout cela est le legs du président Obama, en passe d’éventuellement être réélu, selon les prières ferventes du monde progressiste et libéral du bloc BAO. Amen.

Heureusement, le Système a ses contradictions, il en est même littéralement criblé… Donc, le 25 octobre 2012 sur le Guardian (information reprise sur RAW Story le 25 octobre 2012 et le sur TVPress.com le 26 octobre 2012), on annonce que Ben Emmerson QC, nommé rapporteur spécial de la commission des droits de l’homme de l’ONU, doit mettre en place une unité spéciale d’investigation, et conduire cette investigation, sur le fait de savoir si les “contrats” des drones-tueurs sont légaux dans les cas, – innombrables, certes, – où il y a mort de civils innocents.

«The announcement was made by Ben Emmerson QC, a UN special rapporteur, in a speech to Harvard law school in which he condemned secret rendition and waterboarding as crimes under international law. His forthright comments, directed at both US presidential candidates, will be seen as an explicit challenge to the prevailing US ideology of the global war on terror. Earlier this summer, Emmerson, who monitors counter-terrorism for the UN, called for effective investigations into drone attacks. Some US drone strikes in Pakistan may amount to war crimes, Emmerson warned.

»In his Harvard speech, he said: “If the relevant states are not willing to establish effective independent monitoring mechanisms … then it may in the last resort be necessary for the UN to act.” “Together with my colleague Christof Heyns, [the UN special rapporteur on extra-judicial killings], I will be launching an investigation unit within the special procedures of the [UN] Human Rights Council to inquire into individual drone attacks.”

»The investigation unit will also look at “other forms of targeted killing conducted in counter-terrorism operations, in which it is alleged that civilian casualties have been inflicted”. Emmerson maintained that the US stance that it can conduct counter-terrorism operations against al-Qaida or other groups anywhere in the world because it is deemed to be an international conflict was indefensible. “The global war paradigm has done immense damage to a previously shared international consensus on the legal framework underlying both international human rights law and international humanitarian law,” he said. “It has also given a spurious justification to a range of serious human rights and humanitarian law violations.

»“The [global] war paradigm was always based on the flimsiest of reasoning, and was not supported even by close allies of the US. The first-term Obama administration initially retreated from this approach, but over the past 18 months it has begun to rear its head once again, in briefings by administration officials seeking to provide a legal justification for the drone programme of targeted killing in Pakistan, Yemen and Somalia …” “[It is] alleged that since President Obama took office at least 50 civilians were killed in follow-up strikes when they had gone to help victims and more than 20 civilians have also been attacked in deliberate strikes on funerals and mourners. Christof Heyns … has described such attacks, if they prove to have happened, as war crimes. I would endorse that view…”»

Pour notre information, ou simplement pour nous rafraîchir la mémoire, – et l’on sait dans quel sens, – TVPress.com nous rappelle quelques données de base concernant l’action des drones-tueurs, à partir d’une compilation de diverses sources US. Cette compilation montre qu’il y a en réalité un champ extrêmement vaste d’exploration des “victimes collatérales” des attaques, de ces “victimes” dont l’identification et l’appréciation rencontrent les définitions de “crime de guerre” dans l’esprit du rapporteur spécial Ben Emmerson QC, tel qu’exposé dans son discours de Harvard.

«The United Nations has identified the U.S. as the world's number one user of “targeted killings” largely due to its drone attacks in Pakistan and Afghanistan. The CIA and the U.S. military have used drones to target and kill those Washington describes as “suspected militants” in Pakistan, Afghanistan, Iraq, Yemen, Somalia and Libya. In 2008, after Barack Obama won the presidency in the U.S., the drone strikes escalated and soon began occurring almost weekly, later nearly daily, and so became a permanent feature of life for those living in the tribal borderlands of northern Pakistan. (CBS News.)

»Pakistan's Interior Minister Rehman Malik has recently said that only 20 percent of those killed in drone attacks are militants while the rest are innocent people. (thenews.com.)

