Destin d’un whistleblower

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Destin d’un whistleblower

Il apparaît de plus en plus évident que Edward Snowden n’a guère de chance de trouver un pays qui voudra lui accorder l’asile politique, ce qui est une démonstration de ce que nous nommons “l’empire de la terreur”. (Ce qui est désigné en général comme la crainte de tous les pays concernés de compromettre leurs relations avec les USA [voir WSWS.org du 3 juillet 2013] ; mais, à notre sens, il s'agit d'une crainte beaucoup plus large et diffuse des dirigeants-Système et même de ceux qui en dépendent moins face à une exigence d’une structure essentielle du Système.) Snowden fait de plus en plus figure d’isolé face au Système, voire de martyre si l’on veut un terme plus tragique (on reviendra sur ce point). Il est à noter que son père, qui avait d’abord pris une position assez réservée face à son action, jugeant qu’il était manipulé par Assange et Wikileaks et lui recommandant de cesser ses fuites, de rentrer aux USA et d’affronter la justice, a évolué et le considère désormais comme un héros, dans sa dernière lettre rendue publique par son avocat. Lon Snowden compare son fils au héros de la Révolution américaine, le désignant comme un “Paul Revere moderne”. (Sur Yahoo.com, le 2 juillet 2013.)

«As alleged NSA leaker Edward Snowden's options for political asylum appear to dwindle, Snowden's father sent a letter to his son today, calling him a “modern day Paul Revere” who helped “awaken” Congressional oversight of U.S. intelligence from a “deep slumber.” In the letter, written by attorney Bruce Fein “in collaboration with” Lonnie Snowden, the two say that by leaking information on the National Security Agency's vast domestic and international surveillance programs, the younger Snowden has “forced onto the national agenda the question of whether the American people prefer the right to be left alone from government snooping...” “You are a modern day Paul Revere summoning the American people to confront the growing danger of tyranny and one branch government,” the letter says.

»It also references the Director of National Intelligence James Clapper's comments before a Senate committee in which he denied the NSA purposefully collects, as Sen. Ron Wyden put it, “any type of data at all on millions or hundreds of millions of Americans” – a denial apparently disputed by reports based on Snowden's information. The letter asks whether Clapper or Snowden is the “superior patriot.”

»The letter, in which the elder Snowden only requests that his 30-year-old son to “engage us in regular exchanges of ideas or thoughts... about curing or mitigating the hugely suboptimal political culture of the United States,” is a departure from Lon Snowden's previous requests that his son stop the leaks and come home.»

Le cas Snowden prend une dimension humaine qui mérite qu’on s’y attache, notamment en fonction de son refus de l’asile politique en Russie à condition de cesser ses attaques contre les USA, c’est-à-dire la diffusion des documents de la NSA. Il est quasiment acquis que Snowden n’a plus grand’chose à diffuser, sinon rien du tout, puisqu’il a distribué tous les documents qu’ils possèdent à divers journaux et personnes. Glenn Greenwald l’a encore confirmé le 2 juillet 2013, sur Politico.com, parlant en ces termes des intentions des autorités US : «They don’t care about Edward Snowden at this point; he can no longer do anything that he hasn’t already done; what they care about is making an extremely negative example out of him to intimidate future whistleblowers from coming forward because they’ll think that they’ll end up like him...»

Illustrant la chose, Greenwald annonce une prochaine publication de documents qu’il promet explosifs... «“Just wait a little bit, you’ll have it,” The Guardian journalist who broke the NSA surveillance story said on “Fox & Friends.” Although Greenwald wouldn’t reveal exactly what the new revelations are, he said the world “will be shocked.” “I will say that there are vast programs, both domestic and international spying, that the world will be shocked to learn about, that the NSA is engaged in with no democratic accountability and that’s what driving our reporting,” Greenwald said.»

