Daesh a-t-il commis une “erreur stratégique” ?

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Daesh a-t-il commis une “erreur stratégique” ?

Si l’on considère l’extraordinaire “mobilisation” du système de la communication à l’occasion des attentats de Paris, à l’occasion de ce qui devient le 13-novembre comme il y a eu le 11-septembre (mythologisation d’une date), on peut évidemment comprendre que surgisse la question de savoir si l’attaque effectuée par Daesh constitue un avantage ou un désavantage stratégique pour cette organisation. On connaît en effet la puissance de la communication, quasi-exclusive, dans l’élaboration des “politiques” (entre guillemets puisqu’ainsi rendues totalement suspectes dans la cause de leur élaboration qui tient à l’effet bien plus qu’à la substance et en a donc la durée) ; par conséquent, la “mobilisation” politique enchaînant presque par une sorte d’automatisme incontrôlable sur la “mobilisation” de la communication, la question se justifie encore plus impérativement.

Sputnik-français a posé la question à Kader Abderrahim, chercheur associé à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) de Paris et spécialiste des questions du Maghreb et de l’islamisme. (Publication le 16 novembre d’une interview réalisée ce même jour.) La réponse du chercheur, qui parle d’“erreur stratégique” de Daesh, ou EI (État Islamique), a été complètement positive.

« Selon un spécialiste de l'islamisme, “l’histoire retiendra que la défaite de l’Etat islamique a eu lieu le 13 novembre 2015 à Paris”, car désormais, tout le monde se mobilisera pour lutter contre l'EI. Kader Abderrahim, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, s'est exprimé lundi lors d'une interview accordée à Sputnik en estimant que l'EI “a commis une grosse erreur stratégique”.

» ... [L]e spécialiste a expliqué son opinion par le fait que le groupe terroriste s'était attaqué “à la jeunesse de manière complètement aveugle, parce que parmi les victimes du vendredi soir il y avait de tout. C’est tout l’ensemble de la jeunesse qui a été fauché”. [... C’]est exactement pour cela que M. Abderrahim [estime] que les peuples des différents Etats sont d'ores et déjà unanimes sur les questions concernant la lutte contre les djihadistes. “La mobilisation contre l’Etat Islamique va être massive, importante et va concerner tout le monde et je crois que cette fois-ci personne ne va critiquer ou contester l’idée que tous doivent se mobiliser pour combattre l’Etat islamique”, estime-t-il. [...] D’après sa vision plutôt positive, la date du 13 novembre deviendra le jour de la “défaite de l’Etat islamique”. »

Bien entendu, il existe d’ores et déjà d’autres avis, dont certains sont plutôt négatifs et vont dans le sens inverse de l’analyse de Mr. Abderrahim. Il faut signaler, parce que c’est inhabituel pour un think tank à très forte influence américaniste qui prône en général tous les arguments en faveur de l’unité transatlantique et du bloc BAO, que le German Marshall Fund (GMF) a publié une analyse qui, bien que n’abordant pas la même question d’une “erreur stratégique” de Daesh, donne une réponse très pessimiste à un des éléments de cette question qui est l’unité internationale, et spécifiquement l’unité des pays européens. Le texte est de Daniela Schwarzer, Senior Director for Research and Director of the Europe Program et Ivan Vejvoda, Senior Vice President, Programs au GMF, également publié ce lundi 16 novembre.

L’appréciation concerne donc l’unité des pays européns (de l’UE) et la conclusion tient beaucoup plus dans son titre que dans la véritable conclusion du texte : « After Paris: Western Unity Ever More Difficult, Ever More Essential », – que nous traduirions, nous, en inversant les facteurs pour faire paraître plus importante la vérité-de-situation que le souhait politique : “Après Paris, l’unité occidentale plus essentielle que jamais [mais] plus difficile que jamais”. La conclusion du texte se résume finalement à un appel à l’unité du type-vœu pieux, qui marque bien l’intentionnalité de l’influence dominante du think tank par rapport aux faits qu’il a collationnés qui vont en sens inverse, et son inquiétude extrême à cet égard...

«... Unless Europe manages to confront not only the most recent attacks in Paris, but all of challenges facing Europeans with a broad and inclusive debate, the repercussions of the brutal violence of Friday, November 13th, will run very deep. The future of democratic society, of the tolerance, openness, and inclusiveness that underpin the Western liberal order, is at stake. None of these challenges can be confronted by any one member state alone, and no member state is the sole target. A joint European response, coordinated with allies, is thus necessary and essential. The EU, Europe, the West are all in this together and thus the highest political task of the hour is to work together, strategically and in crisis management, to protect the achievements of the liberal order. »

L’expert Kader Abderrahim raisonne en expert (des questions de l’islamisme, donc de Daesh), et bien entendu dans un sens plutôt optimiste mais qu’on peut juger adéquat par rapport à ce qu’il (l’expert) constate de l’énorme ampleur de la réaction provoquée (essentiellement de communication entraînant le “politique”, – dans cet ordre nous insistons bien là-dessus). Il commet donc l’erreur de l’expert qui est de considérer le sujet de son expertise comme essentiel et le cadre où évolue le sujet de son expertise comme accessoire. Les deux auteurs du GMF étudie, eux, l’un des domaines essentiels (l'unité des pays-UE) du “cadre où évolue le sujet” de l’expertise envisagée qui est Daesh et son “oui ou non erreur stratégique”. Leur conclusion est pessimiste avec nombre d’arguments, même si l’“esprit de leur conclusion“ se veut tentativement optimiste (appel à la solidarité) relevant des consignes-Système du jour (vœu pieux) interprétées par l’enchaînement de “mobilisation” communication-“politique”.