»A new report on the secret U.S. drone war in Pakistan says the attacks have killed far more civilians than acknowledged, traumatized a nation and undermined international law. In “Living Under Drones,” researchers conclude the drone strikes “terrorize men, women, and children, giving rise to anxiety and psychological trauma among civilian communities.” (Democracy Now.) “The number of 'high-level' militants killed as a percentage of total casualties is extremely low – estimated at just 2% [of deaths]”, says the report. Human rights lawyers deem the drone strikes as “extrajudicial killings” charging that there is no legal basis for the attacks.»

Ben Emmerson QC est un des directeurs et fondateurs de Matrix Chambers, un cabinet d’avocats spécialisés dans les questions de “droits de l’homme”, de liberté d’expression, etc. Le même jour où Emmerson faisait son discours à Harvard, Glenn Greenwald, le 24 octobre 2012 dans le Guardian, consacrait l’une de ses chroniques au programme “Disposition Matrix”, à propos duquel le Washington Post venait de consacrer un article (le 23 octobre 2012). Greenwald présentait la chose de cette façon : «Obama moves to make the War on Terror permanent… Complete with a newly coined, creepy Orwellian euphemism – ‘disposition matrix’ – the administration institutionalizes the most extremist powers a government can claim…» Le détail de l’article critique de Greenwald concerne effectivement la mise en place d’une énorme structure tendant à pérenniser les activités dites “antiterroristes”, et qui concernent évidemment toutes les actions illégales et violatrices des dispositions des lois de la guerre, en commençant évidemment par la “guerre des drones”, ou plutôt les abus des drones-tueurs…

« A primary reason for opposing the acquisition of abusive powers and civil liberties erosions is that they virtually always become permanent, vested not only in current leaders one may love and trust but also future officials who seem more menacing and less benign. The Washington Post has a crucial and disturbing story this morning by Greg Miller about the concerted efforts by the Obama administration to fully institutionalize – to make officially permanent – the most extremist powers it has exercised in the name of the war on terror.»

Il y a là une confluence caractéristique, symbolisée par l’emploi du terme “matrix”, entre l’institutionnalisation de la pratique illégale et criminelle des drones-tueurs et de tout ce qui l’accompagne, et la mis en place d’une riposte légaliste de la part de l’ONU à partir de sa commission des droits de l’homme. Il n’est pas question d’apprécier ici les différences capacités qui vont s’opposer dans ce cadre, pour tenter de déterminer qui a une chance de l’emporter sur l’autre, voire de déterminer ce qui peut paraître illusoire ou convenu, ou dépourvu de véritables moyens, notamment du côté de la démarche de l’ONU et de Ben Emmerson QC. Il est plutôt question d’observer, d’un point de vue conceptuel et pour déterminer l’évolution de tendances difficiles sinon impossibles à contrôler… :

• D’abord, que l’affrontement qui se dessine entre les pratiques des USA (avec quelques supplétifs d’occasion), qui ressortent d’un énorme projet d’actions illégales et criminelles placées sous l’égide de ce qui prétend être un État, et plus précisément cette chose étrange nommée “État de droit”, et l’initiative de l’ONU d’autre part, est un affrontement intra-Système typique. Mieux encore, il s’agit de deux pratiques, deux tendances, qui sont dénoncées en général comme des legs de la globalisation et de l’irrespect destructeur des principes structurants, essentiellement la souveraineté, – les actions des USA-Obama (même sac) étant effectivement commises au détriment absolu des souverainetés, et les actions de l’ONU étant très souvent dénoncées comme ennemies et prédatrices de la souveraineté. Le cas est donc bien que ces deux tendances objectivement complices s’affrontent ;

• Ensuite, que l’action de l’ONU ne peut être minorée, sous prétexte qu’en face il y a la puissance US, ou sous prétexte que la puissance US serait soi-disant maîtresse et manipulatrice de l’ONU. Dans le cas envisagé, il s’agit bien d’une initiative qui aura un très fort effet de communication, parce qu’elle est notamment entreprise par des hommes disposant d’une réputation et d’une infrastructure importantes dans des milieux juridiques anglo-saxons, donc au cœur de la citadelle même que constituent justement l’anglosaxonisme et les USA, – une querelle fratricide, en quelque sorte. Le fait que Emmerson ait fait son discours à la Harvard Law School, qui est l’un des établissements sacrés du juridisme américaniste et anglo-saxon, implique combien cette initiative rencontre d’écho dans le monde juridique anglo-saxon ;

