Chronique du 19 courant... Ballade au bord des abysses

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Chronique du 19 courant... Ballade au bord des abysses

19 juillet 2015 ... J’ai beaucoup cherché le sujet de ce 19 courant..., ces derniers jours. Ma tête foisonnait, tant il y a de choses qui vous pressent, vous sollicitent, et tout se passe comme s’il y avait foison de sujets ; c’est chose inhabituelle, je veux dire pour ma chronique ... (C’est, je suppose, si j’ai bien compris les élucubrations avec ses longues phrases de l’éditeur-hurluberlu du site, ce qu’on nomme dans ces colonnes le “tourbillon crisique”, qui touche et influence aussi bien sinon bien plus les psychologies que les évènements.)

Mais, disant cela, je me découvre évidemment en faute, puisqu’en cédant à ces hypothèses suggérées par l’actualité, je trahis un peu l’esprit de cette chronique qui se devrait d’être, justement, inactuelle. Fort bien pour autant car l’on ne fusille plus pour si peu ces temps-ci. (Qui parle encore de trahison dans un temps où vous ignorez qui sont vos ennemis, où vos ennemis sont fiancés par les gouvernements qui les combattent, y compris le vôtre, et puis d’ailleurs comment ose-t-on parler de “gouvernement” au vu du grotesque théâtre ubuesque qu’ils nous font et de l’absence de texte qui tient lieu de dialogue ? Par conséquent, la trahison est une attitude et un comportement qui n’ont plus d’existence, simplement parce qu’il n’y a plus rien à trahir puisqu’il n’y a plus rien qui ressemble dans ce monde qu’ils nous ont fait à l’honneur, à la loyauté, à la fidélité et à l’autorité et à sa légitimité. Ces paroles fortes tranchent mon dilemme d’âme poétique et inquiète.)

... Alors, tant pis et passons à l’acte.

Il y a une phrase qui guide ma réflexion ou plutôt ma ballade, cette phrase extraite des “Notes d’analyse” d’hier, 18 juillet 2015 : «Pour cet instant du temps de cette crise existe comme un certain flottement, sans que l’on ne sache plus précisément qui a fait quoi dans cette partie, qui a été du côté de quoi...» C’est le mot “flottement” qui m’arrête, ou plutôt qui m’indique le chemin à prendre et à suivre pour ma ballade. C’est alors que je m’avise que ces observations d’une apparente légèreté introduisant cette chronique sont dépassées par avance, qu’elles ne figurent que comme convention de langage : je ne pouvais rien écrire d’autre que sur cette tragédie qui, après avoir culminé dimanche dernier en un paroxysme qui n’est que le premier, prépare déjà ses œuvres nouvelles, terribles, impitoyables, miraculeusement inéluctables. Nul ne peut plus la retenir.

Le “flottement” dont je parle n’est sans doute rien d’autre, ou plutôt rien de moins que l’étrange incertitude qui, par son calme soudain ou son calme apparent c’est selon quel esprit l’appréhende, parcourt l’œil du cyclone où l’apaisement de circonstance semble dissimuler un instant la terrible fureur du monde. Le paroxysme de Bruxelles, il y a une semaine, ne fut qu’une réplique antérieure au séisme qui se développe, un avertissement tellurique que le dieu des abysses voulut bien nous consentir. Déjà, l’œil du cyclone se voile de larmes de colère et commence à perdre de son calme d’apparence. Le destin frissonne, me dis-je, et il s’ébroue à nouveau ; il est déjà en marche, et d’ailleurs n’a pas cessé un instant de poursuivre sa dynamique tellurique et homérique.

