Désamour de base

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Désamour de base


4 juillet 2002 — La querelle avec les USA sur la CPI (Cour Pénale internationale) est importante, avec des effets premiers éventuels perçus comme importants, notamment sur la situation US vis-à-vis des engagements de peace-keeping (Bosnie, Kosovo, etc). De façon plus fondamentale, il y a également un affrontement de conceptions. On souligne parfois le fait que les USA ne sont pas seuls dans leur opposition à la Cour, et qu'ils se trouvent en compagnie jugée fort inhabituelle, avec des pays comme la Chine, la Russie, l'Inde, la Corée du Nord, l'Iran, etc. Notre appréciation est que cette proximité est fortuite, que leur position est de l'ordre de la circonstance pour les pays qui se trouvent aux côtés des USA, qu'elle est de l'ordre du principe pour les USA. Le comportement US renforce cette interprétation.

« To date, 76 countries have ratified the treaty that created the court, and another 63 — including the United States — have signed the treaty but not ratified it. Countries that never signed the 1998 Rome treaty include China, India and Turkey, while a number of states that did sign, including Egypt and Thailand, have moved slowly at best on ratification.

» The United States has borne the brunt of the international criticism, especially in Western European capitals, with the issue of U.S. military participation in peacekeeping missions fueling the debate. ICC-watchers suggested this week that many of the court's other critics are happy to let the United States take the heat. ''Historically, there has always been a real eagerness by some to let the United States do their dirty work for them,'' said William Pace, executive director of the World Federalist Society and founder of a coalition of about 1,000 private organizations supporting the ICC.

» But Swedish diplomat Phillippe Kirsch, who chaired the recent ICC preparatory commission meeting, said the United States has been by far the most aggressive in its opposition to the court. ''The United States is the only country in the world that has taken an actively adversarial attitude to the court,'' he said in a recent interview with the Radio Free Europe-Radio Liberty service. ''Other states that may not have signed or ratified yet are taking a much more cooperative approach, including China and Russia,'' he said. »

L'essentiel dans cette querelle est ailleurs. Il est dans l'affrontement des conceptions. Il oppose principalement les USA et l'Europe, avec des oppositions d'autant plus surprenantes à première vue (l'alacrité des Britanniques dans la critique de la position américaine en est une).

Qu'est-ce qui sépare les Européens des Américains ?

• La question de la souveraineté, disent les Américains. Ils appuient leur argumentation principalement sur la protection du principe de la souveraineté nationale. Ils accusent les Européens, surtout les grands États européens (France et Royaume-Uni), d'abdiquer leurs responsabilités dans ce domaine. C'est une thèse aujourd'hui fortement débattue, notamment, et d'une façon savante, dans un cadre plus général, par des théoriciens des deux ôtés de l'Atlantique. Un exemple du côté US est celui de Robert Kagan, dont la critique générale implique notamment les arguments employés contre les positions des pays européens sur l'affaire de la Cour. Dans ce cas, effectivement, les Européens sont perçus comme ayant abandonné la vision tragique de l'histoire, qui implique la souveraineté qui est une charge en même temps qu'un privilège, pour le système conduisant à la supranationalité, qui serait alors une abdication des nations.

• On notera tout de même, annexe de ce qui précède, que la position américaine, qui pourrait plaire à des orthodoxes (comme les gaulliens) de ces valeurs tragiques de l'histoire où sont impliqués souverainement les États-nations, a de très fortes limites dans la réalité. Les USA, dans la pratique de leur politique étrangère, bafouent régulièrement la souveraineté des autres, de toutes les façons (soft dans leurs rapports avec les européens au sein de l'OTAN, de façon brutale avec les autres pays). Donc, ils détruisent ce principe auquel ils affirment souscrire et, en cela, ont une position ambiguë, spécieuse et hypocrite ; par exemple, position complètement antinomique de celle du général de Gaulle (défenseur de la souveraineté française mais surtout du principe de la souveraineté lorsqu'il soutenait l'indépendance des autres contre tous les impérialismes, y compris l'impérialisme US).

• Mais nous avons une approche encore plus fondamentalement critique. Il y a, chez les Européens, appréciée et exprimée de diverses façons, l'idée que l'ère des grands conflits est close, remplacée par des petits conflits civils, des conflits ethniques, des conflits criminels, enfin ce qui forme le désordre de l'ère postmoderne. Cette idée est fondamentalement justifiée par les faits, au contraire des conceptions américaines, militarisées à outrance, et basées sur l'idée de la militarisation des relations internationales, l'idée du grand conflit, voire la recherche parfois hystérique d'une Grande Guerre mobilisatrice (en théorie en tous les cas, pour la pratique c'est autre chose). Le désaccord des perceptions entre Européens et Américains sur la question du terrorisme est flagrant à cet égard. Il ressort de ce fait que la perception des Européens dans le cas de la Cour devient très relative. Pour eux, la Cour va traiter des suspects de crimes divers dans le cadre de ces conflits postmodernes. Les Européens s'estiment assez à l'abri de ces conflits postmodernes et, de ce fait, s'estiment relativement à l'abri, pour leurs nationaux, d'incursions supranationales de la Cour dans des affaires qui les concernent et concernent leurs souverainetés. Leur position sur la Cour devient un choix de compromis : la Cour peut être un facteur d'ordre intéressant alors que leur perte de souveraineté est très relative. Disons que le jeu en vaut la chandelle et l'essentiel de leur souveraineté est sauvegardé. Nous pensons que c'est là la pensée britannique et, sans doute, si les Français consentaient à songer à ces choses hors de leurs fumeuses théories moralisatrices et huminataristes, ce serait la pensée française complètement en accord avec les principes et le réalisme des conceptions gaullistes. (Les autres pays européens n'y pensent guère mais suivent, au nom des principes en vogue dans les médias. Nous ne nous y intéressons pas dans ce cadre.)

Pour conclure, nous dirons que le désaccord entre les USA et l'Europe sur ce point ne porte pas sur une position vis-à-vis d'un principe central (la souveraineté) mais sur une perception de la situation du monde. C'est beaucoup plus grave.