Ce que nous dit la crise turque

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Ce que nous dit la crise turque

La Turquie, non européenne, vraiment ?

La Turquie ne fait pas partie de l’Union européenne, pas les mêmes ‘racines’ chrétiennes, Théodose le Grand  a proclamé le christianisme religion d’Etat à Constantinople le 28 févier 380, il restera majoritaire dans tout l’Orient arabe longtemps après l’arrivée de l’Islam. Pas assez démocratique, elle aurait encore à apprendre des techniques électorales de Viktor Orban pour être éligible. Bref, la Turquie n’est pas du tout comme il faut. 

La chute spectaculaire de la lire turque la semaine dernière dans un contexte de déficit budgétaire, de déséquilibre de la balance des paiements et de tension politique a permis de réaliser que la Turquie est bien intégrée dans l’Union européenne mais d’une manière bien plus efficace que selon une admission officielle parmi les 27. Car elle se remettra quelle que soit l’issue de cette crise bien plus vite et mieux que la Grèce qui y est assujettie. Toutes les places boursières ont été secouées pendant que dégringolait la monnaie turque. Plusieurs banques européennes sont exposées aux risques liés à la Turquie, la BNP, le groupe Unicrédit italien et l’espagnole BBVA sont scrutés par la BCE.

En cas de défaut de paiement, des mécanismes de renflouement interviendront afin d’empêcher les faillites. Le citoyen européen paiera sans savoir que ses dépôts ont nanti des investissements en Turquie et que sa contribution sera sollicitée en cas de défaut de paiement de l’emprunteur. 

Selon les statistiques de la Banque des Règlements Internationaux, les banques étrangères détiennent des demandes de remboursement fin mai 2018 pour 220 milliards de dollars US dont 60% sont le fait de secteurs privés non bancaires. L’exposition directe des banques serait moindre, de l’ordre de 50 milliards. Des garanties de contrats, des indemnités dérivées de crédit et d’autres produits dérivés représentent 78 milliards supplémentaires dans les comptes bancaires étrangers, avec ici aussi plus de la moitié inscrites auprès de banques françaises, espagnoles et italiennes.

D’après les analystes de JP Morgan les cinq pays plus gros exportateurs vers la Turquie et donc vulnérables à sa dépréciation monétaire sont la Chine, l’Allemagne, la Russie, les Usa et l’Italie. Mais lorsque l’on observe l’importance des exportations vers la Turquie sur le total des exportations, c’est l’Iran qui se trouve en tête avec plus de 11% !

La Banque Centrale turque affichait en mai 2018 pour 160 milliards d’actifs détenus par des investisseurs étrangers dont les ¾ sont des titres de créances. Les investissements directs étrangers s’élevaient à 140 milliards de dollars fin mai avec une exposition particulière des fonds d’investissements néerlandais.

Toutes ces formes de solidarité dissimulée et extorquée (un fonds d’investissements place l’épargne de retraités par exemple) fait mesurer l’inanité profonde des discours politiques qui dissertent de xénophobie, islamisme, ottomanisme et autre curieuse étrangeté bien exotique à laisser enfermée en dehors des frontières. 

Affaissement naturel ou assaut concerté ?

La courbequi donne la cotation de la lire turque versus dollar américain avec en abscisses le temps sur vingt ans montre un premier décrochage quand Erdogan est passé de premier ministre à président en 2014, l’amorce d’un nouvel écart du taux de change en 2016 après la tentative du coup d’État manqué, enfin l’approfondissement de cet écart qui a amorcé la chute libre actuelle à sa réélection en juin et après adoption d’une nouvelle constitution qui a étendu le pouvoir de l’exécutif. Les taux d’inflation inscrits dans un intervalle entre 6,28 à 8,85 de 2009 à 2016 ont bondi à plus de 11% à partir de 2017. La politique des taux d’intérêt bas pratiquée par la Banque Centrale turque répond à l’orientation monétaire d’Erdogan pour lequel des taux d’intérêts élevés enrichissent les riches et appauvrissent les pauvres. Elle a facilité l’inflation et la spéculation immobilière. L’inflation élevée traduit que les emprunts et les crédits sont injectés dans l’économie ‘réelle’ contrairement à ce qui se passe aux Usa par exemple où les liquidités fournies par les banques s’engouffrent dans une activité spéculative financière.

