D.C. en chasse : qui est la sorcière de qui ?

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D.C. en chasse : qui est la sorcière de qui ?

La situation à “D.C.-la-folle” ne cesse de se compliquer, rendant le désordre à la fois déroutant et exotique, et qui place ceux que nous qualifions d’“antiSystème”, – dont nous-mêmes, bien entendu, – devant la tâche complexe de débrouiller constamment l’écheveau avant de faire des choix justifiés.

La dernière polémique a été lancée jeudi-vendredi par Trump-Pompeo contre l’ancien secrétaire d’État John Kerry, l’“architecte” du traité nucléaire JCPOA avec l’Iran. L’accusation porte sur la reconnaissance par Kerry de plusieurs rencontres, depuis qu’il a quitté ses fonctions en janvier 2017, avec des dirigeants iraniens (en fait, surtout le ministre des affaires étrangères, avec qui Kerry a de bons rapports). L’“accusation” ? Celle de discuter, voire de “comploter” à propos des moyens de contrecarrer la décision de retrait des USA du traité, de préparer une relance du traité après le départ de Trump (ou après sa destitution, etc.).

Voici quelques mots d’explication sur ZeroHedge.com : « Le secrétaire d’État Mike Pompeo a critiqué John Kerry au sujet de la confirmation par ce dernier, au début de la semaine, de rencontres “à trois ou quatre reprises” avec de hauts responsables iraniens depuis que Trump a pris ses fonctions. Pompeo a qualifié les rencontres de Kerry en dehors des canaux diplomatiques autorisés et sans que la Maison Blanche en ait été informée d’“au-delà de l’inapproprié”, lors d’une conférence de presse du département d’État.

» Jeudi soir, un tweet du président Trump avait accusé Kerry de “réunions illégales” ayant servi à “saper” la politique américaine, [suivi d’autres tweets accentuant ces accusations]. Pompeo a enchaîné lors de sa conférence de presse avec une anecdote personnelle, affirmant qu’il avait vu Kerry personnellement en contact avec des responsables iraniens et d'anciens négociateurs du traité nucléaire de l’administration Obama, à Munich, en Allemagne. “Je l'ai vu de mes propres yeux à Munich, avec Moniz et Wendy Sherman”, a déclaré Pompeo, se référant l’ancien secrétaire à l’énergie d'Obama, Ernest Moniz, et à la négociatrice en chef des accords nucléaires, Wendy Sherman. “Ce que le secrétaire Kerry a fait est inconvenant et sans précédent”, a déclaré Pompeo. “C’est un ancien secrétaire d’État engagé [dans une coopération] avec l’État qui est le plus grand sponsor du terrorisme au monde”. Il a accusé Kerry de “saper activement la politique américaine” à l’insu du président en exercice

» La controverse a été rallumée cette semaine (il y avait déjà eu des accusations au printemps dernier) lorsque l’ancien secrétaire d’État Kerry a été interrogé à la radio mercredi à propos de son nouveau livre, au sujet de ses entretiens avec de hauts responsables. Il a précisé qu’il y avait eu “trois ou quatre rencontre” mais a affirmé qu'il n'essayait pas de “conseiller l’Iran” sur la possibilité de faire redémarrer l'accord nucléaire iranien après la décision de retrait de Trump. »

La “controverse” est certes cousue de ce fil blanc dont “D.C.-la-folle” fait des nœuds gordiens. Elle vaut bien celle des “contacts” de Trump avec les Russes, que Kerry a prise à son compte, dans les deux cas autant de pitreries autour de choses faites ou pas faites, mais qui dans tous les cas sont depuis toujours dans les habitudes de la diplomatie. Par conséquent, inutile de débattre sur le fond une fois qu’on a compris que Trump-Pompeo voudrait bien retourner le coup du Russiagate contre Kerry et les démocrates à propos de l’Iran. (On n’en fera pas un Irangate pour autant, ou bien ce serait alors un Irangate-II, le premier du nom étant pris par les innombrables machinations dans les années 1980 entre les républicains et l’administration Reagan avec l’Iran des mollahs, à cette époque déjà considéré, avec infiniment plus d’arguments qu’aujourd’hui où l’accusation et le classement sont ridicules, comme « l’État qui est le plus grand sponsor du terrorisme au monde ».)

Ce qui est plus intéressant, c’est la façon dont un point de vue antiSystème doit se déplacer pour juger des positions des uns et des autres, selon les pensées cachées et les effets indirects. Autant il nous paraît justifié de dénoncer le montage du Russiagate, à cause de sa manufacture, de son aspect subversif par rapport à la Russie, de son action forçant Trump à abandonner ses promesses de campagnes sur les relations avec la Russie (s’il eût jamais l’intention de les tenir) ; autant les attaques contre Kerry doivent être jugées, au contraire de ce que font Trump-Pompeo, comme très critiquables dans la mesure où l’ancien secrétaire d’État travaille dans le but de tenter d’atténuer la rupture intervenue avec l’Iran du fait de l’administration Trump, avec toutes les conséquences déstabilisatrices potentielles.

