De la page blanche à la “page vide”

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Maureen Dowd, Dieu la protège, nous offre une notion nouvelle et particulièrement édifiante: la “page vide” (complètement différent de “la page blanche”, celle qui donne le vertige à l’écrivain ou celle où la censure est passée). Nous nous répétons (nous l’avons déjà écrit dans le chapeau de présentation de l’article) : lisez son article du 4 avril dans l’International Herald Tribune, sur le rapport de 601 pages sur les erreurs commises pour ne pas trouver des ADM de Saddam qui n’existait pas, avec son titre «  The latest intelligence study — 601 empty pages ». Ce monde du mensonge devenu structurel et ainsi dépassant sa nature de mensonge, — au-delà du mensonge puisque c’est le virtualisme, — est devenu notre monde général. L’acquiescement est complet, au point où l’on ne peut parler de complicité: c’est la solidarité des équilibres communs dans une réalité inventée.

Dowd, qui ne fait pas partie des “équilibres communs”, nous désigne ce rapport de 601 pages, une montagne de papier où il n’y a rien puisqu’il manque l’essence même de la démarche. Certes, les services de renseignement ont mal fonctionné par rapport à la réalité mais en réalité ils ont suivi la consigne générale et impérative du pouvoir politique. Enquêter sur eux, observe Dowd, c’est « like an investigation into steroids in baseball that looks only at the drug companies, not the players who muscled up. We don't need a 14-month inquiry producing 601 pages at a cost of $10 million to tell us the data on arms in Iraq was flawed. We know that. When we got over there, we didn't find any. »

Le plus intéressant, le plus instructif dans cet article, après avoir passé les faits, ou les non-faits qui justifient son emploi, c’est bien cette expression de “empty pages”: des pages emplies de signes et de mots compréhensibles, de phrases cohérentes, et qui ne signifient rien. L’idée de “page vide” est bien plus effrayante que l’idée de “page blanche”, y compris la page blanche qui désigne le passage du censeur. C’est l’idée du signe cohérent, de la lettre bien ordonnée en mots et phrases, mis en ordre pour construire une réalité complètement artificielle, devant laquelle tous les solidaires s’inclinent. Si notre civilisation, c’est d’abord la parole et l’écrit, alors notre civilisation est allée au-delà de la barbarie, au-delà de son point de départ. Elle évolue dans son double négatif.


Mis en ligne le 5 avril 2005 à 10H44