La lire a perdu 40% de sa valeur depuis le début de l’année et 30% depuis la réélection d’Erdogan en juillet. Le Président dénonce une attaque concertée de la monnaie nationale qui met en danger la 18èmeéconomie du monde avec risque de contagion des émergents et de l’Europe. Comme pour lui donner raison, Trump a annoncé pendant le cataclysme le doublement des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium turcs, les portant respectivement à 50% et 25%. La valeur des exportations concernées est peu élevée, moins d’un milliard de dollars mais l’effet psychologique s’est traduit par une baisse supplémentaire de 9% de la lire turque.

Le scepticisme des investisseurs vis-à-vis d’une politique économique imprudente d’Erdogan qui a nommé comme ministre des finances son gendre pour remplacer un technicien réputé ne justifie pas une telle spirale qui conduit à l’anéantissement d’une monnaie, car en bon pays émergent, la croissance du PIB flirte avec les7 à 8 % annuels.

Panique des marchés ?

Quel en est l’inducteur ?

Réelle rétorsion à l’égard d’un ottomanisme qui prend ses distances par rapport à l’OTAN et son traditionnel allié étasunien ? Le repositionnement de la Turquie en Syrie, la demande qu’au sigle des Brics soit ajouté la lettre T, la décision d’acquisition des missiles russes S 400, l’attraction vers l’OCS, l’organisation de coopération de Shangaï, ont accompagné le refoulement de la Turquie aux portes de l’Union européenne et ont été des préludes à la tentative de coup d’État de 2016.  Ces éléments ont-ils concouru à l’affaissement monétaire de la lire turque ?

Ou tout simplement la crise turque est-elle le point d’entrée de l’éclatement d’une bulle financière latente reconstruite dès 2008 par la Fed avec sa politique d’assouplissement monétaire et de taux d’intérêts négatifs qui a de nouveau infiltré l’économie mondiale en raison de la structure des échanges mondiaux dominés par le dollar et ses circuits ?

Destruction et restructuration

La mesure prise ce dimanche de limiter les opérations de swap de monnaie n’a eu qu’un faible effet de ralentissement de la chute. Pour stopper l’hémorragie massive, deux possibilités ou leur combinaison s’offrent à la Turquie, la voie B, blocage des capitaux ce qui va accroître la panique ou la voie C relèvement des taux d’intérêts- solution empruntée par Mahathir en Malaisie en 1998. 

Qu’Erdogan agisse ou non, les institutions financières impliquées seront purgées et il sera toujours temps après un passage difficile de remettre à plat un système plus sain, protégé d’opérations spéculatives. Ce qui semble certain à l’heure actuelle, c’est le refus du gouvernement turc de recourir au FMI.

Une réponse se profile, elle est politique. L’Allemagne dénonceles mesures douanières ‘destructrices’ de Trump qui affectent tout l’environnement économique mondial et le rendent incertain. Peu de temps auparavant, l’Allemagne a annoncé l’illégalité de la présence étasunienneen Syrie. La puissance germanique devenue colonie étasunienne en plein centre de l’Europe après le plan Marshal poursuivi sous la forme de la CEA puis CEA puis Union européenne se rebiffe.

La section d’un plan-en-100-jours élaborée par le Ministère de l’Economie et des Finances indique explicitement la nécessité de diversifierles ressources et les instruments financiers. La Turquie doit se tourner vers la Chine pour souscrire des emprunts. Une ligne de crédits de 3,6 milliards de dollars US a été ouverte pour soutenir les secteurs privés, bancaires et les institutions publiques. Deux banques chinoises s’activent in situ pour assurer les échanges en renminbi. La Chine va aider la Turquie à se doter de centrales électriques nucléaires. (*) Elle va également construire des lignes où circuleront des trains à très grande vitesse. (**)

Augmenter les échanges commerciaux avec la Chine, le Mexique, la Russie et l’Inde est une priorité affirmée par le gouvernement turc. 

Décidément, l’orientation se fait vers l’Est. 

Badia Benjelloun

 

Notes

(*) Le savoir-faire d’Areva est outrepassé.

(**) Où donc est Alsthom, disparu et vendu à General Electric par Macron ?

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