Il y a donc un paradoxe d’une catégorie que je qualifierais d’extraordinaire lorsqu’on juge en termes de communication, c’est-à-dire sur l’essentiel de notre époque qui en est la comptable, l’admiratrice fascinée et l’esclave volontaire (La Boétie en postmoderne). Il s’agit du contraste colossal et de l’enchaînement contradictoire furieux entre hier (dimanche dernier) et aujourd’hui, ce “19 courant...”. Il y a une semaine, lorsque fut exécuté ce qu’on a nommé sur ce site “le massacre de juillet” comme l’on dit “le massacre de la Saint-Valentin” pour qualifier l’expédition la plus sanglante des sbires d’Al Capone en 1929 à Chicago, – cette image pour donner à penser de l’esprit de la chose, – dimanche dernier au soir donc nul ne pouvait donner cher d’un autre esprit, l’éventuel esprit de combat et de résistance face à l’infamie. Le coup était si fort, si impudente l’impunité de ses exécutants, si arrogante la certitude du pouvoir imposteur qui agissait (Schäuble et ses sbires, comme Capone et ses tueurs), que tout cela parut décisif et sans retour. La Grèce était pulvérisée, et avec elle toutes les velléités de contestation, d’accusation, de condamnation, bref toute l’ardeur d’une furieuse résistance qui ne peut être qu’antiSystème, d’où qu’elle vienne. Nous découvrons soudain, après quelques jours marqués d’autres péripéties qui semblaient acter l’infamie, – on n’oubliera pas à cet égard les déclarations pour sa Fête Nationale à lui de ce pauvre être, de cette âme basse et triste de ce président-poire dont le surnom est infâmant pour le fruit après tout, – nous découvrons qu’il n’en est rien ... On comprend l’urgence où je me suis trouvé de transformer ces chroniques à tendance inactuelle en un commentaire serré sur les évènements de ces jours fiévreux.

Jamais sans doute un “coup” d’une telle brutalité, une imposture aussi fortement et impudemment proclamée en nouvelle légalité, a aussi peu affecté ceux qu’il visait derrière le pays qu’il entendait réduire à merci pour que l’exemple servît de leçon de servilité aux autres. Je parle de ce “bruit de fond” des commentateurs, des observateurs, des polémistes, de tel ou tel homme public, de tel ou tel rassemblement de citoyens, qui clament depuis des mois leur condamnation et leur dégoût de l’infamie en train de se faire. Au contraire de se taire, frappés par la vigueur du coup qui leur fut porté, ils ont subi avec ardeur en méprisant l’Orque immonde avec sa lourdeur noire et sa puanteur des abysses, le plus souvent en esquivant l’essentiel du choc, habiles et agiles comme un Achille au pied léger ; au contraire de se taire, ils ont clamé haut et fort que l’infamie en était bien une, et des plus violentes, des plus barbares et des plus illégitimes qui soient, et ils ont créé aussitôt une communication nouvelle (la communication est un Janus) qui dénonçait encore plus fort qu’auparavant la décision de Bruxelles que leurs auteurs croyaient inexpugnable dès lors que l’Orque l’avait proclamée. Erreur, erreur, – l’Orque est aussi stupide qu’il est puissant et noir comme l’encre des abysses.

Ainsi, à peine terminée, la crise repart de plus belle comme si la défaite l’avait magnifiée, sublimée, rendue plus résiliente encore. A dénoncer l’imposteur qu’on a vu venir avec son acte infâme et son acte avec lui, on se grandit à mesure. Ainsi, depuis dimanche, c’est un concert, une cacophonie qui en devient presque symphonique à force de se rejoindre sur un même thème, contre la décision prise, contre son application impossible, contre ses effets infiniment plus catastrophique que l’apostasie qu’elle prétend étouffer et guérir. Même les coupables doutent parce qu’au fond, leur forfait n’est pas allé assez loin dans l’infamie qu’ils avaient manigancée comme l’on complote, puisque eux aussi succombent au vertige du “complotisme” qui embarrasse tant la raison qui voudrait tant s’affirmer sans avoir pris la peine de se guérir de sa propre subversion. Rarement, un remède aussi unanimement proclamé comme excellent et vertueux par l’extraordinaire troupeau de la communication-Système n’aura été aussi radicalement contesté par le commentaire général libéré des contraintes de la génuflexion.

