Compères en maskirovska

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Compères en maskirovska

9 août 2002 — Nous revenons sur notre “Faits & Commentaires” d'hier, sur la question du rapport Murawiec, présentant un argument en faveur d'un classement de l'Arabie Saoudite comme ennemi “prioritaire” des USA, et, éventuellement, en faveur de certaines mesures militaires et autres contre ce pays. Un lecteur nous faisait remarquer ses réserves sur le fin de ce texte, lorsque nous concluions notre par cette phrase : « L'Arabie pourrait même s'avérer un objectif de substitution, au cas où la guerre contre l'Irak ne serait pas déclenchée assez vite, dans tous les cas pour accentuer la déstabilisation de la zone au travers de pressions accentuées sur elle. » C'est, encore plus précisément, du terme d'« objectif de substitution » que nous parlait notre lecteur.

Entre temps ont été publiées les révélations sur Murawiec, comme ancien de l'équipe LaRouche, et sur le contenu de son intervention devant le Defense Policy Board (DPB) de Richard Perle, le 10 juillet. (Révélations publiées par Jack Schlafer, sur le site Slate, ce qui, en passant, constitue une fois de plus la mise en évidence de la puissance d'Internet aujourd'hui dans le domaine de la qualité de l'information et de la rapidité de sa diffusion.) Tous ces éléments nous conduisent à proposer à nos lecteurs un rapide développement sur la question de l'apparition officielle-officieuse de l'Arabie comme “ennemi” possible/probable des USA.

Lorsque nous parlons d'« objectif de substitution », nous parlons moins d'une guerre réelle (à déclencher) que de la campagne qu'on qualifierait “de communications“ — rumeurs, fuites, déclaration plus ou moins officieuses, plans de guerre dévoilés, annonces d'attaque, etc— en cours depuis des mois aux USA, concernant la Guerre contre la Terreur (objectif Irak), son rythme, son extension, etc. Par conséquent, en parlant d'« objectif de substitution », nous nous référons à une situation assez peu favorable à ceux qui prônent une telle évolution. D'une façon générale, c'est bien cela : la situation à Washington est aujourd'hui moins favorable aux neo-conservatives extrémiste, et l'extension de leur vindicte à l'Arabie de façon claire et argumentée (encore faut-il voir comme) représente un acte de “fuite en avant” (attitude marquant que la situation générale de celui qui fuit n'est pas excellente du tout).

Nous considérons plusieurs éléments :

• La guerre contre l'Irak devrait être déjà déclenchée et déjà gagnée (en janvier-février 2002). Nous insistons là-dessus car c'est primordial : le rythme de la guerre voulue par les extrémistes washingtoniens impliquait un enchaînement très rapide, pour justement entretenir ce rythme et interdire toute opposition importante. Les dates de janvier-février 2001 étaient quasi officiellement dites à tous les diplomates européens en visite à Washington en octobre-novembre 2001.

• Diverses difficultés qui ont empêché ce développement. Notre conviction et notre analyse sont que les difficultés de réunir une force adéquate et l'opposition des chefs militaires américains ont joué un rôle fondamental dans cette circonstance. Aujourd'hui, il existe un fort courant d'opposition, national et international, marqué notamment par des faits remarquables, — comme, sur le plan international, les prises de position de Gerardt Schröder, l'affirmation d'un courant d'opposition anti-guerre sans beaucoup de précédent dans l'élite britannique, les déclarations du roi Abdallah de Jordanie.

• Ces derniers jours, on a pu mesurer les difficultés que rencontrent les projets de guerre de GW Bush, notamment à l'occasion d' une déclaration conciliante de ce même GW s'adressant notamment aux alliés de l'Amérique. Dans le même temps, aucune attitude unitaire et convaincante n'arrive à se faire jour dans le “War Party>D>”, notamment sur le type d'intervention et sur les raisons de l'intervention.