Cette réalité fait s’interroger sur le refus de Snowden de l’offre conditionnelle d’asile politique de la Russie. Il y a l’argument général de la poursuite de sa mission de diffusion des documents NSA, par exemple comme le signale WSWS.org (dans le texte déjà cité) : «Snowden swiftly rejected Putin’s “offer,” which would have made him a political prisoner of the Kremlin oligarchy, and withdrew his asylum application. His action made clear his determination to continue exposing the illegal operations of the US government and at the same time underscored the fraud of the espionage charges brought against him.» Cet argument de la poursuite de la diffusion des documents NSA n’a plus guère de sens, comme on l’a vu plus haut. Dès lors, le jugement selon lequel Snowden deviendrait un “prisonnier politique” en Russie n’est pas plus d’une signification convaincante et nous paraît ressortir pour beaucoup de l’hostilité viscérale des trotskistes pour un gouvernement qu’ils considèrent comme successeur lointain de Staline en même temps que complice “capitaliste” des USA («Whatever the geopolitical conflicts between Moscow and Washington, however, both governments represent rapacious capitalist ruling strata and are united in their fear of state crimes being exposed to their respective working populations.»). On peut même avancer que, selon l’évolution de la situation des relations USA-Russie qu’on peut sans grand risque apprécier comme promises à s’aggraver, un Snowden installé en Russie pourrait retrouver un rôle politique public. Cela est d’autant plus à considérer qu’il dispose dans le pays de nombreux alliés, dans des positions d’influence non négligeables, et que la pression sur Poutine pour une politique plus antiaméricaniste est une constante de la situation russe.

Comme le dit Greenwald, le gouvernement US entend faire un exemple pour empêcher que surgissent d’autres whistleblower. Cet avis est généralement confirmé par des voix dissidentes autorisées. Par exemple, Norman Solomon, parlant à Russia Today le 2 juillet 2013 : «There is an element of panic in US policy towards Edward Snowden and this entire issue, and the effort is of the big global giant trying to crush any ongoing voice in this case from Edward Snowden who could authoritatively, with great information, continue to inform the world. [...] The US government wants to discourage whistleblowing from those in agencies like the NSA.»

Il faut aussitôt rappeler que Snowden préparait son affaire depuis quatre ans, qu’il a eu sous les yeux les exemples des persécutions contre Assange et contre Bradley Manning, qu’il savait parfaitement le sort qui l’attendait, comme il ne l’a jamais caché. On est alors conduit à observer que l’attitude du gouvernement US (du Système), si même l'entreprise d’élimination de Snowden réussit, n’est pas nécessairement promise à être d’une complète efficacité dissuasive. La psychologie de Snowden, comme en un sens celle de Manning (moins celle d’Assange), n’est pas celle du calcul, de la manœuvre, de la survie politique, etc., mais bien plutôt celle du martyre. La psychologie du martyre est un caractère particulier, très spécifique, qui existe sans aucun doute d’une façon psychologique structurée et n’est certainement pas une simple image symbolique. Dans ce cas, les difficultés jusqu’au danger suprême de l’oppression et du martyre imposées par une entité qu’on identifie au Mal deviennent plus un argument pour agir, une épreuve de la destinée voire de la providence si l’on veut, qu’on envisage et qu'on accepte pour soi-même comme une mesure de sa propre valeur. (Certaines confidences de son avocat montrent que Manning vit son calvaire de cette façon.)

Dans ce cas, la politique US devient complètement improductive parce qu’elle confirme la situation de son producteur (le Système, via les USA), dans le chef d’une entité maléfique, oppressive, contre laquelle Manning et Snowden et tout autre whistleblower de cette trempe se sont révoltés, et donc ajoute une raison supplémentaire de révolte pour une psychologie de martyre comme il semble en exister encore et qui attendrait son tour pour se manifester. (On pourrait même se demander, certes, si la situation actuelle, dans sa monstruosité, n'est pas propice à susciter l'action antiSystème de telles psychologies.) Mais la “politique US”, en fait politique-Système et rien d’autre, n’en a cure parce qu’elle obéit à des principes de force. Le Système n’a aucune idée des formes inattendues ou radicales que peut prendre l’héroïsme, puisqu’il ignore d’ailleurs ce que c’est que l’héroïsme.


Mis en ligne le 3 juillet 2013 à 16H03

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