Ainsi donc doit-on parler, à côté de l’esclavage que nous impose le système de la communication, de la libération radicale et de la résilience de la résistance que nous permet le système de la communication.(Sacré Janus !) Des vedettes improbables ont fait leur apparition, dont il n’est pas nécessaire ni d’en faire des héros, ni de deviner dans leur curriculum vitae leurs intentions cachées ; madame Lagarde agit et mène campagne comme on la voit faire et pour l’instant cela nous suffit. Je ferais, moi, une exception pourtant, pour le Grec Varoufakis, l’ex-ministre-Rock’n’Roll, si postmoderne d’apparence, si complètement people avec sa gueule d’époque, son crane soigneusement rasé, ses T-shirts tendance et sa moto de voltigeur de l’économie basée sur la théorie des jeux. Ses interventions sont ravageuses, d’autant qu’il vous dévoile tous les secrets des délibérations du “non-État profond”, illégal, incontrôlé, institué en corps secret de la tyrannie en col-cravate également postmoderne que l’on nous impose. Quoi qu’il fut et quoi qu’il sera, avec tout le “bruit de fond” des analyses de ceux-qui-savent à peu près tout sur les tortueuses aventures, et les intentions qui vont avec, Varoufakis est le héros de la séquence. Il gueule avec une jubilation évidente leurs vérités, celle des “créanciers”, des fantassins de l’Orque, il expose avec enthousiasme tous les secrets grotesques du “non-État profond” (ça, ils ne le lui pardonneront pas), et son mot fameux reste l’une des marques sublimes de la résistance qui s’est spontanément affirmée, – avec le contraste si complètement vrai et juste entre “dégoût” et “fierté”...

(Selon les traductions, avec la première qui a ma préférence : «Je porterai avec fierté le dégoût que j’ai inspiré aux créanciers» ou «Le dégoût que j'inspire aux créanciers restera ma fierté». Il est vrai qu’il est question de la puanteur de l’ordure des abysses qui soulève le cœur, qui s’arrange aisément de ce qu’elle suscite (“dégoût”), et de l’honneur d’être, dans cet instant-là et précisément pour ce cas fondamental, un citoyen libre de la civitas avec assez d’ardeur pour leur dire son dégoût en retour (“fierté”). On comprend que dans de telles circonstances où la communication qui est le vecteur de la vérité de situation comme il est le vecteur de l’infamie dans l’autre rôle de son double jeu, seules comptent les définitions et les perceptions de l’instant lorsqu’elles participent à cette vérité de situation, – et vraiment, vraiment, peu me chaut que l’auteur soit ceci ou cela, suspect ou improbable, insaisissable ou mystérieux, – dans cet instant il est un héros de la résistance antiSystème ... Varoufakis est donc, pour la séquence, l’Achille-Ulysse que Tsipras ne sut pas être ; et comme il faut être équitable et réaliste des choses étranges du monde en feu, peut-être Tsipras se rattrapera-t-il et parviendra-t-il, dans la crise qui se poursuit plus que jamais, à être vraiment l’Achille-Ulysse qu’on crut un instant qu’il était. En attendant, gloire à Varoufakis.)

Où tout cela nous mène-t-il, se demande le promeneur solitaire ... Ma ballade se poursuit et touche à sa fin, et je réalise aussitôt la force de l’évidence. Elle se déroule tout au long des abysses, qui se trouvent, là, à quelques centimètres sur le bord de la falaise escarpée que je suis à pas de loup. Le fond de l’abîme est noir comme de l’encre lorsqu’elle n’est plus que les débris d’une civilisation qui n’écrit plus, noir comme le Mordor de Tolkien dont on retrouverait une réplique sur Charon ; le fond de l’abîme est sans fond puisque l’abîme est un abysse par définition tautologique sans fond (abyssos nous disent les Grecs anciens, ou “sans fond”).

Contrairement aux habitudes, – je ne dirais pas “consignes”, sinon dicktat, – de l’éditeur-dictateur-hurluberlu du site, je fais, moi, une prévision. Avant six mois, le pot-aux-roses nommé Grexit va nous (re)tomber sur la tête, et durement, et plus rien, plus rien n'arrêtera le torrent de la crise diluvienne. Au reste, le risque de la prévision concernant le Grexit est bien limité puisque, de tous les côtés, on clame la chose comme une évidente déjà en marche. Dans une interview qu’il a donnée à la BBC, Varoufakis nous dit pratiquement que le plan furieux et tyrannique pour sauver la Grèce “de ses propres démons” a d’ores et déjà échoué ; et “Tyler”, d’un ZeroHedge.com tout récent (on a ses lettres et on se tient au courant, diable), «...Quoi qu’il en soit, puisque l’Allemagne a elle-même ouvert la boîte de Pandore qu’on ne peut plus refermer une fois qu’elle eut affirmé officiellement la possibilité d’une Grexit temporaire, la Grèce devrait sans aucun doute se préparer pour le pire des cas pour la prochaine fois où elle jouera à nouveau la tragédie du bailout, c’est-à-dire dans 6-9 mois, et peut-être même avant.»