Plus encore, ou pire encore, la position en flèche de Pompeo, derrière un Trump manifestement obsédé par l’Iran, a pour seul but de renforcer des conditions favorables à un affrontement avec l’Iran au bénéfice des forces les plus extrémistes, dans une occurrence qui est certainement pour l’instant, parmi celles qui sont envisageables, la plus dangereuse qu’on puisse envisager à part bien entendu un affrontement USA-Russie. On voit ainsi qu’une interprétation antiSystème peut nous faire passer d’un camp à l’autre selon le cas considéré, sans le moindre soucis des étiquettes et des positions officiellement affichées.

(Le cas Kerry est d’autant plus intéressant pour notre édification qu’avec lui, on trouve nombre d’indications montrant que l’“État profond” ou tout ce qui y ressemble sous quelque nom que ce soit était évidemment déjà en action du temps d’Obama, comme il l’est dans toutes les périodes, par conséquent que le “coup d’État latent” n’est pas une spécialité nouvelle mise en place pour Trump. Un récent mémorandumdes VIPS nous l’a rappelé, qui mettait en appendice notamment cette intervention de Lavrov le 26 septembre 2016 : « “Mon bon ami John Kerry[…] est l’objet d’une bien rude critique de la machine de guerre américaine. Malgré le fait que, comme toujours, [on nous a assurés] que le commandant en chef américain, le président Barack Obama, l’avait soutenu dans ses contacts avec la Russie (Kerry lui-même l’a confirmé lors de sa rencontre avec le président Vladimir Poutine), apparemment les militaires ne prêtent guère d’attention à leur commandant en chef.” Lavrov est allé au-delà de la simple rhétorique. Il a également critiqué le président du JCS, Joseph Dunford, pour avoir déclaré au Congrès qu'il s'opposait au partage de renseignements avec la Russie, “après les accords conclus entre les présidents Poutine et Obama stipulant que le renseignement devait être partagé... Il est difficile de travailler avec de tels partenaires.” »)

Il est bien entendu un autre domaine où cette affaire des contacts de Kerry avec les Iraniens projette une lumière nouvelle, et elle nous apparaît sans aucun doute avantageuse : c’est qu’elle éclaire et nous fait mesurer l’importance d’un autre domaine où des forces antagonistes s’affrontent à Washington. Il apparaît en effet manifeste que les contacts de Kerry avec les Iraniens ne sont pas une démarche isolée, comme le montre l’“anecdote” de Pompeo décrivant à Munich, certainement lors du grand séminaire de la Wehrkunde de février dernier, Kerry accompagné de deux anciens hauts-fonctionnaires de l’administration Obama impliqués dans les négociations ayant mené au JCPOA.

Cela signifie qu’il existe une faction, certainement favorisée par Obama qui a fait du traité JCPOA le fleuron de ses deux mandats, qui tendrait à s’opposer à un conflit frontal avec l’Iran. Si elle est discrète, c’est parce que le climat belliciste systématique régnant en général dans tous les centres de pouvoir washingtonien la convainc de ne pas trop s’exprimer publiquement, mais elle existe. Le fait que l’affaire sorte aujourd’hui, alors que les contacts de Kerry sont connus publiquement depuis plusieurs mois (Pompeo en février, puis par des fuites dans la presse au printemps), est une indication que le clan favorable à une attaque frontale de l’Iran, le clan Pompeo-Trump, juge que son action a ou pourrait avoir des effets non négligeables. Cela ne signifie pas quelque avantage pour l’un ou l’autre, cela signifie ce qui est la meilleure perspective que puisse envisager un antiSystème, c’est-à-dire la poursuite et l’accentuation du désordre à “D.C.-la-folle”, donc la difficulté grandissante de maintenir (ou plutôt de retrouver car on en est si loin) une politique extérieure cohérente et bien structurée alors que le “Centre” continue sa route d’une décomposition accélérée. 

Le fait que l’on pourrait classer l’un ou l’autre comme globaliste (Kerry) ou nationaliste (Trump-Pompeo) pour se déterminer selon cette opposition n’a, selon nous, plus aucune importance au regard des enjeux et de la politique belliciste qui est en cause. Le seul argument qui vaille à nos yeux est celui qui favorise la décomposition des pouvoirs de l’américanisme qui forment la machinerie opérationnelle du Système, – et ce seul argument se nomme : désordre.

 

Mis en ligne le 15 septembre 2018 à 16H56

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