• Un autre élément illustrant cette situation est un article de Jim Hoagland, paru ce matin, qui tend à transformer la déconfiture de l'administration GW à imposer, voire à faire la guerre contre l'Irak en une espèce de tactique soi-disant très habile. Selon Hoagland, « Talk of attacking Iraq is already paying dividends », ce qui est une adaptation à peine dissimulée de la fameuse tactique, qui s'énoncerait alors de la sorte : “puisque nous ne pouvons empêcher cette impuissance et ce désordre, feignons d'en être les instigateurs”. Hoagland est satisfait, GW est en vacances, et le fait est désormais admis comme une tactique institutionnalisée qu'on parle de la guerre bien plus que de la faire. Leitmotiv de GW, qui, désormais, doit nous donner à penser : « I am a patient man ». Cela n'a rien pour satisfaire un Richard Perle.

• Enfin, et surtout dirions-nous, il y a le trouble qui envahit le parti du président, les républicains (les démocrates s'avérant totalement paralysés en la matière, ce qui méritera un jour un commentaire sur cette sorte de soi-disant gauche modérée, “libérale-centriste”, devenue totalement incapable d'élever la moindre réserve devant la furie militariste de certaines politiques occidentales aujourd'hui). Le sentiment des sénateurs républicains, notamment Richard Lugar, lors des auditions du Sénat au début du mois, est apparu extrêmement troublé devant les intentions de guerroyer de l'administration GW ; surtout, il y a eu la la prise de position du puissant député Dick Armey, un républicain du Texas, un conservateur, qui se disait il y quatre mois “150% Israélien” et qui, aujourd'hui, émet les plus graves réserves devant les projets de GW.

Ces diverses raisons font que les plus extrémistes du “War Party”, notamment les neo-cons type Perle, se trouvent à cours de tactique de mobilisation dans une situation dont ils perdent la maîtrise. Notre observation est qu'ils en sont arrivés peut-être à conclure que l'Irak n'est pas, finalement, un élément suffisamment fédérateur pour conforter la mobilisation des esprits et la rendre décisive. D'où l'idée d'agiter une vision beaucoup plus apocalyptique, en faisant entrer l'Arabie dans la danse. Comprenons-nous bien : il ne s'agit pas d'objectifs réels d'une guerre réelle mais d'objectifs théoriques dans une guerre d'influence en cours à Washington, pour décider de la vraie guerre. Et celle-ci concernerait encore l'Irak, et l'on verrait bien alors pour tenter de l'élargir, quand on y serait.

Les éléments qui nous font penser à cette interprétation sont les suivants :

• La chronologie des “fuites” sur le rendez-vous DPB-Murawiec du 10 juillet ; ces fuites, à notre sens, ne sont pas hostiles ni à Perle (l'homme qui a mis Murawiec dans la danse) ni à Murawiec lui-même. Le résultat est qu'elles participent à une opération tentant de faire de cette affaire un instrument pour aggraver la tension, les perspectives de danger, par conséquent la nécessité de la guerre. Que ces fuites interviennent au moment où les perspectives de guerre rencontrent des difficultés grandissantes nous paraît un fait suffisamment significatif pour le compter comme argument pour notre interprétation.

• La personnalité même et le passé de Murawiec, au sein du groupe LaRouche, ainsi que la conjonction épisodique d'intérêt entre Perle et ce groupe, dans les années 1980, pour la maskirovska, terme soviétique très en vogue dans les milieux extrémistes à Washington à cette époque, et désignant une démarche de désinformation stratégique. Cet intérêt commun renforce l'hypothèse que Perle et Murawiec aient effectivement partie commune dans une démarche qui est, pour l'instant, de la pure maskirovska>D> (étaler au grand jour l'objectif anti-saoudien, qui reste bien réel mais constitue pour l'instant un argument dialectique et passionnel, pour susciter la mobilisation de guerre)

Ce qui caractérise cette formidable tentative de mobilisation dialectique, effectivement, c'est l'aspect du montage et de la manipulation. En parlant d'un « objectif de substitution » à propos de l'Arabie, nous ne parlions pas en terme de guerre (même si, de ce point de vue-là, tout est possible) mais, pour cette affaire Murawiec, d'un « objectif de substitution » à l'Irak dans une guerre d'influence visant à susciter une mobilisation des esprits et des convictions.


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