“Et tout ça, marmonne Schäuble à peine in petto, pour un pays de glandeurs qui fait 2% du PIB européen, et encore par beau temps et vent portant...” Effectivement, cela a un côté paradoxal dans une situation qui en est pleine qu’un 2% du PIB européen secoue l’Europe comme l’Europe est secouée ; c’est que, voyez-vous, dans le tourbillon crisique de la Grande Crise d’effondrement du Système (pour reprendre les standards de dedefensa.org), le paradoxe est roi, que c’est l’oxygène de la narrative, que c’est le miel de l’antiSystème...

Un autre paradoxe, me dis-je en contemplant le fond-sans-fond des abysses, à quelques dizaines de centimètres de moi sur la droite (je me suis éloigné un peu, on ne sait pas, hein, des fois que la fascination vous emporterait), – un autre paradoxe c’est qu’au fond les adversaires dans cet affrontement de titans, en vérité, je veux dire pour aller au fond des choses d’au-delà des abysses, ils cherchent ou recommandent le même Grexit, d’un même mouvement. Combien d’antiSystème, de fond ou de circonstance peu m’importe, que ce soit Sapir ou Marine, combien clament la même choses : “Grexit Tsipras, vite fait !” De l’autre côté, je vais vous confier un secret : je suis allé en visite dans l’imposant cerveau de Herr Schäuble et j’ai trouvé une petite, une toute petite boîte bien proprette fermée à double tour qui m’a semblé du plus grand intérêt ; grâce à l’intuition haute empruntée à dedefensa.org, j’ai trouvé le mot de passe (“Heil-Orque”), et à l’intérieur un petit pense-bête datant de juste avant le week-end du “massacre de juillet”, qui disait : “Ne pas oublier, fuck Tsipras ... Leur foutre dans les pattes un programme impossible, un bailout de dingue, pour qu’ils mordent vraiment la poussière vite fait avant que la Merkel ne se doute de quelque chose et que l’Hollande fasse un discours, et qu’ils se tirent, Mein Gott !” C’était signé “Grexit Über Alles”, et alors je suis sûr qu’on saura lire entre les lignes.

Ce sera donc une bataille de la perception au bout du compte : Grexit certes, mais Grexit-victoire-Système (de l’Orque/Allemagne), ou Grexit-victoire-antiSystème. Je prends Herr Schäuble et les paris d’un même geste d’audace en avançant ma prévision : on retrouvera les 2% initiaux, – 2% de perception comme une victoire du Système, 98% comme une victoire de l’antiSystème. Et ainsi l’Europe des 2% culbutera-t-elle l’Europe des 98%, – revanche presque complète des 1% versus les 99%.

... Et puis, là-bas, à Paris, dans son bureau du Palais de l’Élysée chargé de tant de gloires du passé, de celles qui ont fait la France et c’est bien du passé, Hollande trouvera que cela n’est pas si mal, que la situation s’arrange car “l’Europe doit avancer”, et liquider la Grèce ma foi, cette Grèce insupportable et inadmissible, et bien c’est toujours et même plus que jamais, – avancer... A ce moment-là, le conseiller com’ qui en avait marre de poireauter entre d’autorité dans le bureau du président-poire et pose un papier où deux mots sont écrits, en proclamant “Monsieur le Président, c’est une question de vie ou de mort pour notre campagne de crédibilisation-sensibilisation pré-électorale, tout-pré-présidentielle, etc., – il faut choisir, – Fraxit ou Franxit ?” Et Hollande, tout poire tout sucre, de répondre : “Eh eh, ‘franxisque’, cela sonne bien français selon notre cœur, n’est-ce pas ?” Le conseiller com’ tourna les talons qu’il avait assez haut, soulagé car il tenait enfin le thème de sa campagne, non sans avoir répondu avec le plus grand respect, “Excellent choix, merci Monsieur le Maréchal”.

Philippe Grasset

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