Notre appréciation est certainement que “le cadre où évolue le sujet de l’expertise” est bien plus important que le sujet de l’expertise. La question de “la stratégie de Daesh” est selon nous de peu d’intérêt, sinon d’aucun. Daesh évolue nécessairement, quelles que soient ses accointances diverses et fort variées, selon la logique terroriste qui est moins une stratégie au sens rationnel qu’une mécanique des effets des évènements suscitée par la violence. Bien entendu, cette logique joue essentiellement sur la communication, mais dans n’importe quel sens puisque seule l’importance de l’effet est considérée. L’effet de communication a été énorme, donc le résultat est excellent, même si la communication est quasi-unanimement défavorable à Daesh. C’est l’axiome type-lieu commun de la communication (des RP, de la publicité, etc.) plus vieux que le terrorisme moderne : “du moment qu’on parle de moi, c’est l’essentiel, – en bien ou en mal, peu importe”.

La résolution et l’unanimité “politiques” constatées après le 13-novembre, surtout au niveau international mais pas seulement, n’a pour nous aucune signification politique. L’événement est la conséquence obligée de la “mobilisation” extraordinaire du système de la communication. Aucun des problèmes séparant, opposant, semant la confusion entre tous les acteurs de cette soi-disant “mobilisation” politique de pseudo-unité n’a été résolue, et ils seront même de plus en plus exacerbés ; le texte du GMF effleure cet aspect de la chose, de la double plume désolée des deux auteurs. De ce côté, qui est simplement l’essentiel, il n’y a pas de “défaite stratégique“ de Daesh mais la poursuite exacerbée des oppositions et du désordre général caractérisant la situation politique, et donc en prioité les acteurs de la soi-disant unité anti-Daesh. Le 13-novembre a plutôt aggravé les choses à cet égard, et l’unité forcée par la communication a en réalité exacerbé les frustrations, les oppositions, les affrontements entre les institutions et les nations qui présentent prétendument un front anti-Daesh.

Par ailleurs, on sait bien que nous évoluons sur un autre terrain, où le terrorisme, et donc la “stratégie de Daesh“ nous apparaissent comme secondaires, c’est-à-dire à la fois outils et révélateurs de quelque chose de bien plus énorme et qui fait l’essentialité de tout. C’était le sujet de la réaction de l’auteur du Journal dde.crisis déjà référencée. Pour lui, et pour nous, — et c’est bien plus qu’une solidarité éditoriale, c’est une conviction d’intuition partagée, – l’extraordinaire mobilisation du système de la communication exprime un très puissant courant psychologique, qui dépasse bien entendu Daesh pour considérer Daesh et ses actes comme un épiphénomène d’un événement énorme qui conditionne et explique tout, qui est la Grande Crise d’effondrement du Système. L’hypothèse évoquée dans ce texte peut évidemment être rappelée tant elle nous paraît essentielle, notamment comme explication de cette mobilisation, mais évidemment pour l’essentiel comme évènement fondamental :

«...  Et disant ceci et cela, justement, me vient à l’esprit l’idée en forme d’hypothèse, aussitôt écrasante par son évidence, et sur laquelle on reviendra sans aucun doute par d’autres rubriques et méthodes d’écriture sur ce site, que nous sommes entrés dans la phase de perte totale de l’illusion du contrôle de notre Grande Crise. Il faut bien avoir à l’esprit l’importance du mot “illusion” ; la perte, ou l'absence de contrôle humain de la Grande Crise est d'évidence puisque c'est l'essence même de la chose d'être hors de notre portée, mais ce que nous avons perdu le 13-novembre c’est l’illusion que nous contrôlions encore quelque chose d’elle. C’est peut-être cela, essentiellement, que salue ce déluge de communication. »

C’est dire si, pour nous, la question d’une “victoire stratégique” ou non de Daesh, la question de l’unité ou non des pays du bloc BAO, notamment de l’Europe-UE, c’est dire si ces questions sont pour nous accessoires. Elles dépendent d’autre chose et seront résolues par cet autre chose. Il s’agit de simples péripéties de la Grande Crise, et leur intérêt, et notamment l’intérêt qu’on peut trouver dans la massivité de leur manifestation, ne sont à considérer qu’en tant qu’indices et signes de l’avancement de cette Grande Crise.

 

Mis en ligne le 17 novembre 2015 à 06H58

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