• Enfin, que l’intervention, justement, du facteur juridique anglo-saxon, qui est un pan fondamental de l’anglosaxonisme, est aussi un facteur d’importance. Il implique un engagement professionnel opiniâtre, d’ailleurs autant justifié par la pratique et le goût du juridisme lui-même, que par éventuelle référence à la morale. Le Système est à cet égard impitoyable pour lui-même, dès lors que le champ s’ouvre pour une action juridique coordonnée. Il va œuvrer pour suggérer la mise en place d’une juridiction internationale adéquate dans ce qui est un champ nouveau de l’activité criminelle internationale. La communauté juridique internationale, qui est essentiellement anglo-saxonne et qui est également un des facteurs de la puissance anglo-saxonne, va peser de tout son poids pour une telle mise en place, qui exprimera un renforcement de soin importance et de son influence. Il s’agit d’une véritable concurrence infra-Système, dans ce Système où la concurrence est l’une des règles d’or des rapports entre les pouvoirs. Cela signifie que la prépondérance de Washington dans la bataille juridique qui se prépare n’est nullement assurée ni acquise d’avance.

Il s’agit par conséquent d’une circonstance de plus où la dynamique de surpuissance du Système débouche bien sur un processus à potentialité autodestructrice incontestable. Les projets de l’administration Obama, avec constitution d’une véritable bureaucratie du “crime par drone”, sont monstrueux, et structurellement considérables. Mais dès lors qu’ils sont cela, à la différence de l’administration GW Bush qui n’alla jamais jusqu’au projet d’installer de telles structures, ils tombent sous le coup des lois internes du Système, où le juridisme et sa capacité de concurrence des décisions des pouvoirs en place tiennent une place importante et jugée incontestablement nécessaire par l’idéologie du Système. (C’est ce principe du juridisme qui est essentiel pour permettre l’évolution coordonnée du système des puissances économiques du corporate power, notamment par rapport aux bureaucraties des structures émanant du pouvoir politique, sans tomber dans un chaos qui pourrait profiter aux adversaires du Système. Par conséquent, le juridisme est un bras armé du Système qui ne peut être ignoré ni réduit au silence.) Il est donc possible que l’activité criminelle de l’administration/l’organisation Obama codifiée comme elle l’est désormais en bureaucratie du crime par drones, se heurte à une contre-offensive juridique (l’action de la commission de l’ONU débouchant sur des actions fragmentaires aux niveaux divers, internationaux, nationaux, etc.) articulée sur une nouvelle jurisprudence.

Il est à noter, comme complément instructif, qu'on rencontre une situation similaire au niveau des sanctions du bloc BAO contre l’Iran, où un mouvement très fort se dessine, de contestation juridique, de procès, etc., contre les autorités instigatrices des sanctions, dont l’UE, à partir de juridictions internationales. Le paradoxe antiSystème est également présent dans ce cas, les plaignants étant iraniens, faisant partie du business iranien qui s’était inscrit depuis plusieurs années dans le courant libéral et globalisant du bloc BAO, qui figure donc les alliés objectifs et reconnus du bloc BAO en Iran, éventuellement même les soutiens d’une opposition dont nul ne doute qu’elle est démocratique et libérale, et dont le bloc BAO attend le soulèvement libérateur et vertueux. Ces alliés du bloc BAO, privés de business par les sanctions, demandent aujourd’hui des compte à ceux-là même qui, de Davos à la City, les ont attirés dans le circuit globalisant du Système. C’est, aujourd’hui, un des sujets de préoccupation principaux de l’UE dans l’affaire de la crise iranienne, voire un sujet “de panique” par les ressources et l’énergie que de telles actions vont mobiliser dans les technostructures du bloc BAO, en même temps que l'installation d'un climat bien ambigu par rapport aux engagements et aux orientations du bloc BAO dans la crise iranienne.


Mis en ligne le 26 octobre 2012 à 12H27

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